Ensemble TUMBASH – Mongolian Impressions : Ayalguu (Vol. 1) – Höömij (Vol. 2) – Urtyn Düü (VOl. 3)

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Ensemble TUMBASH – Mongolian Impressions : Ayalguu (Vol. 1) –
Höömij (Vol. 2) –
Urtyn Düü (Vol. 3)
(Face Music)

ensemble-tumbash-ayalguu-vol-1-mongolian-impressionsLes quatre musiciens qui ont formé l’Ensemble TUMBASH en juin 1999 se sont tous connus à l’Académie de musique de Oulan-Bator, la capitale de la Mongolie. Le nom TUMBASH a été choisi en rapport avec un conte mythologique indien qui met en scène quatre animaux (un lapin, un pigeon, un singe et un éléphant) dont la force essentielle tient à leur capacité à vivre ensemble et à se respecter mutuellement.

Ce symbole en dit long sur la complicité musicale des membres du quartet. Musiciens professionnels, ils maîtrisent les divers aspects de la musique traditionnelle mongole, qu’ils présentent sur pas moins de trois CD enregistrés en 2000 pour le réputé label suisse Face Music. Chaque CD a été conçu selon une logique thématique et correspond à un genre précis de la tradition mongole.

Mongolian Impressions : Ayalguu vol. 1  déploie ainsi un vaste répertoire de « bogino duu », ou « chansons courtes » sans ornementation et dans lesquelles le rythme est lié aux strophes et aux syllabes. De caractère spontané et souvent satiriques, ces chansons courtes ne sont jamais interprétées dans le cadre de célébrations et manifestations officielles. Elles n’en constituent pas moins une large part du patrimoine mongol dans la mesure où elles traitent de la vie quotidienne, des relations amoureuses, de la nature environnante et des animaux, à commencer bien évidemment par le cheval !

Ce premier CD contient donc 38 (!) chansons courtes traditionnelles émanant pour la majeure partie de la Mongolie centrale. Cinq proviennent de l’Ouest du pays et deux de la Mongolie intérieure, qui correspond à la province du Xin-Jiang, en Chine.

Le répertoire de l’Ensemble TUMBASH est en large partie (peut-être même un peu trop large) constitué de chansons d’amour, et il est interprété sur un mode strictement et paradoxalement instrumental, selon un schéma d’écriture quasi identique. La flûte « limbe », jouée par ENKHJARGAL, est le seul instrument à vent de la formation ; elle reflète en quelque sorte les sons entendus dans la nature et accompagne les trois instruments à cordes, à commencer par l’impérial « joochin », sorte de dulcimer ou santour à treize cordes dont SELENGE joue avec deux tiges de bois, le « shudraga » ou « shanz », un luth au long manche joué par SARANGEREL avec un plectre, et la fameuse « morin-khuur », ou vièle à deux cordes de forme trapézoïdale et à tête de cheval, tenu par BATGEREL, dont on peut apprécier pleinement la profondeur sonore le temps d’un air de danse traditionnel (piste 29).

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ensemble-tumbash-hoomij-vol-2C’est dans Höömij – vol. 2 que fait son apparition ce fabuleux chant de gorge harmonique que se partagent les peuples de Mongolie et de Sibérie. Le « höömij » mongol correspond bien entendu au « khoomei » de Touva et au « kai » de l’Altaï, c’est-à-dire qu’il permet au chanteur d’émettre deux sons simultanés, l’un servant en quelque sorte de bourdon fondamental et l’autre de note harmonique susceptible, en fonction du savoir-faire du chanteur, de varier en son et en timbre, selon les « muscles » vocaux utilisés, soit la bouche, les lèvres, la langue, les dents la gorge ou le nez.

Ainsi diverses techniques existent-elles, chacune privilégiant une « source » d’émission différente, comme les poumons pour le « kharkhiraa », la gorge pour le « tövönkhiin », le nez pour le « khamryn » et le larynx pour le « bagalzuuryn ». À ce sujet, on écoutera avec intérêt la dernière pièce du CD, Höömijn Törluud, qui offre diverses variations à partir des techniques kharkiraa (effet de grondement), khamryn (son nasillard) et « isgaree » (sorte de sifflement).

Ce sont ENKHJARGAL et BATGEREL qui assurent les chants de gorge sur cet album, en plus de leurs instruments respectifs, la flûte limbe et la vièle morin-khuur. Au luth shudraga/shanz SARANGEREL et au dulcimer joochin de SELENGE, déjà entendus sur le premier CD, s’ajoutent de plus ici la guimbarde « hel khuur » et le luth à deux cordes « tobshuur », tous deux joués par ENKHJARGAL sur un « tuuli », un chant épique qu’il interprète avec BATGEREL à la morin-khuur.

Le tuuli est un genre traditionnel traitant généralement d’un combat entre les forces du bien et les forces du mal, et par conséquent souvent pratiqué dans les rituels pour influencer favorablement les esprits. Avec Dönön Nast Khölög Baatar, ENKHJARGAL et BATGEREL nous livrent un fidèle et parfait exemple de ce chant à caractère héroïque, et ce sans faire de concession puisqu’il dure près d’une demi-heure !

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Lensemble-tumbash-urtyn-duu-vol-3e troisième CD de l’Ensemble TUMBASH est quant à lui consacré à un genre radicalement opposé à celui de la chanson « courte » : l' »urtyn duu », ou « chanson longue », à ne pas confondre toutefois avec le genre épique tuuli du deuxième CD. L’urtyn duu jouit pour sa part d’une étonnante richesse ornementale et s’épanouit sur des tempi lents, des lignes mélodiques étalées et de larges intervalles, sans rythme fixe et sans refrain régulier.

Le chanteur d’urtyn duu doit cependant respecter scrupuleusement certaines règles concernant la respiration, même si celle-ci est libre, car il ne doit en aucun cas interrompre le flux ornemental mélodique. Les paroles de ces chansons longues sont de même écrites en fonction de formules précises. Par exemple, chaque ligne d’un couplet doit commencer par la même lettre, ou bien les première et troisième lignes devront débuter par une lettre identique, tandis que les deuxième et quatrième lignes commenceront par une autre, etc. Les chansons longues sont traditionnellement liées aux rites concernant les cycles saisonniers et aux cérémonies quotidiennes.

Dans Urtyn duu – vol. 3, l’Ensemble TUMBASH propose quatre chansons longues en version instrumentale, à l’instar du premier CD. Ce n’est plus vraiment un quartet qui officie, puisque la première et quatrième pièces sont jouées en solo et les deux autres en duo. Ainsi, Tungala Tamir met à l’honneur le phrasé langoureux de la vièle morin-khuur de BATGEREL, alors que le morceau de clôture, Tsevtsger Khurdan Sharga, est illuminé par les envolées serpentines de la flûte limbe d’ENKHJARGAL.

La même flûte est accompagnée par le frissonnant dulcimer joochin de SELENGE dans Dörvon Tsag, tandis que Tooroi Bandi s’impose comme la pièce de résistance du haut de ses 27 minutes, introduite par la flûte limbe, bientôt rejointe par la morin-khuur ; les deux instruments font route ensemble pendant quelque temps, puis la limbe disparaît, laissant la vièle exposer sa complainte…

En solo ou en duo, les instrumentistes de l’Ensemble TUMBASH restituent à merveille toute la profusion de nuances mélismatiques de ces urtyn duu de première classe. Ils traduisent avec prodige le sentiment qui doit s’emparer du chanteur d’urtyn duu qui marche ou chevauche seul dans le décor impavide et indomptable des steppes mongoles, ce sentiment de déréliction qui finit par se fondre dans l’humilité face aux immensités de l’horizon s’offrant au regard, puis dans le recueillement et la prière dévotionnelle adressée à la nature et à ses dieux…

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En trois disques, il est permis de penser que l’Ensemble TUMBASH couvre tout ce qu’il faut connaître de la musique traditionnelle mongole, alliant qualité d’interprétation et exhaustivité de répertoire, chaque CD étant copieusement rempli. Passée la bien légitime appréhension de prime abord concernant l’aspect fastidieux de l’écoute de ces trois albums, on entre de plain-pied et sans afféterie superfétatoire dans un univers que l’on croirait presque parallèle si l’on venait à oublier que ces traditions musicales sont encore bien de cette Terre.

Stéphane Fougère
(Photo : Albi)

Label : http://www.face-music.ch/

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