Gamelan of Central Java Vol. XV – Returning Minimalism : In Nem

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Gamelan of Central Java Vol. XV – Returning Minimalism : In Nem
(Felmay / Orkhêstra)

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L’expérience mise à jour par ce disque pourrait être résumée par la formule « retour à l’envoyeur ». C’est un peu ce que suggère le titre Returning Minimalism : à la fois retour au minimalisme et retournement du minimalisme. Il est notoire en effet qu’une bonne partie de la musique contemporaine minimaliste (ou répétitive, ou sérielle) a été influencée par des musiques extra-européennes – indienne, africaine, japonaise et indonésienne – que l’Europe occidentale et les États-Unis ont découvert notamment durant les années 1950 et 1960.

Mais bien avant, à l’occasion de l’Exposition universelle de Paris en 1889, Claude DEBUSSY était déjà tombé sous le charme de la musique (et de la danse) javanaise, de ses couleurs, de ses gammes, de ses rythmes, de ses ruptures… Peu après, c’est Colin McPHEE qui fut subjugué par la naissance, sur l’île de Bali, d’un nouveau genre de musique de gamelan, le « kebyar », tout en fulgurances et en explosions. Sa composition Tabuh-Tabuhan (1936) préfigure avec trente ans d’avance ce que développera le courant de la musique minimaliste répétitive.

Après la seconde guerre mondiale, les spectacles d’ensembles de gamelan indonésiens ont fleuri dans les universités et musées américains et européens, envoûtant un public de plus en plus nombreux, et gagnant l’admiration de quelques compositeurs contemporains, parmi lesquels Steve REICH, qui étudia le gamelan en 1973, et dont son légendaire opus Music for 18 Musicians porte les stigmates.

Aujourd’hui, juste retour des choses, c’est un gamelan javanais, constitué de huit musiciens issus du ISI (Institut Seni Indonesia) Surakarta, qui reprend à son compte des idées émanant d’une œuvre-phare et pionnière du courant minimaliste : ce n’est pas une pièce de Steve REICH, comme on aurait pu s’y attendre, mais une de Terry RILEY, In C, enregistrée pour la première fois en 1968.

Les raisons de ce choix tiennent à ce que Terry RILEY a introduit dans cette œuvre deux éléments fondamentaux du minimalisme, le retour à la musique tonale (en l’occurrence la tonalité de « do majeur »), et la répétition de courts motifs musicaux. In C est effectivement constituée de 53 formules mélodiques et rythmiques de durée variable que chaque musicien peut jouer dans un ordre pré-établi, ou autant de fois qu’il le souhaite !

De la même façon, les pièces consignées dans Returning Minimalism : In Nem sont le fruit d’un travail semi-improvisé fondé sur l’utilisation de modules ou phrases répétées à l’envi par les huit musiciens de l’ISI Surakarta.

L’enregistrement s’est étalé sur tout un week-end et, de ses sessions, trois versions ont été retenues : la 1, la 4 et la 7, présentées dans l’ordre chronologique inversé. Chacune est de durée différente (19, 21 et 28 minutes), et se distingue par ses choix instrumentaux et son impulsion rythmique (lente, rapide, ou irrégulière). Mais dans chaque cas, l’atmosphère engendrée provoque un état d’hypnose substantiel en tous points identique à In C. Ainsi en va-t-il généralement de toutes les musiques « à bourdon », quelles que soient leurs provenances géographique et temporelle…

L’idée de détourner un gamelan javanais de son terreau musical traditionnel provient de Donald QUINN et John Noise MANIS, l’ethnomusicologue à qui l’on doit la fameuse collection Gamelan of Central Java, et dont les quatorze précédents volumes présentaient différents aspects de la tradition musicale de Java-Centre. Or, le Vol. 7, Edge of Tradition, avait déjà commencé à mettre le pied en territoire plus contemporain. Avec ce Vol. 15, on est plein dedans ! C’est bien une musique minimaliste, sérielle, qui s’offre à notre écoute, mais jouée sur des instruments de gamelan traditionnels.

Mais comme il est dit dans le livret – et comme chacun pourra le vérifier à l’écoute –, sans l’élément pulsatif, ces pièces pourraient très bien être perçues comme traditionnelles, sans lien direct avec l’œuvre de Terry RILEY. Il ne faut pas y chercher la réinterprétation fidèle et respectueuse d‘In C (ce qui serait un gag prodigieusement paradoxal, eu égard aux préceptes de base de cet opus), mais plutôt percevoir ces pièces comme des variations semi-improvisées au noyau rythmique bourdonnant qui sont devenues des compositions originales de gamelan. C’est pourquoi elles portent le titre In Nem plutôt qu’In C, le terme « nem » désignant la « note 6 », commune aux échelles slendro et pelog des gamelan javanais.

Que les puristes pointilleux s’y reprennent donc à deux fois avant de juger hérétique l’intégration de cette (re)création dans une collection de musique « traditionnelle ». Car au fond, c’est comme si la tradition du gamelan se nourrissait d’une partie d’elle-même ! C’est un juste retour – ou retournement – des choses, qui retournera effectivement les oreilles de plus d’un auditeur !

Stéphane Fougère

Site : www.gamelan.to

Label : www.felmay.it

Distributeur : www.orkhestra.fr

 

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