Fred FRITH – Cheap at Half the Price

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Fred FRITH – Cheap at Half the Price
(Fred Records / ReR Megacorp)

Après Gravity et Speechless, Cheap at Half the Price est le troisième album « solo » que Fred FRITH a réalisé à l’époque (1983) pour le label américain Ralph Records. Il est sorti la même année que son disque avec Lol COXHILL, French Gigs, mais ne lui ressemble vraiment pas ! De la part de quelqu’un qui avait conçu les « quintessentiels » albums sus-cités et qui s’était commis dans HENRY COW, ART BEARS et MASSACRE, on s’attendait à tout… mais assurément pas à un disque pareil ! Prenant tout le monde à court, FRITH réalise un disque qui contient majoritairement des chansons ! Oui, à la stupeur générale, Fred chante – ce dont on ne s’était guère douté jusqu’à présent –, et son chant est de préférence haut perché ! C’est donc la première grande surprise que nous apporte ce Cheap at Half the Price.

Autre surprise, FRITH tient cette fois tous les instruments, ceux qu’on lui connaît (guitare, violon, basse six-cordes, xylophone) et ceux qu’on lui découvre, soit un Casio 101, le « synthétiseur du pauvre » en somme, plus quelques « home mades », le tout enregistré sur un TEAC « quatre-pistes »…

Il y a de quoi faire courir tous les bruits possibles et imaginables : pauvre Fred, perdu dans NYC, fauché comme les blés (« quand on n’a pas l’sou », chantait l’ÉTRON FOU…), obligé de travailler sa musique avec un équipement dérisoire, incapable de se payer un musicien, obligé pour s’en sortir de faire de la… Stop ! Gare aux jugements trop hâtifs !

C’est vrai, ce disque avait tout à l’époque pour déplaire à ceux qui avaient connu les travaux précédents de FRITH et s’attendaient à un disque du même acabit, ceux-là même qu’il appelle les « snobinards de la musique progressive ». Rendez-vous compte, même son complice Chris CUTLER était tombé de haut devant tant de « simplicité » musicale !

Mais à bien l’écouter (surtout avec le recul des années), Cheap at Half the Price n’est pas le faux pas ou l’entorse que l’on a préféré y voir. Au contraire, il est en quelque sorte un trait d’union (certes biaisé) entre les précédents et les futurs travaux du compositeur et multi-instrumentiste anglais.

L’opportunité nous est donnée aujourd’hui de réévaluer Cheap at Half the Price avec cette réédition remixée à partir des masters. Cette première expérience de « home recording » de Fred s’avère en effet bourrée d’inventions, au moins en termes de production. Tout « low tech » qu’il paraît, le Casio 101 est utilisé d’une manière très inspirée, et Fred distille çà et là de très beaux soli de guitare et de violon, comme de coutume, tout en chantant fort bien, jouant sur les contrastes de timbres entre la voix « lead » et les chœurs.

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C’est vraiment l’album solo par excellence, encore qu’on y décèle quelques apparitions sporadiques d’invités comme Tina CURRAN et Bill LASWELL à la basse, et d’autres interventions à caractère plus fantomatique. FRITH a en effet recyclé des prises effectuées durant Gravity, comme le jeu de batterie de Hans BRUNIUSSON (SAMLA MAMMAS MANNA), ou celui de Paul SEARS (THE MUFFINS) sur What a Dilemma, repris sur Some Clouds Do ; ou encore les battements de mains d’AKSAK MABOUL sur Don’t Cry for me, réutilisés pour Absent Friends.

Un autre lien, plus musical celui-là, avec Gravity se fait jour dans certaines pièces avec l’influence toujours présente de thèmes folkloriques est-européens et scandinaves (Instant Party, Absent Friends…). D’autres compositions encore sont imprégnées d’éléments renvoyant à l’esthétique d’autres artistes avec lesquels Fred a travaillé, comme les RESIDENTS (Cap the Knife, Walking Song…) ou Robert WYATT (Too Much Too Little).

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Loin de le contraindre, le format « pop » inspire de belles idées à FRITH, qui ne se prive pas en retour pour bouleverser les conventions du genre, tout en débitant des textes volontiers engagés ou cyniques qui ne sont évidemment pas de nature à être entendus en « prime time » ! Avec sa rythmique nerveuse et cette voix lugubre, Same Old me est un parfait exemple de toute l’ambiguïté inhérente au propos. Dans une certaine mesure, on peut appréhender Cheap at Half the Price comme un prototype de la démarche que FRITH allait développer les années suivantes avec Tom CORA dans leur duo SKELETON CREW.

De toute façon, il serait un peu réducteur de qualifier Cheap at Half the Price d’album pop, au moins parce que la seconde partie du disque (la face B originaire) offre des pièces plus instrumentales aux allures résolument expérimentales, tel le très inquiétant Flying in the Face of Facts, ou encore Heart Bares (oui, très drôle !), qui semble sortir d’une démo de Brian ENO…

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Depuis plus de vingt ans qu’est sorti ce disque (certes un peu dans l’ombre dans les premiers temps, comme par hasard…), les aficionados de l’œuvre de Fred FRITH ont certainement rendu justice à cet opus présenté comme simpliste. Cette réédition (qui omet les deux morceaux bonus de l’édition RecRec, comme sur les autres rééditions de Fred Records) devrait permettre aux autres d’en faire autant, à commencer par les séides d’un rock complexe et ultra-sophistiqué qui ne trouveront pas meilleure occasion de mettre leurs œillères au défi.

Quelques années plus tard, Fred FRITH fera jouer quelques pièces de cet album à son groupe KEEP THE DOG, qui les transcendera de manière à les faire cohabiter avec des pièces plus ambitieuses et expérimentales. Voilà une autre preuve de la malléabilité des frontières…

Stéphane Fougère

(Chronique originale publiée dans
TRAVERSES n°23 – mars 2008,
et remaniée en 2021)

Site : www.fredfrith.com

Label : www.rermegacorp.com

Page : https://fredfrith.bandcamp.com/album/cheap-at-half-the-price

Distributeur : wwww.orkhestra.fr

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