JAMBINAI : Une différence érémitique

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JAMBINAI

Une différence érémitique

Originaire de Séoul, capitale de Corée du Sud, JAMBINAI est en train, depuis quatre ou cinq ans, de gagner en notoriété en Occident, et ce n’est pourtant pas un autre groupe de K-POP ! Son domaine d’expression est certes plus marginal, mais quiconque a vu sur scène ou écouté sur disque ce quintette s’est généralement pris une baffe monumentale !

Car avec ses deux albums (Différance et A Hermitage), JAMBINAI a réussi à saper les attentes et à bousculer les codes attenant au post-rock, genre dans lequel on l’a généralement classé (par précaution ? par paresse ?) en mêlant aux instruments rock habituels des instruments issus de la musique traditionnelle coréenne, à moins que ce soit le contraire. Le résultat n’a rien d’une fusion world basique, mais d’une proposition autrement plus corsée, épicée, voire corrosive, un son unique qui combine épaisseur métal, tensions progressives, vibrations ethno-chamaniques et qui intègre aussi parfois d’autres formes d’expression, comme le hip-hop. Puristes de tous bords, passez votre chemin !

JAMBINAI creuse les abysses existentielles comme il grimpe les plus hautes montagnes émotionnelles, chante l’ère de l’extinction comme le temps de la connexion, et sait même faire parler le silence pour faire résonner la création et en faire un instrument de rédemption.

Par tournées successives, JAMBINAI a investi le réseau des salles et des festivals en France. C’est ainsi que RYTHMES CROISÉS les a rencontrés durant l’été 2017 dans le prestigieux Festival du chant de marin de Paimpol, connu pour son ouverture aux cultures d’ici comme d’ailleurs, et tant pis – ou tant mieux – si certaines font du bruit et génèrent de la fureur. Rencontre avec une jeunesse coréenne qui cultive seule sa différence…

Entretien avec JAMBINAI

Pouvez-vous vous présenter ?

Mon nom est Choi Jae-Hyuk, je joue de la batterie.

Je suis Kim Bo-Mi, joueuse de haegeum (vièle à pique à deux cordes et un archet).

Je suis Byeong-Koo Yu, bassiste.

Mon nom est Eun-Yong Sim, je joue du geomungo (cithare sur table à six cordes).

Mon nom est Il-Woo Lee, je joue de la flûte de bambou coréenne, dont le nom est « piri », du hautbois (saxophone) coréen, qu’on appelle taepyongso, et de la guitare.

Au début, j’ai cru comprendre que JAMBINAI était un trio, uniquement constitué de musiciens qui avaient un bagage traditionnel…

Kim Bo-Mi : Oui, absolument. Nous avons appris à jouer de la musique instrumentale soliste, du « sanjo ».

Comment vous êtes-vous rencontrés et comment est né le groupe ?

Lee Il-Woo : Les trois musiciens traditionnels coréens, dont je fais partie, ont étudié dans la même université, c’est ainsi que nous avons fait connaissance. Nous avons rencontré le bassiste et le batteur il y a deux ans pour la tournée européenne et, après la tournée, nous avons pensé qu’ils étaient de très bons musiciens et étaient vraiment bien intégrés à notre trio, à la fois au niveau musical et de l’esprit… Alors nous leur avons suggéré de rejoindre JAMBINAI. Ils ont dit oui, alors maintenant nous sommes cinq.

Vous êtes cinq également sur les albums ?

Lee : Jusqu’à présent, non. Mais sur le prochain album, oui ; nous allons l’enregistrer ensemble.

Comment vous est venue l’idée de mélanger les instruments traditionnels avec des sons plus électriques, plus rock ?

Lee : C’est parce que, de nos jours, beaucoup de Coréens n’écoutent pas et ne respectent pas la culture et la musique traditionnelles coréennes. Lorsque nous donnions des concerts de musique traditionnelle coréenne, le public était composé d’amis, de nos professeurs, de nos familles, papa, maman, grand-père (rires) et les amis de grand-père.

Mais nous voulions vraiment faire venir un public ordinaire qui n’écoute pas de la musique de grand-père, qui écoute juste de la musique moderne comme de la pop ou du hip-hop. Je voulais qu’ils viennent voir notre spectacle. C’est pour cela que nous avons créé le groupe. Je veux briser les stéréotypes sur la musique traditionnelle coréenne. Beaucoup de personnes pensent que c’est une musique lente et ennuyeuse, juste bonne pour les anciennes générations. Alors, nous avons mélangé notre musique traditionnelle avec une basse et une batterie, et des sons très lourds.

Avez-vous développé de nouvelles techniques sur vos instruments acoustiques pour jouer avec cette amplification ?

Kim Bo-mi : En ce qui me concerne, ma manière de jouer du haegeum est restée normale.

Lee : La plupart du temps, ça reste des techniques de jeu traditionnel, mais j’utilise aussi certains effets vocaux qui ne sont pas utilisés dans le cadre de la musique traditionnelle.

Votre répertoire comprend-t-il des reprises de morceaux traditionnels ou seulement des compositions ?

Lee : Nous jouons nos propres compositions.

Quelles sont vos inspirations pour composer ?

Lee : Ce qui nous influence le plus musicalement, ce sont des groupes de heavy métal ou de post-rock, des musiciens traditionnels et aussi des musiciens de jazz ou de hip-hop.

Personnellement, je suis inspiré par le heavy métal, le rock et la musique traditionnelle coréenne.

Le morceau They Keep Silence a été inspiré par une tragédie survenue sur un ferry. Est-ce toutes vos compositions sont inspirées par des tragédies ou des drames ?

Lee : Certains morceaux, oui, sont inspirés par une tragédie ou quelque chose de triste. Nous sommes la plupart du temps inspirés par ce qui se passe dans le monde.

Lee, tu compose la majorité des morceaux. Est-ce que les autres membres du groupe composent également ?

Lee : Ils font des arrangements.

Vous avez joué plusieurs fois en France et notamment en Bretagne. Comment se comporte le public français par rapport au public coréen ? Est-ce que l’écoute est différente ?

Yu Byeong-koo : Le public ici aime vraiment la musique.

Lee : Nous sommes arrivés ici il y a tout juste quatre heures. Nous étions un peu fatigués avant le concert, mais le public nous a vraiment donné une grande énergie et nous ne sommes plus autant fatigués parce que le public français est vraiment très puissant !

Yu Byeong-koo : Nos meilleurs concerts se passent en France pour la plupart, comme le Hellfest par exemple.

Et, en plus, les si beaux festivals que vous avez en France servent de la si bonne nourriture ! (rires) Tout est si délicieux ! C’est un point très important pour nous. Parfois nous allons jouer en Angleterre mais la nourriture… (rires). Vous voyez ce que je veux dire. (rires)

Avez-vous joué le plus souvent en Europe ou en Corée ?

Lee : En Europe.

En Corée, quelle est la réaction du public ?

Lee : Un peu différente. Avant notre tournée européenne, ils ne savaient pas comment réagir à notre musique, car JAMBINAI n’est pas seulement un groupe de rock ni de musique traditionnelle. Alors quand ils venaient écouter notre musique, ils se contentaient d’applaudir. Mais après la tournée européenne, ils ont vu nos concerts sur YouTube et sur les réseaux sociaux, et maintenant ils réagissent comme le public européen. Mais le public européen est toujours plus puissant.

Y a-t-il en Corée une grande diversité de festivals comme en France ?

Lee : La France a beaucoup de festivals, beaucoup plus que la Corée. La plupart des festivals coréens ne nous invitent pas. (rires).

Parce que vous ne jouez pas de la K-Pop ?

Lee : Oui, et ils pensent que nous ne sommes pas connus. Ils ne savent pas ou classer notre musique. Je ne sais pas pourquoi ils veulent classer les groupes comme ça : « ça c’est un groupe de rock, ça c’est un groupe indé, ça c’est un groupe pop, mais JAMBINAI, je ne sais pas ». (rires)

Vous avez fait deux albums, principalement instrumentaux, mais il y a du chant sur quelques morceaux de votre dernier album, A Hermitage, et même un chanteur de hip-hop.

Lee : Oui, le rappeur a écrit les textes.

Est-ce que vous aimeriez faire d’autres collaborations avec des invités ?

Lee : Oui, bien sûr, si nous avons la chance de pouvoirs collaborer avec d’autres musiciens, nous sommes tous ouvert à ça. Avec des musiciens de rock ou de jazz, ou d’autres styles.

Seriez-vous tentés d’intégrer davantage la voix ou le chant dans votre musique ?

Lee : Oui. Beaucoup de gens pensent que la plupart des groupes de post-rock ne doivent pas avoir de chant dans leur groupe, mais j’aimerais aussi briser ce stéréotype avec la musique dite « post-rock ». Je n’aime pas être classé uniquement dans la catégorie post-rock avec JAMBINAI parce que nous intégrons plusieurs styles à notre musique. Alors nous n’avons rien contre le fait de chanter ou d’amener un autre chanteur dans le groupe. Peut-être que, dans le prochain album, il y aura plus de chant que dans notre deuxième album.

Avez-vous eu des invités à vos concerts ?

Lee : En Corée, le rappeur et d’autres chanteurs sont venus jouer avec nous, mais c’est impossible d’amener un membre supplémentaire au groupe ou un invité ici en Europe, car nous n’avons pas de budget pour ça. (rires)

Avez-vous déjà de nouvelles compositions pour le prochain album ?

Lee : Nous avons juste commencé un minuscule bout de musique, un fragment…

Ça vous prend du temps de composer une pièce ?

Lee : Je ne sais pas trop… J’ai besoin de savoir où va une composition. Certaines sont achevées assez vite, mais d’autres prennent du temps. J’aime savoir jusqu’où peut aller une composition et ce qu’il peut s’y passer…

Discographie JAMBINAI

  • Différance (GMC Records, 2012 – réédition : Bella Union, 2017)
  • A Hermitage (Bella Union, 2016)

Article, entretien et photos réalisés
par Stéphane Fougère et Sylvie Hamon

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