Compagnie NUSA CORDON / Jean-Pierre GOUDARD – Nusa Nusa

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Compagnie NUSA CORDON / Jean-Pierre GOUDARD – Nusa Nusa
(Association Kotekan)

compagnie-nusa-cordon-nusa-nusaSi les musiques de gamelan indonésien ont séduit l’Occident par leur caractère hypnotique et leur rapport concentrique au temps – qui tranche singulièrement avec la linéarité à laquelle nous sommes plus habitués –, c’est surtout en Amérique qu’elles ont inspiré de nouvelles voies d’expression et de création musicales, notamment auprès des compositeurs dits minimalistes, Steve REICH, Terry RILEY, Philip GLASS, Lou HARRISON ou encore Harry PARTCH. Il y a aussi aux États-Unis des gamelans entièrement acquis à des démarches contemporaines, comme le GAMELAN SON OF LION et le GAMELAN GALAK TIKA.

En France, si l’on trouve quelques gamelans, leur usage – quand il ne se borne pas à la seule figuration dans les musées – reste surtout d’ordre ethnomusicologique. Le gamelan de la Compagnie NUSA CORDON est une prodigieuse exception à cette règle, puisque depuis son apparition en 2000, il est à l’origine – en plus d’actions pédagogiques bien légitimes – de plusieurs spectacles fondés sur des compositions de son directeur artistique, Jean-Pierre GOUDARD, qui a ainsi pris le parti de l’innovation sur cet « instrument collectif ».

Fabriqué à Bali, le gamelan NUSA CORDON est conforme au type « Gong Kebyar », le plus récent dans la tradition balinaise et sans doute le plus populaire des gamelans, et aussi celui qui autorise les plus grands écarts avec les règles classiques de composition. Il est ainsi constitué des instruments conformes au genre Kebyar (claviers à lames métalliques aux sons aigus, gongs aux sons graves, tambours et percussions, flûtes), mais dans la création scénique restituée sur ce CD, Nusa Nusa, il incorpore en outre des instruments provenant d’autres horizons, ainsi que des voix.

Si la pièce d’introduction, Les Oiseaux, ne fait intervenir que les instruments du gamelan, on décèle déjà, par-delà les scintillements mélodiques typiques du gamelan traditionnel, une ligne percussive innovante qui évolue dans un espace plus « suspendu » loin des exubérances attendues du Gong Kebyar. Et soudain, il y a ces voix qui jouent de l’alternance ou de la superposition, s’inspirant des techniques de la musique balinaise pour générer une coloration plus contemporaine.

C’est ensuite la flûte qui prend les devants lors de la Suite tunisienne, soutenue par des percussions, dont une très exotique derbouka. Les métallophones ajoutent alors un halo de mystère à cette litanie flûtée qui évoque un paysage de dunes de sables du Nord africain. C’est également un parfum de Maghreb qui se fait sentir dans la voix à l’œuvre sur Bulan Sapas, thème lui aussi porté par la derbouka.

Le gamelan reprend ses droits quasi exclusifs dans Réong, Suite des Trois Sœurs et dans Suite n°1, cette dernière privilégiant les résonances langoureuses des gongs et un climat de sérénité et aménageant des zones de silence, là encore peu coutumières du genre kebyar.

Le Pré du Dérot provoque alors un contraste saisissant puisque des cuivres s’y font entendre, ainsi qu’une basse et une voix qui tirent l’ensemble vers un jazz plein de contorsions imprévues.

Dans Nusa Nusa et dans Cello de Marie, c’est un violon qui inscrit ses sinuosités solistes dans les mailles contrapuntiques du gamelan. Le même violon prend part, avec deux flûtes, la basse et la derbouka et bien sûr le gamelan, à des Balkaniques pleines de rebonds. Il y a de même des relents d’effluves méditerranéennes dans Brava, avec ces claquements de mains, ces clarinettes et cette contrebasse qui devisent gaiement sur les broderies syncopées du gamelan.

On aura remarqué que les compositions du GAMELAN NUSA CORDON font souvent intervenir diverses voix, assurées par les musiciennes de la Compagnie, mais sur 1Satu2Tiga3, outre la voix soliste, c’est carrément un chœur de collégiens qui est invité à participer. Et au cœur de la Suite de l’invité qui clôt le spectacle Nusa Nusa, c’est à un semblant de charivari que nous assistons, les voix prenant des accents tribaux et simiesques réminiscents du « senggak », le cousin sundanais (Java-Ouest) du ketchak balinais.

Au final, Nusa Nusa nous aura non seulement fait goûter aux saveurs grisantes des métallophones et des gongs du paradis balinais, mais il nous aura projeté dans un monde en somme pas si identifiable que cela, nourri d’inspirations autrement exotiques engendrant un imaginaire folklorique qui ménage tant la flânerie mélodique que l’effusion rythmique, bref un spectre dynamique assez large pour convoquer les âmes à un périple tout en circonvolutions savoureuses.

C’est dire si Nusa Nusa ouvre une voie buissonnière bienvenue dans la pratique du gamelan. On peut se procurer ce CD autoproduit exclusivement sur le site de l’association KOTEKAN.

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Stéphane Fougère

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