Véronique VINCENT & AKSAK MABOUL (with THE HONEYMOON KILLERS) – Ex-Futur Album

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Véronique VINCENT & AKSAK MABOUL
(with THE HONEYMOON KILLERS)
– Ex-Futur Album (Crammed Discs)

12inch_gatefold_v92012.inddQu’on le veuille ou qu’on le déplore, la période actuelle est propice au raclage de fonds de tiroir et de grenier, voire de fouille sous les oreillers, et force est de constater qu’on y trouve de tout, c’est-à-dire des choses qu’on croyait perdues, des choses qu’on aurait mieux fait de laisser perdre et d’autres qu’on avait oubliées de publier, ou qu’on n’a pas pu faire publier avant.

C’est sous cette dernière occurrence qu’il faut ranger le cas de cet Ex-Futur Album, nommé ainsi pour l’occasion, histoire de lui trouver une case. Car à l’époque où il a été conçu (de 1980 à 1983), ce disque peinait à se faire étiqueter, ce qui a entraîné sa mise à l’écart. On parle aujourd’hui de pop avant-gardiste, définition ironique s’il en est, puisque les termes pop et avant-gardiste sont précisément de ceux que l’on ne songeait pas à faire cohabiter dans ces glorieuses (ironie encore !) années 1980.

Cette conjugaison des extrêmes est pourtant un jeu auquel AKSAK MABOUL se prêtait volontiers, tout autant que le passage du coq à l’âne. La répétition d’une même esthétique musicale n’ayant pas été le fort du groupe belge, on est passé de l’expérimentation minimaliste et « cheap » du duo Marc HOLLANDER / Vincent KENIS sur Onze Danses pour combattre la migraine (1977) à la sophistication sauvage stravinsko-zappaïenne (avec Fred FRITH, Chris CUTLER, Denis VAN HECKE, Frank WUYTS, Michel BERCKMANS, Catherine JAUNIAUX…) pour Un peu de l’âme des bandits (1980). On aurait bien vu le groupe passer en mode impro-punko-bruitiste pour son troisième album, mais à la faveur d’une volte-face typiquement aksak-maboulienne, il a opté pour une pop d’avant-garde plus tendance… enfin non, encore moins tendance, sans quoi cet Ex-Futur Album, s’il avait été vraiment conforme aux normes du show-biz, serait sorti en temps et en heure !

Il y a toutefois une logique à ce cheminement vers l’option musicale prise pour ce disque, si l’on tient compte d’un fait parallèle, à savoir la rencontre fusionnelle d’AKSAK MABOUL avec LES TUEURS DE LA LUNE DE MIEL, combo débraillé mené par le « frontman » Yvon VROMMAN et dont le premier album, Special Manubre !, est comme par coïncidence lui aussi sorti en 1977, œuvrant dans le pastiche iconoclaste punk virulent. Quatre années plus tard, quand LES TUEURS, complétés par le duo de base d’AKSAK MABOUL, anglicisent leur nom, le style a bien changé, plus orienté pop synthétique (avec incrustations expérimentales, on vous rassure !) et leur reprise de TRENET parue en single (Nationale 7) passe pas loin du tube en France et en sera un en Allemagne (allez savoir pourquoi…). Enfin, les quelques pièces qu’AKSAK MABOUL a légué à la même époque pour le Vol.1 de la collection Made to Measure confirment ce penchant pour le new beat-downtempo non orthodoxe.

C’est au creux de cette période que Marc HOLLANDER, Vincent KENIS et quelques autres TUEURS (ou KILLERS) avec les participations à la dérobée de Michel BERCKMANS et Catherine JAUNIAUX, ont conçu des maquettes avec celle qui était devenue la chanteuse des HONEYMOON KILLERS, Véronique VINCENT. Non terminées, laissées à l’abandon, ces maquettes ressurgissent donc trente ans après, à peine retouchées, histoire de préserver leur naïve fraîcheur lo-fi subrepticement perverse.

Une écoute non avertie les trouvera indéniablement datées, et pour cause ! Si elles étaient sorties à l’époque, on les aurait trouvées trop « chelou », pas correctement formatées, un poil trop insolite aux entournures. Les élucubrations sonores et autres fantaisies musicales plastifiées de HOLLANDER et KENIS, dopées aux clins d’œil minimaliste, classique, rock new-wave ou exotica-toc n’y sont évidemment pas étrangers, pas plus que la voix nonchalante et évasive de Véronique VINCENT, dont les textes surfent avec une indolente subtilité entre divers degrés d’interprétation.

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On laissera donc tout un chacun comprendre comme il le souhaitera des propos tels que « J’ai un cœur d’esquimau, je suis née dans un frigo » (Veronika Winken) ; « L’important c’est la santé, vieux ! Mais la santé de riche, c’est bien mieux » (Afflux de luxe) ; « Je veux retourner avant le ventre de mes parents » (Chez les Aborigènes) ; « J’aime un archi-tiède, archi-absent, style artichaut évanescent » (Je pleure tout le temps) ; « Je suis cette voyeuse voleuse de paysages trafiqués, j’y installe des intentions creuses que je comble de piqués » (Le Troisième Personnage), et autres perches à la crème psychanalytiques…

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Jamais en retard d’une avance (sauf en matière de parution) sur les tendances du marché musical, l’Ex-Futur Album a même prévu ses propres remixes qui, curieusement, ne sont pas présentés comme des « bonus tracks », mais font partie intégrante de l’album. Du coup, Luxurious Dub, The Aboriginal Variations ou I’m always Crying respectivement dérivés d’Afflux de luxe, Chez les Aborigènes et Je pleure tout le temps, donnent l’impression d’assurer une fonction de remplissage.

En revanche, les vrais bonus tracks sont plus enthousiasmants. Pour ne citer que les trois bonus présents sur le CD (trois autres sont disponibles en digital avec un code de téléchargement fourni avec le CD comme avec le LP), les versions live de Réveillons-nous et de Mit Den Eingeborenen (Chez les Aborigènes), tirées de l’unique concert de Véro et des « MABOULS » pour Radio Bremen en 1982, ajoutent une dimension plus rock, plus groove et plus humaine comparées aux versions studio d’origine, qui sont emballées de programmations rythmiques en forme de faux claquements de mains un peu lassantes à la longue. Quant à la troisième variante de I’m always Crying, malicieusement rebaptisée I’m always Remixing, elle ajoute, en plus des violon et clarinette, le basson de Michel BERCKMANS, déployant ainsi la dimension « pop de chambre » de cette chanson dont la mélodie a décidément un air de déjà-entendu…

Alors certes, les fans d’Onze Danses pour combattre la migraine et d’Un peu de l’âme des bandits, en bons soldats du rock in opposition hérité de STRAVINSKY, risquent de prime abord de se sentir moins concernés par le style musical de cet Ex-Futur Album, assurément plus près d’ELLI & JACNO que d’UNIVERS ZÉRO. Les amateurs des HONEYMOON KILLERS, eux, seront en terrain déjà plus familier. Mais si vous trouvez que c’est vraiment à pleurer, alors vous êtes bons pour accompagner Véronique VINCENT, qui, elle aussi, pleure tout le temps, sur un air qui vous sera plus familier que vous ne le pensez ! Ne vous fiez pas aux apparences, ce sacré Igor n’est pas si loin…

Stéphane Fougère

Label : www.crammed.be

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