BROWN, REININGER, BODSON – Clear Tears / Troubled Waters

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BROWN, REININGER, BODSON –
Clear Tears / Troubled Waters
(Crammed Dics)

mtm39_BRB_coverideaA priori surtout réservé aux fans de TUXEDOMOON et de ses principaux artisans, à savoir Steven BROWN et Blaine L. REININGER, ce disque est avant tout une nouvelle trouvaille en matière de rencontre entre le monde des expérimentations sonores et celui du néo-classique. Clear Tears / Troubled Waters est un épisode supplémentaire dans la longue et passionnante série Made To Measure imaginée par le label Crammed Discs et débutée en 1983, dont la trentaine de volumes a vu la participation d’artistes aussi variés que John LURIE, Harold BUDD, Peter PRINCIPLE (l’album Tone Poems), MINIMAL COMPACT ou Benjamin LEW. L’originalité d’une telle initiative discographique est d’avoir demandé aux différents musiciens de composer une musique originale, une bande-son destinée à un autre média (film, théâtre, danse, vidéo).

Ce CD poursuit logiquement cette idée en réunissant trois musiciens dans le cadre d’un spectacle de danse (incluant sept danseurs), chorégraphié par Thierry SMITS pour la compagnie THOR fondée à Bruxelles en 1990 : Steven BROWN (piano, clarinette, saxophone alto, voix), Blaine L. REININGER (violon, basse, guitare, chant) et Maxime BODSON (électroniques, basse, voix) ; les deux premiers sont des familiers de RYTHMES CROISÉS avec leur groupe TUXEDOMOON ; régulièrement, ils forment aussi un duo, dont le travail foncièrement plus acoustique met en avant une musique de chambre souvent comparée à BARTOK ou à CHOSTAKOVITCH. Quant au troisième, son travail s’oriente davantage vers l’électronique. Il a déjà réalisé pour cette même compagnie des paysages sonores assez angoissants et imprégnés d’une grande tension dramatique (V-Nightmares en 2007 ou To the Ones I Love en 2010).

La rencontre entre ces trois personnalités offre donc une perspective intéressante en privilégiant des ambiances à la fois électroniques et acoustiques ainsi que des passages hautement mélancoliques. Pour certains, ce disque ne risque pas de provoquer un réel enthousiasme, tant la musique est sérieuse, disons même intellectuelle, à classer entre l’ambient, l’électronique et le néo-classique. Mais l’orientation musicale choisie par les trois musiciens n’est pas une si grande surprise lorsque nous voulons en savoir un peu plus sur cette création qui s’inspire de la mélancolie contemporaine et d’une certaine nostalgie anticipée (le regret que quelque chose est en train de disparaître) ; SMITS prend en compte la situation actuelle de l’Occident : la crise, la peur du lendemain au niveau social, économique, écologique, le cynisme permanent des puissants. Il y a cette prise de conscience que le monde ne va pas bien et que nous vivons la fin d’une époque (perte d’un certain bien-être et de valeurs comme la solidarité, la fraternité, l’intégrité). Le chorégraphe a réalisé « un spectacle porteur de cette mélancolie, une plongée dans l’angoisse avec l’objectif avoué de partager le chagrin. Et offrir des raisons d’espérer de nouvelles formes de solidarité et de fraternité ».

Paru en 2013, à peu près en même temps que le CD de BROWN avec son ENSAMBLE KAFKA, le CD contient seize morceaux pour plus d’une heure de musique inédite. L’expérience est assez saisissante, mais la sobriété des compositions (cette touche néo-classique s’exprimant par des duos au piano et au violon par exemple), les atmosphères lentes, souvent abstraites et cette sensation de tristesse permanente devenant vite pesante, peuvent être un obstacle non négligeable pour ceux qui souhaiteraient écouter ce genre de musique. A la limite, ils pourraient succomber au premier titre Caged-Bass, avec ce son d’orgue imposant et cérémonial (qui réapparaît à la fin de Tears Matrix) rappelant Philip GLASS et Koyaanisqatsi, ou à l’étourdissant String Crossing dans la veine d’ART ZOYD (avec ce rythme processionnel construit à partir de percussions mécaniques, agrémenté d’un solo de violon devenu incontrôlable affichant toute sa virtuosité). Et il y a aussi cet hymne, In a New World, le seul titre en total décalage avec le reste du CD, où plane une lueur d’espoir : improbable chanson pop rock, où REININGER délaisse le violon pour la guitare électrique et un chant libérateur plutôt bienvenu.

Mais, dans l’ensemble, attendez-vous à découvrir une succession de sonorités électroniques obscures décrivant un paysage sonore sombre (Less-More, Utopia) et de nombreux échanges entre les instruments classiques (piano-violon ou violon-instruments à vent) sur Tears Matrix, Incantato, Fibo, Ouverture, Tears Crossing, procurant généralement un sentiment de tristesse et aussi d’espérance (le piano lumineux à la ROEDELIUS sur Ouverture). Un titre comme Second Part assimile brillamment les deux univers, où les sons « ambient », étranges de BODSON (notamment des sortes d’acouphènes) se mêlent aux autres instruments (clarinette, piano, violon…) et à la narration de REININGER pour un long voyage sonique recherché et intense.

Ajoutant une dynamique nouvelle aux compositions, l’arrivée de la basse se joignant volontiers aux effets électroniques, au piano, aux instruments à vent et au violon, donne vie à des séquences mélodiques passionnantes et rythmées (Agoria, Five Not One, BB) dont l’intensité atteint un point culminant avec Seven Not Five, morceau aux envolées tourbillonnantes. La basse devient un élément essentiel qui structure les compositions permettant au violon, à la clarinette, au saxo ou au piano de s’exprimer avec grâce.

Ce Made To Measure est un bel exemple de musique voulant s’ouvrir à d’autres horizons, dépassant les frontières du rock ou d’une certaine new wave à la TUXEDOMOON… Un disque à l’image de Steven BROWN et Blaine L. REININGER, deux artistes qui définissent la musique comme une entité en mutation permanente.

Cédrick Pesqué

Site : www.crammed.be

 

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