Cheikh SIDI BEMOL – L’Odyssée de Fulay

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Cheikh SIDI BÉMOL – L’Odyssée de Fulay
(CSB Productions)

Dans ces colonnes virtuelles où nous vous remercions de nous lire, nous ne vous avons pas encore présenté la musique enlevée de Cheikh Sidi BÉMOL (CSB). CSB est un nom d’artiste dont il faut expliquer l’humour à ceux qui resteraient perplexes. Cheikh est la dénomination du chef de tribu chez les Arabes (on se rappelle que les émirs se font souvent appeler Cheikh). Sidi correspond à « Monsieur » au Maghreb, et Bémol est le signe musical par lequel on altère (baisse) la note si d’un demi-ton, sur une portée. Le jeu de mots étant expliqué, sa saveur est encore plus épicée lorsque l’on apprend que CSB, alias Hocine BOUKELLA, est kabyle.

Or, la Kabylie est une partie du nord de l’Algérie où vivent, donc, les Kabyles (qui sont des Berbères), les premiers habitants de ce pays, avant l’arrivée des tribus arabes, au VII° siècle après JC. (À ce sujet, on peut se référer au spectacle désopilant, car satirique, de FELLAG : Djurdjurassic Bled). Ces Berbères parlent une langue, amazigh, très différente de l’arabe ; c’est dans cette langue kabyle que chantent IDIR, Matoub LOUNÈS, Farid AÏT-SIAMEUR (TAYFA) et … Cheikh SIDI BÉMOL.

Au demeurant, les chansons écrites par Hocine révèlent une atmosphère toute autre que celle de ses compatriotes amazigh ; lui, c’est un rocker, et c’est à la guitare électrique qu’il taille ses mélodies, accompagnées sur cet album par Damien FLÉAU (flûte, piano, chœurs), Maxime FLÉAU (clarinette, chœurs) et Amar CHAOUI (percussions).

Depuis 1998, date de parution de son premier album, il n’a eu de cesse d’affirmer son originalité par rapport à ses excellents confrères et par rapport à l’ère du temps, tout en restant fidèle aux règles qu’il s’est fixé : être auteur-compositeur, interpréter lui-même ses chansons et ne pas s’écarter du gourbi rock, comme il l’appelle, un rock à l’algérienne très différent de celui de Rachid TAHA (ou du Raï, par exemple). Et notre musicien prend également le parti d’innover à chaque projet qu’il met au jour.

C’est ainsi qu’ après Afya, son projet berbéro-tzigane de 2014 (CSB Productions), Cheikh SIDI BÉMOL nous revient avec un nouveau disque qui fixe – pour notre plus grand bonheur -, pendant plus de quarante-cinq minutes, les chansons d’un spectacle ; l’un et l’autre ont pour titre : L’Odyssée de Fulay.

Fulay est un personnage inventé, un sculpteur, qui vit paisiblement chez « les Amazigh » (« hommes libres », en langue berbère) en un temps mythique. Principalement à cause de l’amour, il connaît de rudes mésaventures auprès de déesses (au sens propre), et de dieux. Nous n’en dévoilerons pas plus pour ne pas gâcher le plaisir de celles et ceux, fans de CSB Productions ou curieux insatiables, qui voudraient acquérir ce disque et se rendre à son spectacle.

C’est justement en « homme libre » que Hocine BOUKELLA et Améziane KEZZAR, son parolier (qui a écrit pour IDIR, entre autres) ont fait intervenir dans leur récit des figures mythiques, issues de trois panthéons. En effet, non seulement nous identifions des divinités kabyles (donc berbères, donc amazigh) mais aussi égyptiennes (Amon) et surtout grecques (Apollon, Athéna, Gaïa), ces dernières en écho, évidemment, avec  L’Odyssée  d’Homère, récit qui narre les aventures mythiques d’Ulysse.

Il faut rappeler qu’un panthéon est un ensemble de divinités (immortelles) d’une communauté humaine donnée, de leur interaction entre elles et avec les mortels, sur Terre, qui leur rendent, à chacune, un culte spécifique. C’est une précision nécessaire lorsque l’on tente de connaître l’origine de tel ou tel personnage de ce récit.

Eh bien ici, trois panthéons se croisent donc, mais ils appartiennent tous à l’imaginaire méditerranéen, cher à Fernand BRAUDEL, dans un polythéisme, qui témoigne des intrusions des Romains et des Égyptiens en Algérie, en un temps où le trois monothéismes – judaïsme, christianisme, islam -, ne s’étaient pas encore imposés dans certains pays.

Et de ce fait, l’histoire réécrite par Hocine et Ameziane évoque plutôt le syncrétisme, c’est-à-dire une religion qui emprunte plusieurs divinités à différents panthéons, voire à un monothéisme, pour leur rendre à chacune un culte spécifique (habitants des Caraïbes, Indiens latino-américains, etc.).

Mais, surtout, la mise en exergue des panthéons cités a ici pour but la bonne entente entre les peuples. Laissons s’exprimer le principal intéressé : « La liberté et le partage sont les deux axes qui ont toujours guidé mon travail artistique. En découvrant les chants marins français et anglais, j’ai ouvert la porte d’un univers extraordinaire et j’ai ressenti des émotions inédites. Cet univers et ces émotions, j’ai voulu à mon tour, les faire partager à mes compatriotes et c’est pourquoi, avec l’aide d’Améziane KEZZAR, poète kabyle, j’ai adapté Les Chants berbères antiques en langue kabyle. Ainsi, je fais d’une pierre deux coups, car à travers ces chants, je fais découvrir un peu de Kabylie au reste du monde », déclare Cheikh SIDI BÉMOL.

Si effectivement, les chansons ont été écrites en langue kabyle, et le récit du spectacle en français, elles sont phrasées, articulées, de façon très différente de celles de ses contemporains kabyles déjà cités. Notre appétit à les écouter est différente ; leur accompagnement en est basique. Et l’accompagnement simple d’une histoire complexe   lorsqu’il se révèle talentueux, nous transporte souvent en Olympe, chez les Muses. C’est le cas ici, depuis Isigna (Nuage), évaporation sonore d’une minute sept que l’on dirait issue d’un rêve d’été à la guitare acoustique, en passant par Agrud (le Bébé), jusqu’à Tellus (Atlas), intermède dont le thème est égrené par un piano pétillant.

Dans cet ensemble que constituent le spectacle, le disque et le livret du disque, ce dernier ne fait pas figure de pièce rapportée : à l’intérieur du digipack se logent vingt-quatre magnifiques pages où figurent, bilingues amazigh/français, les paroles des chansons, précédées des textes de l’histoire, illustrés par des vignettes colorées de ELHO. Devinez qui est cet artiste : une petite idée ? Non ? Eh bien c’est Hocine BOUKELLA lui-même, musicien et également (bon) dessinateur et illustrateur de son œuvre, un peu comme le fut Antoine de SAINT-EXUPÉRY pour Le Petit Prince.

L’Odyssée de Fulay est la preuve éclatante que les mythes ont circulé très tôt dans tout le bassin méditerranéen : leur univers panthéiste extravagant n’a été définitivement muselé qu’avec l’arrivée des monothéismes : l’imagination peut encore heureusement s’exprimer par les arts s’adressant aux cinq sens (théâtre et cinéma compris).

Et, justement, Cheikh SIDI BÉMOL n’a pas fini de nous en faire voir de toutes les couleurs : sonores, visuelles et théâtrales ; et, nous, public insatiable, fasciné par les odyssées fantastiques et musicales, nous en redemandons !

Mescalito

Site web : www.sidibemol.com

Label : https://www.sidibemol.com/

 

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