BaBa ZuLa : Psyché Roots à la Turque

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BaBa ZuLa

Psyché Roots à la Turque

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Fondé à Istanbul en 1996, BaBa ZuLa se distingue par une fusion originale de la musique et des instruments traditionnels turcs et de la modernité des machines et du saz électrifié, et par un goût prononcé pour l’improvisation et l’expérimentation. Le groupe, qui compose ses propres musiques et textes, était formé en 2009 de trois musiciens : les deux fondateurs Murat ERTEL (saz et chant) et Levent AKMAN (machines et percussions), ainsi que Cosar KAMCI (darbuka), Ceren OYKUT (dessins) et d’une danseuse. Retour sur l’histoire d’un groupe unique et envoûtant.

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Murat, vous êtes le seul groupe à avoir ce style musical en Turquie. Comment avez-vous créé ce concept?

Murat ERTEL : Nous vivons à Istanbul et nous sommes très influencés par la culture turque, la culture orientale et les cultures du monde à travers Istanbul. Nous utilisons des instruments traditionnels de la culture turque. L’un deux est très important : le saz dont je joue, aussi appelé balama parfois, est un instrument représentatif de notre culture, tout comme le ney est le symbole de la tradition soufi ou la clarinette représente la tradition tzigane turque. Le saz vient de l’ancienne tradition shamanique turque et c’est le premier et seul instrument turc à avoir été électrifié.

Istanbul vous inspire à la fois pour les racines et pour les musiques modernes ?

Murat : Notre musique est influencée par la géographique orientale et également par l’Occident. C’est là que se situe la ville d’Istanbul.

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babazula_tabuttarovasataLe premier album de BaBa ZuLa, Tabutta Rovasata – Somersault in the Coffin, sort en 1996 sur le label Ada Müzik. Il s’agit de la musique du premier film d’un réalisateur turc, Dervis ZAIM. Le groupe est alors composé de ses trois membres fondateurs, multi-instrumentistes : Murat ERTEL au saz électrique, à la guitare, à la basse, aux percussions turques et aux loops ; Levent AKMAN aux congas, bongos, cuillères et diverses percussions ; Emre ONEL à la darbouka, au bendir, aux machines et aux percussions. L’ambiance de ce premier album très inspirée par la musique turque est assez planante, voire étrange. Quatre acteurs du film sont même venus faire entendre leur voix chacun sur un titre. Le disque est ressorti pour son dixième anniversaire sur le label RH+ Music Publishing, mais n’est pas distribué et on le trouve difficilement.

babazula_17piecesfrom3playsPour son deuxième album, 3 Oyundan 17 Müzik’ (Seventeen Pieces From Three Plays), sorti en 1999 sur le prolifique label turc Doublemoon Records, BaBa ZuLa accueille un musicien supplémentaire, Bill MacBETH à la basse et aux samples, ainsi que huit invités jouant sur un titre ou deux. Parmi eux, le clarinettiste Selim SESLER sur Bahar, Ralph CARNEY au saxophone baryton sur Erotika et la chanteuse canadienne Brenna MacCRIMMON sur trois morceaux. L’album réunit dix-sept titres composés pour des films et des pièces, enchaînés sur une durée de quarante minutes. Les ambiances sont toujours aussi variées, voire érotiques avec des voix samplées dans Anam et bien évidemment Erotika avec ses parties de saxophone lancinantes.

babazula_psychebellydancemusicLe troisième album de BaBa ZuLa, Psychebelly Dance Music (Doublemoon), est réalisé en 2003 et bénéficie de l’apport au mixage de MAD PROFESSOR, l’un des chefs de file du dub anglais. Le trio fondateur du groupe est cette fois accompagné d’un nouveau bassiste, Oya Erkaya AYMAN, et de neuf invités à la basse, contrebasse, percussions, voix, claviers, guitare, clarinette, avec toujours au chant, sur quatre titres, la voix cristalline de Brenna MacCRIMMON.

Contrairement à ce qu’indique le titre de l’album, Psychebelly Dance Music, les quinze compositions qui s’enchaînent ne sont pas toutes dansantes, des ambiances planantes alternent avec les arrangements dub. La musique de BaBa ZuLa, toujours emprunte de la tradition turque et de psychédélisme, est fort justement nommée avec cet album « Oriental Dub ».

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Comment avez-vous rencontré MAD PROFESSOR ?

Murat : Nous avions fait un album et l’un de nos amis sur notre label nous a dit que c’était un album très dub et nous a suggéré de trouver un spécialiste du dub pour le mixer. Nous avons songé à Augustus PABLO (NDLR : musicien jamaïcain et producteur de reggae et de dub), mais nous avons appris qu’il était décédé. Alors nous avons pensé que MAD PROFESSOR serait très bien. On nous avait parlé d’un album que MAD PROFESSOR avait réalisé pour MASSIVE ATTACK et nous avons alors décidé de travailler avec lui.

Vous avez fait un second album avec lui, je suppose que vous êtes devenus amis ?

Murat : Tout à fait. Et c’est là où se situe la différence entre les deux albums. Nous avions fait le premier album sans penser à lui, puis il est arrivé et l’a mixé ; c’était magique pour nous. Nous avons enregistré l’album suivant en pensant que ce serait bien de travailler à nouveau avec lui.

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crossingthebridge_thesoundofistanbulEn 2005, BaBa ZuLa participe à la bande originale du film Crossing the Bridge – The Sound of Istanbul, réalisé par un allemand d’origine turque, Fatih AKIN (disponible sur DVD et sur CD chez MK2). Dans Crossing the Bridge – The Sound of Istanbul, Alexander HACKE, musicien du groupe allemand d’avant-garde EINSTÜRZENDE NEUBAUTEN, se rend à Istanbul pour dresser un portrait culturel et musical de la ville, avec des groupes venus de tous horizons, parmi eux le clarinettiste Selim SESLER, MERCAN DEDE, le hip-hop de SEZA, Sezen AKSU, l’une des grandes voix d’Istanbul depuis les années 1970, BaBa ZuLa et bien d’autres.

BaBa ZuLa a retravaillé pour ce documentaire musical deux de ses morceaux. Tavus Havasi, un court titre acoustique issu du premier album, au début calme et dépouillé évoluant en une minute trente en un rythme endiablé, est transformé pour l’occasion en une version électrifiée méconnaissable de plus de cinq minutes, psyché et dansante. Cecom, titre issu de l’album Psychebelly Dance Music est en revanche raccourci d’une minute. La chanson, écrite et interprétée par Brenna MacCRIMMON, est toujours aussi belle et lente, mais la production met davantage la voix en avant, des vagues et des oiseaux accompagnent le saz électrique et la basse, rendant un son plus ample. Dans les deux cas, les nouvelles versions sont totalement différentes des originaux mais valent tout autant le détour.

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Vous avez participé au film du réalisateur Fatih AKIN, Crossing the Bridge, qui est un très beau portrait de la ville d’Istanbul. Est-ce que vous trouvez que ce film est un reflet assez réel de la vie culturelle d’Istanbul ?

Murat : Pas toujours parce que c’est une très grande ville. Istanbul a un héritage culturel aussi riche qu’un pays. Le film montre une très petite portion de la scène musicale d’Istanbul mais je pense que Fatih AKIN est très sincère. Il a été élevé en Allemagne mais il a des racines turques. Il est venu à Istanbul pour l’explorer et a vraiment apprécié de jeunes groupes, parmi lesquels BaBa ZuLa. Il a demandé leurs influences à ces groupes qui ont cité des musiciens d’une génération plus ancienne, et il a inclus ces musiciens dans son film. Je pense que c’est un très bon début pour la scène musicale d’Istanbul mais bien entendu, ce n’est pas complet.

Comment a-t-il procédé pour choisir les musiciens ? Est-ce qu’il connaissait cette scène ? Est-ce que vous l’avez aidé ?

Murat : Je lui ai juste donné un conseil, car je ne voulais pas le diriger. Je lui ai dit de filmer une fille qui jouait du saz dans la rue, car il cherchait un musicien de rue et j’avais vu cette petite fille. Je pense que c’est très important, car nos musiciens de rue, à Istanbul, deviennent de plus en plus des joueurs de guitare et il y avait cette petite fille qui était la fille d’un musicien de rue aveugle ; je lui ai dit de filmer ça.

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babazula_dubleoryantalDuble Oryantal, quatrième album de BaBa ZuLa paru en 2005 (Doublemoon) est effectivement réalisé avec l’intention de d’accentuer le côté dub et reggae avec la présence de MAD PROFESSOR. Murat ERTEL au saz électrique et autres instruments à cordes mais aussi au theremin et au chant et Levent AKMAN aux percussions et machines, se sont entourés d’une douzaine d’invités aux percussions, clarinette, samplers, basses, chant féminin et masculin, guitare rythmique, etc.

Parmi les invités, on reconnaît le « troisième membre » Emre ONEL à la darbouka, aux samples et aux cymbales uniquement présent sur quelques titres, MAD PROFESSOR lui-même aux percussions sur un morceau, la chanteuse Brenna MacCRIMMON sur un titre seulement et à la basse Alexander HACKE, rencontré sur le tournage du film Crossing the Bridge – The Sound of Istanbul, qui a accepté de remplacer leur bassiste. Duble Oryantal, qui comporte 21 titres enchaînés sur un peu plus d’une heure, est plus dansant que les précédents disques, tout en conservant l’originalité qui caractérise le groupe.

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babazula_dondurmamgaymakBaBa ZuLa compose ensuite en 2006 pour la bande originale du film Dondurmam Gaymak du réalisateur turc Yüksel AKSU. Murat ERTEL et Levent AKMAN sont cette fois accompagnés par Cosar KAMCI à la darbouka et au zil.

L’album sort de façon plus confidentielle sur le label RH+ Music Publishing.

La musique de ce nouvel album est un peu un retour aux sources, puisque le dub y est absent et les influences traditionnelles turques beaucoup plus présentes, avec toujours des machines et un synthétiseur, et 23 morceaux courts enchaînés sur seulement 35 minutes. D’autres artistes turcs contribuent également sur quatre titres (15, 16, 18 et 21) à cette bande originale où l’on peut entendre des ambiances et extraits du film.

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Il serait dommage de ne parler que de la musique de BaBa ZuLa, car le visuel est également très important pour le groupe lorsqu’il se produit en concert. À l’inverse de ses albums qui contiennent de nombreuses pièces courtes, le groupe enchaîne les morceaux sur scène comme s’il s’agissait de longues pièces et n’hésite pas à improviser. Une danseuse (différente selon les concerts) aux diverses costumes colorés vient rehausser le show et hypnotiser les spectateurs avec sa danse du ventre. Une graphiste, Ceren OYKUT, est également présente sur la scène et un grand écran projette ses dessins réalisés en direct sur ordinateur.

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Ceren, est-ce qu’à chaque concert vous créez tous les visuels ou avez-vous déjà des palettes toutes faites en fonction des chansons ?

Ceren : Ce que je fais sur scène est très similaire à ce que fait BaBa ZuLa musicalement. C’est à moitié improvisé. Ils ont un concept et ils improvisent à travers ce concept. Je fais la même chose. Je crée à partir du concept d’une chanson.

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Les textes de vos chansons ont une grande importance, vous parlez beaucoup de société, d’amour, de paix, de sexe…

Murat : Nous ne voulons pas écrire de chansons sur les relations entre deux êtres, car il y a en a déjà beaucoup. Il y a tellement d’autres sujets plus importants que ça. Le fait que nous vivons dans ce monde est un sujet très important qu’on a tendance à oublier. Nous tuons pour vivre et nous devrions avoir du respect pour ça. Nous devrions être reconnaissants envers les plantes et les animaux que nous mangeons. Certains humains tuent aussi des humains.

On reste sur le respect, vous parliez aussi de votre engagement de citoyen politique pour essayer de changer l’image qu’on a du Turc, l’image négative parce que les droits de l’homme ne sont pas respectés. Vous avez participé aussi à des manifestations pour dénoncer tout cela. Racontez-nous tout cet engagement politique.

Levent : Le fait d’être Turc apparaît comme quelque chose de négatif. Je suis désolé de le dire, mais c’est ce que nous ressentons. Nous sommes très heureux que les gens s’intéressent à notre culture. Le fait qu’il y ait des connexions à travers l’art est une très bonne chose. Il est très difficile pour nous de venir ici dans un festival, en Europe. Nous avons des problèmes de visas : chaque fois que nous demandons un visa pour venir jouer en Europe, nous devons payer chacun 65 euros pour seulement 4 ou 5 jours. L’Union européenne n’est pas si riche puisqu’elle a besoin de notre argent ! Les festivals s’inquiètent de savoir si nous aurons notre visa pour venir.

C’est toujours un risque lorsqu’on prévoit de faire venir un Turc pour jouer en Europe. Nous avons besoin de solidarité. Le plus important est la connexion des cultures. Nous devons régler ces problèmes grâce à la solidarité et non par l’isolement. Car je crois que l’Union européenne veut s’isoler des autres pays, spécialement des pays de l’Est. Mais c’est difficile de s’isoler.

La Turquie est un peu la dernière forteresse de l’Europe. Si cette forteresse s’effondre, alors tous les terroristes et fondamentalistes islamistes vont s’envoler dans l’Union européenne. Nous devons nous allier pour les combattre ensemble.

Est-ce que vous écrivez des textes à connotation ouvertement politique ou évitez-vous de le faire ?

Murat : Oui nous en écrivons, mais nous sommes prudents et nous chantons de façon que nos textes soient compris par certaines personnes. Certaines de nos chansons ont été censurées par la radio et la télévision d’état, mais nous essayons toujours d’exprimer nos pensées à travers notre art. Pas seulement avec les textes, car je pense que notre musique peut donner aux gens un sentiment de révolte ou de pouvoir. Nous nous intéressons aussi à la cause des femmes dans cette révolte, car nous nous rendons compte que ce monde est devenu un monde d’hommes.

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babazula_kokler-rootsParlez-nous de votre dernier album…

Murat : Notre dernier album, Kökler, a été enregistré et produit par Mehmet ATES. Nous avons enregistré une performance en concert et nous avons utilisé les techniques des années 1950. Nous avons vraiment joué live.

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Kökler est sorti fin 2007 sur le label Doublemoon Records et, pour sa diffusion internationale, est sorti sous le titre anglais Roots. Il se distingue des albums précédents par une production plus sobre et en quelque sorte un retour aux sources. Retour aux sources ne veut pas dire pour autant retour au traditionnel entièrement acoustique, mais plutôt retour à une formation en trio avec Murat ERTEL au saz, à la guitare rythmique, aux percussions et au chant, Levent AKMAN aux percussions (def, bendir, cymbales, gong…) et aux machines, et Cosar KAMCI aux percussions turques, égyptiennes et japonaises. Brenna MacCRIMMON est la seule invitée et ne chante que sur un titre, Eternal is the Word of Poets.

babazula_rootsPour le reste, la construction de l’album est assez étonnante puisque la durée des vingt-neuf morceaux qui le composent se situe pour la plupart entre cinq secondes et quatre minutes ; Alexander, dédié au musicien Alexander HACKE, dure quand à lui sept minutes dans une atmosphère techno et expérimentale. BaBa ZuLa excelle dans son art qui mêle tradition et modernité avec les apports du psyché, du blues, du dub et du reggae (Blind Lemon Man, If I love they Kill me…, et les trois reprises dub à la fin de l’album), cette fois sans MAD PROFESSOR.

Les hennissements d’un cheval (Eternal is the Word of Poets), des chants d’oiseaux (Abbas Aga Park) et des bruitages sous-marins (Underground Water) viennent orner davantage cet album déjà riche en multiples couleurs.

Une chose est sûre, c’est qu’en revenant à ses « roots », BaBa ZuLa ne cherche pas à se figer, mais bien plutôt à se renouveler, à partir sur d’autres… routes !

Site : www.babazula.com

Article et traduction interview : Sylvie Hamon

Photos : Sylvie Hamon et Stéphane Fougère
(au Festival Les Escales de Saint-Nazaire, août 2007
et au New Morning à Paris, janvier 2008)

(Article original publié dans ETHNOTEMPOS n°41 – hiver 2009)

Voir le diaporama photos BABA ZULA aux Escales de Saint-Nazaire

Voir le diaporama photos BABA ZULA au New Morning à Paris

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