Sketis Music Records : La world music russo-asiatique monte au créneau

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Sketis Music Records

La world music russo-asiatique monte au créneau

sketismusicJeune label russe indépendant, Sketis Music s’affiche en première ligne parmi les maisons de disques œuvrant à élargir ou à remettre en question la perception que l’on se fait des musiques ethniques, en l’occurrence celles en provenance de Russie et d’Asie centrale. Ayant démarré en 2002 comme label ouvert aux formations world du vaste territoire russe, Sketis Music fait désormais office de distributeur à Moscou ainsi que d’organisateur de concerts. La diversité et l’audace des œuvres discographiques contenues dans son catalogue sont éloquentes et ouvrent indéniablement sur des horizons encore peu prisés, tant dans les musiques enracinées que fusionnelles, traditionnelles ou contemporaines.

RYTHMES CROISÉS se propose de vous présenter une sélection des références CD de Sketis Music. Les oreilles sans œillères soucieuses d’en connaître davantage sur les nouvelles musiques ethniques du Grand Est devraient y trouver une manne susceptible de les combler…

REEL – Strannie Ludi (SKMR 002)

Reel-strannieLudiLes « strannie ludi », ce sont ces peuples, ces gens inconnus qui, dans les temps anciens, sont partis en quête de terres plus hospitalières et qui, s’étant installés en de nouveaux lieux, en ont enrichi la culture en y intégrant leur propre bagage culturel, leurs musiques, leurs chants. C’est cette idée de voyage spirituel, de partage et d’intégration des traditions musicales qui sert de sous-bassement à la démarche de REEL. Ce groupe de la Carélie russe a été créé en 1998 sous l’impulsion de trois musiciens de Petrozavodsk, Alexander LEONOV, Arkady SOKOLOV et Alexey DEREVLYOV, que rejoignirent deux ans plus tard Sergey SHELJAPIN et Olga GAJDAMAK.

Le sextet a construit son répertoire à partir de la riche tradition carélienne, réarrangeant des chants folkloriques cosaques et des chants de Zaonézhie (région du Nord du lac Onega) et de Pomorie (côte de la Mer blanche). Toutefois, sa vision musicale excède largement ce cadre. Alexander LEONOV semble à ce titre avoir un rôle important puisqu’il joue de plusieurs flûtes vernaculaires, du iouhikko (violon carélien), du bagpipe, de la scie musicale et a aussi conçu lui-même plusieurs instruments de ses mains, sans parler du chant de gorge touvain qu’il maîtrise parfaitement. L’association de ces instruments avec le violon d’Olga GAJDAMAK et la guitare acoustique d’Alexey DEREVLYOV rapproche le son de REEL de celui du célèbre groupe russe folk-rock-world THE FARLANDERS, jusqu’aux voix, qui sont proches de celles d’Inna ZHELANNAYA et, surtout, de Sergey STAROSTIN. Mais la section rythmique de REEL est moins électrique puisqu’elle comprend une contrebasse et une palette très étendue de percussions africaines, indiennes, européennes et latines.

REEL joue la carte du son global mais avec une dominante acoustique et en étant ancré dans un certain héritage culturel russo-carélien. Chaque musicien, qui est aussi chanteur(se) ou vocaliste, est aussi pourvu d’un bagage musical suffisamment varié pour exploiter une gamme très fournie de styles, de rythmiques et d’harmonies, et d’improviser. Aussi, la moindre intervention d’un instrument ou d’une voix dans un morceau peut-elle faire basculer le climat et les références ethniques. Si l’on songe donc beaucoup aux FARLANDERS en général, l’architecture harmonique et sonore de REEL est de nature à évoquer un large éventail d’inspirations. Du reste, les fragrances de folklores nordiques sont nombreuses, et tirent même, si l’on veut bien se laisser aller, vers l’Irlande. A contrario, on décèle par endroits des bribes de chant liturgique russe, d’influences chamaniques, de chant sami (joik), et des imitations d’oiseaux et d’animaux, sans parler évidemment du chant de gorge, qui évoque les musiques de Touva. En fin de course, on largue même les amarres pour naviguer dans un folklore imaginaire à la Stephan MICUS.

C’est à un voyage élastique d’un extrême à l’autre de l’Eurasie que nous invite Strannie Ludi. Depuis cet album, REEL a changé son nom en WA-TA-GA, mais continue de développer une musique itinérante synthétisant idiomes traditionnels et contemporains.

VOLGA – Concert (SKMR 004)

Volga-concertIl est difficile de se tromper sur l’origine géographique d’un groupe qui a décidé de se baptiser VOLGA. Par contre, on pourrait facilement se leurrer sur sa perspective musicale, ce patronyme pouvant à priori faire croire qu’il s’agit d’un groupe traditionnel, voire folklorique. On ne pourrait guère être plus loin du compte ! VOLGA semble effectivement un projet sans équivalent en Russie : prenant pour base de travail un répertoire de chants traditionnels s’étalant du XIIe au XIXe siècles, il développe une esthétique musicale s’appuyant sur les possibilités des traitements électroniques actuels.

Le groupe, créé en 1997, comprend la chanteuse et vocaliste Angela MANUKIAN, connue pour ses développements en matière de techniques vocales, pour avoir fait partie du duo moscovite SPECIES OF FISHES et pour participer aux projets de l’artiste électro lithuanien Richard NORVILA. Elle est entourée de deux grandes figures de l’électronica russe, Alexei BORISOV (il a fondé également les groupes NOTCHNOÏ (NIGHT) PROSPEKT et F.R.U.I.T.S. et a travaillé avec le saxophoniste, clarinettiste et flûtiste russe Sergey LETOV, le Finlandais Anton NIKKILA, avec qui il a fondé le label électro N &B Research Digest, le Japonais KK NULL, etc.) et Roman LEBEDEV (membre des groupes METAL CORROSION, ALIEN PAT HOLMAN et IDIORITMIK, avec Angela MANUKIAN), auxquels s’ajoute le percussioniste Yuri BALASHOV, musicien et créateur d’instruments qui joue occasionnellement dans le groupe bouriate NAMGAR (voir plus loin) et qui, sur le plan international, s’est fait connaître grâce à l’illustration de pochette qu’il a réalisée pour Civilization Phase III de Frank ZAPPA.

Après un premier disque éponyme en 1999 et un deuxième en 2003, Bottoms Up!, en 2003 (tous deux sur le label Exotica Records), le quartet VOLGA a sorti sur Sketis Music un album live enregistré à Moscou en 2002 et sobrement intitulé Concert. L’«ethnotronica» que génère VOLGA ne doit pas se confondre avec de la techno-world, encore moins avec de la dance et aucunement avec du banghra, du trip-hop ou même du new-age et de l’ambient. Il serait donc par trop expéditif de rapprocher l’esthétique de VOLGA de celle d’un Denez PRIGENT ou de celle des Finlandais RINNERADIO avec WIMME, quand bien même des résonances subreptices peuvent se faire sentir avec ces artistes et que VOLGA peut bien toucher leurs publics. Chez VOLGA, le traitement électronique se veut radical, extrémiste, exploitant davantage des formes de psychédélisme urbain et de chamanisme computérisé que les transe poussives de la house. Hormis les percussions de BALASHOV et quelques effets de guitare, il n’y a aucun instrument classique ou traditionnel, juste les trames électro et le chant et, sur scène, des projections vidéo créées en temps réel.

Sous son aridité minimaliste de façade, l’espace instrumental de VOLGA est tissé d’une myriade de trouvailles soniques faites d’ondes futuristes et industrielles, d’émissions extra-terrestres, de crépitements vinyliques, de parasites radiophoniques, de projections laser très sci-fi, d’empreintes percussives aquatiques, de beats épars et tortueux aux textures très recherchées, le tout engendrant un climat de fascinante étrangeté aux arrières-goûts de couloirs de laboratoire d’expérimentation nucléaire…

Au-dessus de ces feux-follets lancinants quadri-dimensionnels émerge la voix d’Angela MANUKIAN, limpide, aiguë, brillante, par endroits plus diffuse et intimiste, dégageant constamment une pureté de timbre intransigeante et qui paraît s’accommoder sans problème de ce contexte sonore peu commun. On ne sait finalement, de la voix et de la musique, laquelle est censée envelopper l’autre ; toujours est-il que VOLGA a su donner de nouvelles dimensions à ces chants d’autres âges.

Le groupe a depuis fait paraître un autre disque sur Sketis, mais ce Concert offre déjà une vue particulièrement panoramique de son univers si singulier.

TELENN GWAD – Time When Poets Taught Angels to Love (SKMR 006)

TelennGwadDe tous les disques parus sur Sketis Music, celui-ci est probablement le plus atypique en termes d’identité russe. Le nom du groupe annonce du reste clairement une couleur nettement plus européenne et fatalement celtique : TELENN GWAD. Pour un peu, on jurerait s’être trompé de label et se trouver dans les catalogues de Shanachie, Coop Breizh, Claddagh ou Keltia, mais une rapide écoute nous en dissuade. Nous n’avons pas affaire à l’un de ces énièmes groupes de fest-noz bretons ou de ceili irlandais, ni même à une banale formation de rock celtique ou de new age harpisante. TELENN GWAD est avant tout un groupe de compositions qui joue sur la coloration, l’imaginaire, le mythe celtique, mais n’exploite point les idiomes mélodiques ou rythmiques des jigs, an dro et autres reels.

Bien qu’on ne puisse en dire très long sur l’histoire du groupe (sa page web est écrite uniquement en russe !), on peut cependant dire qu’il s’agit d’un trio comprenant un guitariste (acoustique) et chanteur, un violoncelliste et un flûtiste, accompagnés sur certains morceaux par un percussionniste et d’autres invités. L’ensemble sonne plutôt british folk acoustique, style années 1970, d’autant que les textes sont généralement chantés en anglais. L’album contient principalement des ballades romantiques, des chansons aux atmosphères oniriques ouvragées grâce à de séduisantes envolées de flûte et de mélancoliques soli de violoncelle qui ajoutent une teinte plus classique. Ça et là, on décèlera quand même quelques séquences rythmiques et mélodiques plus typiquement russes. Il faut noter aussi la présence de deux pièces instrumentales ouvrant sur des horizons sonores un peu différents et tirant sur le médiéval, l’une étant jouée exclusivement sur des flûtes avec soutien de percussions, et l’autre usant d’une instrumentation à vents classiques, type cor anglais, hautbois, etc. Ce sont aussi les deux seules pièces à porter des titres en russe…

Toutefois, la teinte générale est à la contemplation nostalgique d’un fantasme de sérénité paradisiaque évidemment perdue à notre époque de bruit et de fureur… On peut en sourire, en se disant que cette approche est dépassée et a quelques années de retard, mais on peut aussi bien se laisser porter par cet univers aux vertus lénifiantes qui a le mérite de s’afficher sans fard, sans modernisation superfétatoire, avec une conviction à toute épreuve et une inspiration sans défaut.

NAMGAR – Hatar (SKMR 008)

Namgar-hatarDans le premier volet de notre dossier sur les musiques et chants d’Asie centrale (Chansons des gorges froides), nous vous avions déjà présenté Namgar LHASARANOVA, chanteuse installée en Russie mais élevée dans une famille nourrie de tradition musicale bouriate, dans un village à l’est du lac Baïkal, en Sibérie du Sud. Elle a donné son nom à son groupe, NAMGAR, dont le répertoire est constitué de chansons et de mélodies que partagent les peuples bouriates et mongols. Des liens culturels ancestraux connectent en effet ces deux peuples, en dépit de la colonisation russe à laquelle durent se soumettre les Bouriates au XVIIe siècle. Du reste, la tribu bouriate Hori, de laquelle descend Namgar, a combattu en son temps auprès de Genghis KHAN. Et paradoxalement, c’est la tradition bouriate qui a préservé certains genres de danses et de chants provenant de l’ancien empire mongol, alors qu’ils ont disparu des régions mongoles.

Se posant en passeur de cet héritage commun à la Bouriatie et à la Mongolie, Namgar a à plusieurs reprises partagé la scène du festival norvégien de musiques ethiques Riddu-Riddu avec quelques renommées asiatiques comme CHIRGILCHIN et Bolot BAIRYSHEV, ou des célébrités internationales comme Mari BOINE. Déjà auteur d’une démo naguère disponible en mp3 que l’on pouvait télécharger sur son site, NAMGAR présente sur Sketis Music son premier véritable CD, Hatar, habillé d’une illustration de pochette admirablement burlesque et décalée par rapport aux habituelles productions trad’.

De son impressionnante voix haut placée, mélodieuse et dynamique, NAMGAR interprète une sélection inédite de chants bouriates et mongols bénéficiant de somptueux arrangements faisant intervenir divers instruments à cordes : le luth à trois cordes chanza est joué par Eugene ZOLOTARYOV, alias JIPO, tandis que la célèbre vièle à tête de cheval morin-khour et la cithare yatga sont jouées par deux musiciens mongols, respectivement ALTANGEREL et Jamyan « URNA » URANTOGS. JIPO, ALTANGEREL et URNA combinent aussi sur plusieurs pièces leurs voix à celle de NAMGAR, auxquelles s’ajoute par endroits le chant de gorge de l’artiste mongol BATTUVSHIN, créant ainsi une palette vocale dense et contrastée, que viennent aérer la guimbarde et la flûte limbi du même BATTUVSHIN. Les percussions de Nikolai KSENOFONTOV assurent une assise rythmique acoustique calquée sur les trots et les galops chevalins tandis que les bols tibétains et le koryaga (instrument qu’il a inventé lui-même) de Yuri BALASHOV sculptent le mystère des instants les plus contemplatifs du disque.

Narrant les exploits épiques de tel antique héro régional ou les éternelles beautés environnementales, ou invitant sans détour à prendre part aux chaleureuses danses bouriates yokhor et neryenn, les chansons de Hatar (danse en cercle) illustrent à merveille quelque chevauchée soutenue dans les steppes fouettées par les vents, ou ces veillées nocturnes au coin du feu sur les rives du lac Baïkal, ou encore d’envoûtantes visions chamaniques. NAMGAR s’impose d’ores et déjà comme une formation de haut vol éminemment recommandable aux amateurs de musiques émanant des rustiques plateaux sibériens.

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Les CD Sketis Music ne sont à l’heure actuelle pas distribués en France. (On cherche un distributeur volontaire…) Si vous souhaitez vous procurer ces disques et en savoir plus sur le label, visitez le site : www.sketismusic.ru/

On peut aussi se procurer ces CD sur le site américain : www.cdroots.com

Dossier réalisé par Stéphane Fougère

 

 

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