Denez PRIGENT : Gwerzioù dans un jardin anglais

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Denez PRIGENT :

Gwerzioù dans un jardin anglais

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Denez PRIGENT, qui officie désormais sous son seul prénom, a fait paraître après plus d’une décennie d’absence dans les bacs des disquaires, un nouvel album original, Ul Liorzh Vurzhudus, également présenté dans sa traduction anglaise, An Enchanting Garden.

A l’occasion d’une séance de dédicaces dans le magasin Coop Breizh de Lorient, Denez a volontiers accepté de se prêter à l’exercice de l’interview.

Entretien avec Denez PRIGENT

Le premier mot qui vient à l’esprit en découvrant ton album est : « Enfin ! » Pourquoi avoir attendu près de douze ans avant de sortir un nouvel opus ?

Denez PRIGENT : Pendant ces dix dernières années, j’ai été pris dans un flot d’inspiration. J’ai composé beaucoup de gwerzioù. Chaque jour, j’étais inspiré. Une gwerz enchaînait une autre. J’avais peur qu’en allant en studio à ce moment-là, je coupe cet élan. Aller en studio demande beaucoup d’énergie, beaucoup de concentration. Il faut être à 100 %. Il faut du temps, au moins cinq ou six mois pour un enregistrement. J’avais donc peur d’interrompre un petit peu l’inspiration dans laquelle j’étais. C’est une période durant laquelle j’ai dû composer une centaine de gwerzioù. Parfois la nuit, je me levais pour écrire. Pour moi, c’était un moment que je sentais important dans ma vie. Et ce n’est que lorsque je n’ai plus été inspiré que j’ai décidé d’enregistrer le disque.

À l’inverse des albums précédents, pour lesquels j’élaborais les chansons en studio, pour les mettre sur scène ensuite, ici j’ai rodé les titres sur scène. Cela a pris quelquefois dix ans avant de les enregistrer. Quand je suis arrivé en studio, les titres étaient déjà bien prêts. J’ai eu l’idée de les enregistrer tous ensemble avec les musiciens comme dans un sorte de live, sans public, mais avec la qualité des micros de studios car pour les live généralement, ce sont des micros de scènes.

Cet album combine à la fois la musicalité du live avec la qualité de toute la technologie qu’on peut avoir en studio. Le résultat est un album très différent des autres, c’est vrai. On sent qu’on joue tous ensemble, qu’on connaît très bien les morceaux et on entend bien, malgré tout, tous les instruments.

Qui plus est, et c’est un hasard, on était dans un studio qui mettait à disposition du matériel très ancien, très bien entretenu, comme une console Flickinger des années 1970, entièrement analogique. On a donc pu bénéficier, pour le mixage du disque, du son très chaud de ces vieilles machines et aussi des réverbs à plaques, comme celles qu’utilisaient les BEATLES qui sont la Rolls-Royce des réverbs. On a passé le son, la voix, les instruments dans cette réverb et au final on a un disque très chaleureux. Rien à voir avec mes disques précédents, qui étaient mixés avec une console numérique, avec un son plus froid, plus clinique, mais qui correspondaient bien à l’esprit de ces albums. Ici, le hasard a fait qu’on est allé vers cette console et c’était un bel hasard, car ça renforce le côté très vivant du disque.

Tu composes beaucoup. Qu’est-ce qui t’inspire ?

DP : Les idées me viennent comme ça ! Je compose beaucoup de gwerzioù parce que j‘aime beaucoup les gwerzioù. J’aime cette poésie séculaire, ces images, ces métaphores qu’on peut trouver dans la gwerz.

Je compose aussi, un petit peu moins, des chants à danser. Ce qu’on appelle des sonioù. Mais là c’est plus humoristique.

La gwerz est plus tragique. Parfois, je fais référence à des événements contemporains comme la Gwerz Kiev, qui parle de la grande famine de 1932 ou An Ilis Ruz, qui parle d’un massacre de Tutsis au Rwanda. Mais sur cet album, ce sont plus des histoires que j’ai inventées, tout comme le nom des lieux, des personnages. Contrairement à Gwerz Kiev ou Copsa Mica, ce sont des histoires, qu’on peut plus difficilement situer dans le temps ou dans l’espace. Ce sont des genres d’histoires qui peuvent arriver n’importe quand et n’importe où en Bretagne ou ailleurs, et toujours avec du fantastique à l’intérieur. J’aime beaucoup les gwerzioù avec des connotations fantastiques très fortes et le thème de la mort qui est toujours présent.

Tu nous avais habitués à un habillage électronique. Ce nouveau disque est entièrement acoustique. Tu as voulu rompre avec ce que tu faisais auparavant ?

DP : C’est peut-être dû au fait que je vive à la campagne depuis un certain nombre d’années. Je pense que le fait d’être dans les arbres, dans la nature, d’habiter dans une maison en pierre, m’ont amené à habiller mes chants d’une instrumentation acoustique. Quand j’habitais à Rennes, dans un milieu urbain, c’était l’électronique qui était plus approprié.

Par exemple, E Trouz ar Ger (titre issu de l’album Irvi, paru en 2000) signifie « Dans le bruit de la ville » ! Il y a eu un passage progressif avec Sarac’h notamment, ou il y avait un peu d’électronique, un peu d’électrique, mais là c’est entièrement acoustique. Plus tard je retournerai peut-être à l’électronique ou un mariage de l’électronique et de l’acoustique. Je ne sais pas encore pour l’instant.

En instrumentation acoustique, on retrouve des instruments bretons mais aussi du monde entier, comme le doudouk ou des percussions comme le djembe africain, le daf iranien, le tambourin italien, le cajon qu’on utilise beaucoup dans la musique andalouse, dans le flamenco notamment. Il y a la guitare à douze cordes qu’on utilise en fado. Le violon prend parfois des couleurs manouches ou orientales.

Mais, malgré tout, c’est le chant qui est le moteur. C’est le chant qui est l’axe, en breton et en anglais puisque j’ai une chanson en anglais.

Justement, sur cet album il y a une chanson en anglais, alors que jusqu’à présent ton répertoire était essentiellement en breton. Pourquoi ce choix ?

DP : En fait, le texte est une gwerz qu’on retrouve un peu plus loin puisqu’il y a la version en breton à la fin de l’album. C’est une gwerz dont le titre est Gwechall Gozh et le titre initial est Plac’h ar Gwall Brud, « La Fille aux mauvaises rumeurs ». Au début c’était un pari. J’ai essayé de voir comment fonctionnait la traduction en anglais, et j’ai trouvé ça intéressant. Je trouvais que le texte en anglais ne dénaturait pas le chant en breton. Il y a un petit côté gothique en plus. L’essence du chant est préservée, donc je me suis dit « pourquoi ne pas le chanter ? ».

C’est pour cela qu’il y a deux versions sur cet album. La version anglaise a un côté plus pop, plus jazz, presque classique aussi puisqu’il y a un piano en plus, à la Erik SATIE. La version bretonne est plus celtique, pour prendre un terme générique, avec des flûtes. Ce sont deux chansons avec une mélodie similaire, deux interprétations différentes puisqu’on ne chante pas de la même façon en breton et en anglais, et deux habillages musicaux, deux arrangements complètement différents.

Toutes les deux sont dans un style chanson, car je souhaitais m’adonner à l’exercice de la chanson. Jusqu’à présent je n’ai jamais vraiment eu l’occasion de le faire, si ce n’est dans l’album Irvi avec le titre A-Drenv va zi pour lequel il s’agissait d’une mélodie mesurée avec couplets et refrain. J’ai voulu le refaire ici de façon plus prononcée, très formatée chanson, sur An Old Story et Gwechall Gozh, mais le texte reste un texte de gwerz. C’est un exercice qui m’a plu.

D’habitude je chante des gwerzioù, c’est arythmique, c’est très long, il n’y a pas de refrains, il y a peu d’écart entre les notes, c’est assez monocorde, c’est incantatoire. C’est ce qu’on appelle du chant monodique, Sans que ce que je dis ne soit péjoratif !

Ce nouvel album est aussi une nouvelle aventure. Tu vas le défendre sur scène ?

DP : Oui, bien sûr. Je vais aller au Festival Interceltique de Lorient cette année avec cette formation et avec beaucoup de titres figurant sur l’album qui seront joués. Je vais également au Festival du Chant de Marins à Paimpol et aux Jeudis du Port à Brest.

Ailleurs en France ou à l’étranger, tu as déjà eu des sollicitations ?

DP : Après l’été, j’aurai un concert à Paris en décembre.

Il y aura aussi d’anciens titres issus des précédents albums ?

DP : Je ne sais pas vraiment encore. Là, je vais retravailler mon répertoire pour changer un peu de ce que je faisais avant. La majeure partie des titres qu’on trouve sur le nouvel album sera joué sur scène, arrangé parfois un peu différemment. Il y aura aussi un nouveau concept d’éclairages. Mais c’est un peu prématuré pour moi de le dire, je suis en pleine promotion du disque. Cela se fera quand ce sera un peu plus calme dans ma tête (rires).

Me zalc’h ennon ur fulenn aour a dix-huit ans cette année. C’est un album qui a révolutionné la façon d’appréhender la musique bretonne. Quel regard portes-tu sur cette musique bretonne depuis une vingtaine d’années ?

DP : Aujourd’hui, il y a des choses très intéressantes qui sont faites, notamment par les jeunes générations. C’est vraiment bien parce que les jeunes générations sont là pour bousculer les anciennes. Cela a toujours été comme ça et c’est tant mieux. Les jeunes sont là pour ça, quitte à froisser certaines sensibilités, sinon le monde stagnerait.

Il y a des belles choses. Il y a notamment Jonathan DOUR, qui travaille avec moi comme violoniste et qui a participé aux arrangements. Il fait partie d’un groupe de musique à danser avec un ensemble de violon et des percussions. C’est très intéressant ce qu’ils font ! (NDLR : cf. DOUR / LE POTTIER QUARTET, album Trid an Douar)

J’aime beaucoup ce que fait PLANTEC, avec guitare, bombarde et un DJ derrière. C’est très fort, très puissant. KRISMENN aussi. Toutes ces démarches-là sont très intéressantes et vont vraiment dans le bon sens d’une régénération de cette musique pour l’ancrer dans le monde d’aujourd’hui, pour la rendre actuelle.

De tout temps chaque génération a apporté ses propres idées, ses propres visions de la musique bretonne. La musique bretonne est une matrice. Il n’y en a pas qu’une seule, il y en a plusieurs. C’est une matrice dans laquelle on puise. Chaque sensibilité peut s’exprimer et passer ses émotions et ses goûts. C’est important pour que cette musique continue à vivre dans le futur.

Entretien réalisé par Didier LeGoff

Un grand merci à Yvonig et Anna, de la Coop Breizh, de Lorient, pour leur accueil.

Site : Denez sur Coop Breizh

Lire la chronique du CD

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