Youri DEFRANCE – Ongod

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Youri DEFRANCE – Ongod
(Wild House Blues)

Les voyages les plus réussis ne sont pas seulement ceux qui nous ont fait faire des kilomètres à pieds, à cheval, en moto, en voiture ou en vélo couché sous un ciel de plomb ou des averses intarissables, sous bons vents ou sous vents contraires, mais aussi ceux qui nous ont fait faire un sacré bout de chemin au centre de nous-mêmes, qui ont creusé notre sentier intérieur. Un séjour en Mongolie aura été pour Youri DEFRANCE le déclencheur d’un nouvel investissement dans la musique dont l’enjeu dépasse même celle-ci.

Auparavant musicien dans des groupes de rock psychédélique dès l’adolescence, puis parti à travers tous les continents du globe en solo en s’éclairant de la lumière rugueuse des Bluesmen du Delta (Mississippi John HURT, Nehemiah Curtis « Skip » JAMES, Son HOUSE…), Youri DEFRANCE a joué à fond la carte de la « bourlingue » chère à un Blaise CENDRARS. Et c’est dans les profondeurs de la taïga qu’il a été initié par une chamane de la tribu Tsaatane. Depuis lors, son rapport à la musique s’en est trouvé bouleversé, le chamanisme mongol l’ayant poussé à aborder sa démarche artistique comme une pratique introspective de « lâcher prise ». Pour autant, Youri DEFRANCE, en tant qu’artiste, ne s’est pas converti au folk mongol ; il en a intégré les composants à une approche beaucoup plus personnelle qui est également nourrie de plein d’autres sons et visions provenant de ses voyages et de ses rencontres.

Car son initiation, Youri DEFRANCE l’a aussi poursuivie auprès de diverses tribus, les Warlpiri australiens, les Makhas et les Lakota amérindiens, etc. Outre un surplus de d’illumination et de découverte de lui-même, il en a ramené des instruments à cordes « ethniquement » enracinés. À l’instar d’un Richie HAVENS jouant du sitar dans Mixed Bag et Something else again ou d’un LED ZEPPELIN s’ouvrant au folk acoustique dans son album III, Youri DEFRANCE a enrichi son univers blues de « véhicules » instrumentaux qui renvoient simultanément l’écho de plusieurs cultures, phagocytées dans une vision on ne peut plus personnelle mais toujours respectueuse.

Ongod est le fruit de cette plongée dans des mondes aussi éloignés géographiquement que spirituellement du monde urbain occidental et poursuit et perfectionne la démarche déjà développée dans les albums Moon Rock my Soul, The Corridor, The Turning Point, crédités à Youri BLOW. Allez savoir si le changement de nom d’artiste correspond au franchissement d’une nouvelle étape spirituelle, mais ceux qui ont suivi Youri depuis le début se trouveront avec Ongod en terrain familier, c’est-à-dire complètement perdus dans une jungle de sons rustiques et sauvages aux résonances multidimensionnelles.

Bardé d’une pléiade d’instruments à cordes (guitares acoustique et électrique, vièle mongole « morin-khuur » à tête de cheval, mandoline, guimbarde, violon…), notre musicien-bourlingueur multiplie souvent les couches instrumentales, mais n’a gardé que les premières prises, sans aucune retouche. Il a ajouté ça et là quelques percussions variées, et bien sûr, outre le chant blues, le chant diphonique « höömi » s’invite tout naturellement dans le décor, dans ses inflexions surtout graves (style « kharkhiira »).

Il émane de cette mixture instrumentale et vocale une force vibratoire sidérante, à la portée incantatoire garantie. N’attendez pas de Youri DEFRANCE une musique de relaxation vernie de colorants méditatifs lisses et inoffensifs. Cette musique-là sent la poussière des grands espaces, respire les vents des plateaux arides, agrippe les étoiles les plus saillantes, accroche les rocs les plus tannés de soleil, s’imprègne de fumées guérisseuses, collectionne les rêves les plus antiques, hurle à la vie comme les loups à la mort et, surtout, elle est peuplée de ces « ongod » (esprits, en mongol) dont les manifestations subtiles encouragent à une meilleure connaissance de son monde intérieur. C’est la raison d’être de cet album.

Ongod invite à une renaissance par les sons. La pochette réalisée par Reza RIAHI va dans ce sens : on y voit un fœtus, mais quand on déplie le digipack, on réalise que l’illustration se déploie sur son verso, et que ledit fœtus se fond avec… une oreille. Outre que cette pochette rappelle, sûrement accidentellement, celle de l’album Rocksession du groupe psyché allemand EMBRYO (où l’on voit, dans un style kitsch, un fœtus jouant de la guitare tout en étant relié par son cordon ombilical à une oreille), elle s’inscrit en fait dans une symbolique qui fait écho à des savoirs ancestraux en matière de médecine. Au moins l’auditeur est-il averti qu’Ongod lui servira une « bonne médecine» pour son âme.

Vous avez perdu votre « spirit-catcher » ? Procurez-vous Ongod, et laissez-vous envoûter par ses esprits sonores ; ils vous guideront vers un état de sérénité aux éblouissements infinis…

Stéphane Fougère

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