THINKING PLAGUE : La Pensée bubonique

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THINKING PLAGUE

La Pensée bubonique

Avant 1998, année de parution de son quatrième album, In Extremis (Cuneiform Records),le groupe américain THINKING PLAGUE était pratiquement inconnu dans le milieu progressif européen, si ce n’est de quelques amateurs de prog’ avant-gardiste à la mémoire vive, puisque Chris CUTLER avait quand même publié sur son label ReR Megacorp le troisième disque du groupe, In This Life, en… 1989 !

Quant aux deux premiers albums du groupe, à moins d’habiter les environs de Denver au milieu des années 1980, il y avait peu de chances de pouvoir les découvrir… Félicitons donc le bienveillant label Cuneiform de s’être décidé à en assurer la réédition cette année. Et remercions le festival MIMI à Arles d’avoir programmé THINKING PLAGUE (dont c’était probablement le premier concert en France) pour son édition 2000, car la musique de ce groupe est de celles qui redonnent incontestablement ses lettres de noblesse au terme « progressif », quitte à confondre les amateurs du genre.

Quelques heures avant le concert, Mike JOHNSON, le principal compositeur de THINKING PLAGUE, recevait amicalement les journalistes pour une conférence de presse amicale qui s’avéra riche en enseignements. Morceaux choisis.

Entretien avec Mike JOHNSON (THINKING PLAGUE)

Pourquoi avoir choisi un tel nom (la « peste pensante ») ?

Mike JOHNSON : Bob DRAKE (basse, chant et violon) et moi-même nous amusions dans mon appartement et cherchions des noms opposés comme LED ZEPPELIN, IRON BUTTERFLY, etc. La musique très complexe du groupe nous fit penser à ce nom : une peste qui pense ou penser à la peste ou encore attraper la peste par la pensée !

Pourriez-vous nous parler de votre parcours personnel ?

MJ : J’ai 47 ans. Dans les années 1960, il y eut la British Invasion, les KINKS, les ANIMALS, etc. On me donna une guitare à 11 ans (sans que je n’ai rien demandé !). Mon frère en avait une aussi. Dès 13 ans, je jouais dans un groupe de rock’n’roll.

Puis je découvrais le rock progressif. KING CRIMSON, j’ai adoré. Mon frère m’a ensuite fait découvrir CHOSTAKOVITCH, puis HENRY COW, SLAPP HAPPY, ART BEARS…

À la fin des 80’s, j’ai fait 2-3 ans d’études musicales que je n’ai jamais terminées. Je suis autodidacte à la guitare et quasiment pour la composition. J’ai appris beaucoup plus tard le nom des choses ! Une blague sur les guitaristes : « Comment les rendre silencieux ? En leur présentant une partition. » J’en fait partie ! (rires) Je sais lire la musique, mais je dois l’étudier.

Comment avez-vous rencontré les «bons» musiciens ?

MJ : Bob DRAKE, c’était par annonce en 1978. Nous aimions les mêmes choses. Nous avons beaucoup composé durant 9 ans, fait des cassettes avant le premier 33 tours en 1987. C’est un processus lent. En 1982, nous décidâmes de créer un groupe. Ce n’était pas très bon (rires).

Nous nous faisions huer ! Allan GINSBERG, le poète, nous compara même à « du STRAVINSKY avec une rythmique rock ». Nous n’avions ni fric, ni studio, seulement une baraque avec un 8 pistes et c’est là qu’on a fait le premier album ! Mon frère me prêta de l’argent et je fis presser 500 exemplaires du LP. Bob a peint au pinceau les 500 pochettes, une à une ! On en a envoyé partout (ReR, Rough Trade, etc.). Chris CUTLER en a pris 200 d’un coup !

Nous faisions des concerts dans notre région. On avait à l’époque un très bon groupe de scène avec Susanne LEWIS au chant, plus deux claviers, basse, guitare et batterie. Étrangement, notre premier CD (In This Life) est celui qui s’est le plus vendu ! Susanne nous a ensuite quitté pour habiter New York. Bob avait besoin d’argent. Il a ainsi bossé pour des gens comme Quincy JONES, BOYS IN THE HOOD, etc. !

En 1989, il rencontra Dave KERMAN de 5UU’s. Nous sommes malheureusement tous très éloignés les uns des autres géographiquement et tous impliqués dans plein de trucs différents ! Ce qui rend les choses difficiles : c’est tellement dur de trouver les bonnes personnes ! Je dois maintenant tout faire : Bob était l’ingénieur du son et le producteur, j’étais le compositeur. Je suis désormais producteur, ingénieur, manager et ça me prend beaucoup de temps.

En 1995 ils m’ont invité à jouer en Europe avec 5UU’S, car Bob et Dave (KERMAN) partaient vivre en France. Nous avons donc tourné en jouant quelques morceaux de THINKING PLAGUE et du 5UU’S bien sûr. En 1989, j’ai rencontré Dave WILLEY (basse, accordéon) et Deborah PERRY (chant), laquelle avait déjà essayé d’intégrer le groupe auparavant et s’était fait jeter par Bob au motif « pas assez bonne » !!! On a essayé trois ou quatre batteurs différents, plusieurs bassistes, quand un était bon, invariablement il déménageait !

Denver est vraiment la ville que tout le monde fuit ! Même si les choses sont en train de changer, si vous voulez faire de la musique, faire de l’argent, vous allez à Los Angeles, New York ou Nashville… mais pas à Denver !!!

Sur In Extremis, il y a trois groupes différents. La raison en est que j’allais chez Bob DRAKE à Los Angeles avec ma musique. Il s’occupait de la production et du mixage. C’est un peu « 5UU’S joue THINKING PLAGUE » ! Par exemple, il a fallu trois ans pour enregistrer, mixer et diviser en plusieurs parties le morceau Les Études d’Organism et ce dans trois studios différents ! Il en existe trois versions différentes !

L’improvisation et THINKING PLAGUE…

MJ : L’improvisation, c’est selon moi ce qui apparaît à certains
moments et puis s’arrête. C’est un reste de concentration. C’est pour le fun ou pour l’atmosphère. Nous avons un autre groupe, HAMSTER THEATER, fondé par Dave WILLEY, et sur scène on improvise beaucoup !

 L’improvisation n’est pas le but de THINKING PLAGUE. Des gens comme Chris CUTLER ou Fred FRITH le font fort bien. D’ailleurs, l’improvisation guitaristique de Fred sur Organism (album In This Life), je déteste dire ça, mais c’était purement gratuit ! Nous avons profité du fait que Fred était là. On s’est dit que, peut-être, avec son nom sur la pochette, plus de gens achèteraient le disque. Je ne ferai plus jamais ça maintenant !

Low-fi / Hi-fi ?

MJ : Bob est le maître du low-fi. Il est capable d’enregistrer dans une simple pièce comme celle-ci, un micro d’un côté, sa guitare de l’autre et bidouiller tout ça à l’ordinateur ! Bob a fait des enregistrements fabuleux sur cassette 4 pistes ! (rires)

Pourquoi tant de temps entre les albums ?

MJ : J’écris lentement ! Personne ne me donne d’argent pour le faire. Je travaille pour rien ou si peu ! Mais ma liberté créatrice est totale… Je ne pense ainsi jamais à ce qu’un morceau pourrait donner en concert, car je n’obtiendrai jamais ce que je veux. Les versions « live » sont pour moi des réductions sonores des versions studios.

Ainsi ma musique est-elle pensée exclusivement pour un groupe. J’ai aussi de très bonnes relations avec le label de Steve FEIGENBAUM (Cuneiform Records), car il travaille si dur pour vendre, promotionner les artistes dont il s’occupe. Je le connais depuis 1985 et je ne l’ai rencontré qu’en septembre 1999. Il est le seul sur qui on puisse compter aux États-Unis si on joue ce type de musique.

Pensez-vous faire partie d’une « communauté » de musiciens ?

MJ : Non, je ne me sens absolument pas en faire partie. Dave KERMAN m’a écrit après la parution de Moonsongs, mais je ne pense pas du tout jouer son style de musique. Je n’ai rien à voir avec HAPPY THE MAN ou TRANSATLANTIC, par exemple, que l’on a vu au dernier Prog’fest.

Merci Mike et bon concert.

Propos recueillis par Renaud Oualid –
Photos : Cuneiform Records &
Thomas Chaussade (photos concert)

 

DISCOGRAPHIE THINKING PLAGUE

… A Thinking Plague (LP, Autoproduction, 1984 – K7, Endemic,
1986)
Moonsongs (K7, Endemic, 1986 – LP, Dead Man’s Curve,
1987)
In This Life (CD, ReR, 1989)
In Extremis (CD, Cuneiform Records, 1998)
Early Plague Years (… A Thinking Plague + Moonsongs) (CD,
Cuneiform Records, 2000)
PARTICIPATION :
The ReR Quarterly, Volume 4, Number 1 (un morceau live :
How To Clean Squid) (CD, ReR, 1994)

(Article original publié dans
TRAVERSES n°7 – octobre 2000)

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