DÖRVÖN BERKH – Four Shagai Bones (Masters of Mongolian Overtone Singing)

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DÖRVÖN BERKH – Four Shagai Bones (Masters of Mongolian Overtone Singing)
(PAN Records)

Créé en 2007 à l’initiative de l’ethnomusicologue Johanni CURTET, fondateur de l’association Routes Nomades, DÖRVÖN BERKH réunit quatre grands pratiquants du chant diphonique mongol, le « khöömii ». L’ensemble a tourné en France en 2009 et en 2013, mais avait auparavant fait ses classes (et essuyer ses plâtres) à Oulan-Bator, la capitale mongole, où il lui a fallu passer outre les réticences d’un certain public peu enclin à accorder de l’intérêt à des « seniors » qui représentaient un passé avec lequel il ne souhaitait pas nécessairement se raccorder. Et puis pensez donc !, aller écouter quatre chanteurs sans aucun orchestre, fut-il classique ou moderne, pour les accompagner, l’ennui était assuré ! Ces esprits grincheux n’ont manifestement pas appréhendé la nature audacieuse – sinon révolutionnaire – du projet DÖRVON BERKH, car le khöömii étant à la base une pratique lié au nomadisme, donc une pratique individuelle (soi seul devant la steppe infinie…), faire jouer ensemble quatre « diphoneurs » n’est pas nécessairement une chose qui va de soi, et somme toute pas courante.

Car à force d’enseignement universitaire et d’institutionnalisation (voire de récupération en tant que symbole national), le khöömii a fini par s’éloigner de son origine rurale, celle de la vie nomade des bergers qui imitaient les sons de la nature (souffle du vent, écoulement de rivières…) et de la faune (chants de volatiles…) dans les steppes arides…

Dès lors que le khöömii s’est « installé » en milieu urbain, il est devenu un objet d’études, de concours, une profession, un art de la scène, seul moyen pour lui de survivre aux mutations politiques, économiques et sociales que la Mongolie a connues au cours du XXe siècle. (Passer d’un état féodal au communisme pour finalement devoir conjuguer avec le système capitaliste, ça bouleverse forcément !).

Mais cette métamorphose risquait aussi de faire du khöömii une forme artistique figée dans une approche « folklorisante » effaçant toutes ses particularités régionales. C’est précisément pour éviter ce hiératisme que Johanni CURTET a souhaité réunir et faire travailler ensemble quatre maîtres du chant diphonique mongol, de manière à en rappeler les origines et à en exposer les multiples facettes.

L’histoire et le parcours individuels de SENGEDORJ, TSERENDAVAA, ODSUREN et GANZORIG sont certes différents, de même que leur relation au khoömii, mais tous sont des « diphoneurs » professionnels, et chacun a développé son style. Les deux premiers ont déjà eu l’occasion de se faire entendre dans d’autres productions discographiques dédiées à la musique et au chant mongols, notamment dans un précédent recueil paru sur le même label PAN Records, Jagarlant Altaï. Xoomii and other vocal and instrumental music from Mongolia.

Pratiquant trois types de khöömii, SENGEDORJ s’est forgé un style personnel qu’il nomme le « khöömii baryton » ; il joue de plus de la flûte tsuur, un instrument de l’Altaï rarement pratiqué. On peut l’entendre dans ce CD mêler sa tsuur au chant diphonique d’ODSUREN dans une improvisation (Xöömij Tsuur) qui met en valeur la « connivence gutturale » entre le chant et la flûte.

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TSERENDAVAA s’est déjà fait connaître en France à travers son duo avec son fils TSOGTGEREL (un CD + DVD chez Buda Musique, Chants diphoniques de l’Altaï mongol). Cet éleveur nomade qui s’accompagne au luth tovshuur et à la vièle ekel maîtrise pas moins de sept formes de khöömii et a donné naissance à un « khöömii combiné » dont il nous fait une éloquente démonstration dans le « chant long » Tooroi Bandi.

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ODSUREN a beau être plus rare sur disque (il a quand même fait partie du groupe URAGSHA, dont un CD est paru chez Global Village Music), il peut s’enorgueillir de pratiquer douze types de khöömii en plus de jouer du luth tovshuur, de la vièle ekel et des guimbardes aman xuur et tömör xuur.

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GANZORIG, qui s’accompagne au luth tovshuur et à la vièle à tête de cheval morin-khuur, est le plus jeune des quatre, mais est sans doute le plus populaire hors Mongolie de par son implication dans le groupe ALTAÏ-KHANGAÏ, auteur de cinq disques (le dernier, Ongod, est sorti chez Buda Musique) et qui a participé à la B.O. du film Blueberry de Jan KOUNEN. GANZORIG incarne à ce titre une nouvelle génération à cheval (normal pour un Mongol !) entre la tradition et la modernité.

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Le programme exposé dans Four Shagai Bones alterne pièces solistes, en duo, en trio et en quartet. Le talent d’improvisateurs de nos quatre diphoneurs est patent dès le morceau d’ouverture, Xöömij Uria Duudlaga, composé d’ »appels diphoniques » que chacun envoie aux autres comme en échos, ou encore à travers la longue pièce Xöömijni Töröluud, où chacun étale les spécificités de son style avant de se rejoindre pour un final à l’unisson. La courte Improvisation finale est une véritable ode aux éléments naturels des paysages de steppe.

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Diverses formes de chant traditionnel mongol sont également au répertoire ; chants populaires, chants de louanges, chants longs et chants épiques sont ainsi enrichis des techniques de khöömii que nos « quatre osselets » (traduction de Four Shagai Bones) exposent avec autant de virtuosité que de délectation.

Toute l’évolution du khöömii, de ses origines rurale et nomade à son développement urbain et « spectaculaire », est ici exposée sans fard et sans colorants par l’ensemble DÖRVÖN BERKH (qui se traduit par « quatre difficultés »), dont la force et l’amplitude timbrales n’ont pas d’équivalent dans les circuits institutionnels d’Oulan-Bator. On mesure de fait tout l’intérêt d’avoir réuni ces quatre maîtres, dont l’histoire est également racontée dans un documentaire de Jean-François CASTELL paru en DVD, Maîtres de chant diphonique, lequel s’avère le complément idéal de ce CD.

Stéphane Fougère

Page : https://routesnomades.fr/fr/artistes/dorvon-berkh

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