KING CRIMSON – Radical Action to Unseat the Hold of Monkey Mind

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KING CRIMSON – Radical Action to Unseat the Hold of Monkey Mind
(Panegyric)

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Parmi tous ces groupes affiliés à la mouvance progressive pionnière des années 1970 que l’on a entendu prétendre ne pas vouloir se retourner sur leur passé et continuer à explorer de nouvelles voies, peu auront finalement résisté à une (dernière) tentation nostalgique et « rétrospectiviste ». Toutes ces musiques que l’on croyait disparues à jamais ont fini par être rejouées, soit par leurs créateurs, soit par d’habiles « tributeurs », parfois même constitués d’anciens membres des groupes en question !

Au début des années 2000, KING CRIMSON plastronnait sous la pseudo-étiquette « nuovo metal » avec un son encore renouvelé (même si la musique avait déjà tendance à bégayer) et se lançait dans de défricheuses « projeKCtions ». C’était il y a une quinzaine d’années, autant dire une autre époque. Aujourd’hui, sous couvert de chercher à « ré-imaginer » (sic) son répertoire, KING CRIMSON est devenu son propre « tribute-band ». Sous l’appellation The Elements, les tournées annuellement renouvelées depuis 2014 – d’abord aux États-Unis puis en Europe, au Canada et au Japon – présentent un répertoire mêlant des pièces classiques de différentes époques, allant des débuts en 1969 jusqu’aux années 2000, plus de nouvelles compositions censées préfigurer l’avenir discographique de Sa Majesté.  Seule la période Discipline des années 1980, trop typée BELEW, a été esquivée, ce qui rend l’aspect rétrospectif de la démarche un peu bancal.

Le FRIPPon a déclaré que « ce » KING CRIMSON avait surtout été conçu pour faire de la scène et, éventuellement, un nouvel album (s’il en avait le temps…). Trois ans après la remise en service du groupe, la perspective d’un album studio inédit en est toujours au stade du flou artistique. En revanche, KING CRIMSON a garni son catalogue discographique de trois nouveaux enregistrements live plus ou moins redondants.

Il y a eu Live at The Orpheum, au contenu assez frugal et au mixage imparfait, puis l' »official bootleg » Live in Toronto, qui a le mérite de présenter un concert intégral avec une qualité sonore irréprochable. Mais même avec ces deux publications, le fan n’a pu avoir une représentation exhaustive de tout le répertoire joué par KING CRIMSON, dont on sait qu’il aime varier un tant soi peu ses set-lists d’un concert à l’autre.

Qu’à cela ne tienne, Radical Action to Unseat the Hold of Monkey Mind, somptueux coffret offrant son et image en 3 CD, 1 Blu-Ray et, dans une édition plus complète, 2 DVD, écrase ses prédécesseurs en présentant enfin l’intégralité des pièces jouées pendant la tournée 2015 et permet à ceux qui n’ont pu casser leur tirelire (qui avait intérêt à être bien garnie) de voir à l’écran à quoi ressemble un concert actuel de KING CRIMSON.

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Le groupe apparaît sur scène dans une disposition inhabituelle : les trois batteurs, Pat MASTELOTTO, Bill RIEFLIN et Gavin HARRISON sont sur le devant, et Mel COLLINS, Tony LEVIN, Jakko JAKSZYK et Robert FRIPP sont derrière, sur une scène rehaussée. Ces derniers étant assez statiques, l’intérêt visuel se porte sur les batteurs, dont on peut apprécier les gestuelles et les interactions. Il n’y a pas d’effets lumineux (sauf sur le final de Starless, baigné de lumière rouge), on voit les « éléments » de Sa Majesté Cramoisie jouer frontalement, un point c’est tout.

Pour égayer un tant soi peu le regard, il y a des plans de côté et des plans plus rapprochés sur untel ou untel et, surtout, il y a des plans superposés, ce qui permet de voir jouer un musicien en gros plan par-dessus deux ou trois autres pris en plan large. Ce genre de traitement esthétique ne sera cependant pas du goût de tout le monde… Parfois, on voit aussi le même musicien sous deux angles superposés, comme si son spectre jouait avec lui. Doit-on comprendre que KING CRIMSON est devenu l’ombre de lui-même ? (Je plaisante, bien sûr…) En tout cas, on voit enfin qui joue quoi et, cerise sur le gâteau, on voit Robert FRIPP sourire ! Si, si, même qu’il le fait plusieurs fois ! C’est à se demander si on a affaire au vrai bonhomme… Décidément, KING CRIMSON n’est plus ce qu’il était ! (Je re-plaisante, bien sûr…)

Le Blu-ray comprend un concert intégral (filmé au Japon), entrecoupé en son milieu par des prises en coulisses. Il est complété par deux morceaux bonus filmés lors d’un autre concert. Mais la scène est à ce point identique qu’on ne s’en rend pas compte. Les deux DVD comprennent le même concert, divisé donc en deux parties, et les bonus ont cette fois été placés à la fin du DVD 1, ce qui est plus logique en termes de progression dans la set-list. (Sur le Blu-ray, écouter Suitable Grounds for the Blues et One More Red Nightmare après le dévastateur 21st Century Schizoid Man, joué en dernier rappel, ça le fait moyen…)

Les 3 CD, pour leur part, ne reproduisent pas servilement le concert filmé. Dans un souci de démarquer la partie audio de Radical Action… des précédents albums live, tous les morceaux joués sur la tournée ont été ré-ordonnés et reclassés selon trois thématiques : le CD1, Mainly Metal, fait la part belle à Larks’ Tongues in Aspic 1 et 2 (avec The Talking Drum, bien sûr) et aux pavés plus récents que sont Level 5 (qui est lié à la saga Larks’ Tongues in Aspic) et The ConstruKction of Light, et la suite Radical Action 1 / Meltdown / Radical Action 2. Le CD 2, Easy Money Shots, contient une belle brochette de second couteaux du répertoire crimsonien et le CD 3, Crimson Classics, comprend principalement des pièces tirées des albums Red et In the Court… Et chaque CD a droit à sa pièce de percussions.

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Enfin, chaque morceau a été mixé de manière à sonner comme des versions de studio, et les manifestations du public entre les morceaux ont été supprimées. Du coup, vu que toutes les nouvelles compositions jouées par le groupe figurent dans ce coffret, on se demande si leur inclusion dans un éventuel prochain album studio serait pertinente…

Bref, on a bien compris que c’est moins la perspective d’illustrer un avenir artistique qui caractérise ce nouveau CRIMSO, mais davantage son penchant de plus en plus prononcé pour son « back catalogue », dans lequel il pioche à chaque tournée d’anciens trésors propres à faire baver tout auditeur nostalgique, en prenant soin de ne pas tout jouer à la fois à chaque concert !

Le Roi est certainement conscient que le regain d’intérêt du public et la « canonisation » médiatique dont il bénéficie actuellement est proportionnelle à sa détermination à capitaliser sur son glorieux passé. Alors soit, le FRIPPon a consenti à faire le tour de sa Cour, mais non sans la revernir.

La présence de trois batteurs et de deux guitaristes en interaction – sans parler du retour inopiné des cuivres de Mel COLLINS – est en effet censée servir de caution à cette entreprise de ré-imagination du répertoire classique, dans la lignée de ce que faisait déjà le double trio de 1995-1996. En fait, elle sert surtout à restituer moult détails des architectures sonores crimsoniennes telles qu’elles avaient été conçues en studio, et qu’un simple quartet de scène ne pouvait restituer à l’identique.

On avait aimé le CRIMSON de 1972-74 et les ProjeKcts de 1997-1999 pour leur propension à élaborer de généreuses pièces improvisées, au point qu’on s’était persuadé que la pratique de l’improvisation faisait partie de l’ADN de KING CRIMSON. Il n’en est ici plus question. La sauvagerie, l’expérimentation et la spontanéité ont été dûment canalisées, absorbées, diluées pour laisser place à une éléphantesque machinerie d’une remarquable précision horlogère – quitte à ralentir un peu les tempi sur certaines pièces, type Red, VROOOM ou Larks’ Tongues in Aspic Part. 2 – dont l’énergie et la force sont cependant indéniables. Nos vétérans font montre d’une maîtrise, d’une concentration et d’une discipline particulièrement impressionnante compte tenu de leur âge avancé. D’autres n’ont pas aussi bien vieilli…

Alors il faut bien reconnaître que, même si la titillation de la fibre nostalgique est presque outrancière de la part de KING CRIMSON, on se régale de réécouter les nouvelles-mais-pas-si-nouvelles moutures de Lark’s Tongues in Aspic Part. 1, Pictures of a City, A Sailors’ Tale, One More Red Nightmare, Easy Money, The Court of the Crimson King ou même le plus récent The ConstruKction of Light, qui tire sa nouveauté de l’intervention des saxophones et flûtes de Mel COLLINS qui lui donnent une teinte paradoxalement seventies… Starless s’est bonifié par rapport à la version du Live at The Orpheum, même si sa version studio reste indépassable en terme de densité émotionnelle. Et 21st Century Schizoid Man reste tout aussi magistralement possédé par un groove venimeux.

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On est cependant un poil dubitatif concernant la reprise d’Epitaph, que JAKZSYK n’interprète pas avec la même charge émotionnelle que Greg LAKE, et que le barouf des trois batteurs plombe royalement (même si Bill RIEFLIN intervient plus au simili-mellotron sur cette chanson). En revanche, JAKZSYK s’est joliment réapproprié les parties vocales des pièces les plus romantiques, comme Peace (an End), et The Letters (qui est assurément l’une des plus belles ré-imaginations de cette formation). Et quand on y pense, il supplée tout de même à trois précédents chanteurs (Greg LAKE, Boz BURRELL et John WETTON) ! Et sur le plan guitaristique, il fait un « répondant » convaincant à Robert FRIPP, dont la flamboyance n’est jamais mise en défaut.

Quant à Tony LEVIN, il est inaltérable, que dis-je inoxydable sur sa basse, sa contrebasse électrique et son Chapman Stick, même si cette panoplie instrumentale ne lui permet pas de restituer à l’identique le piqué sec et tendu d’un John WETTON. Mais arrêtons-là les comparaisons ; le nouveau KING CRIMSON n’a pas vocation à copier ce qui a été déjà fait, mais à ré-éclairer, rehausser et souligner ce qui n’avait pu l’être auparavant.

En ce qui concerne les nouvelles compositions, en dehors de celles jouées exclusivement par les trois batteurs et qui ressemblent plus à des interludes (The Hell Hounds of Crim, Banshee Legs Bell Hassle, Devil Dogs of Tessellation Row), la poignée d’inédits qui reste donne plus l’impression d’écouter des « outtakes » de The ConstruKCtion of Light (Radical Action, Meltdown) ou d’improbables faces B (Suitable Grounds for the Blues). Et depuis trois ans, le stock de nouveautés ne s’est guère accru, si ce n’est d’autres pièces pour batteries/percussions. Ça reste écoutable, mais pas nécessairement transcendant et encore moins innovant.

Le hic majeur, c’est que KING CRIMSON s’obstine depuis 2014 à nous persuader que des pièces bourrées de naphtaline comme A Scarcity of Miracles et The Light of Day, issues d’un dispensable album crédité à JAKSZYK, COLLINS et FRIPP, méritent de figurer dans son tableau de chasse discographique. Mouais…

Dans sa globalité, Radical Action… fait l’effet d’une séduisante anthologie mais, en termes de répertoire, son exhaustivité est déjà obsolète. En effet, dans sa tournée 2016, KING CRIMSON s’est mis à rejouer d’autres anciennes compositions qu’il n’avait pas encore déterrées, et parmi elles figure même une pièce majeure de l’époque « disciplinée » !

Une nouvelle tournée américaine étant planifiée pour 2017, on peut gager que le Roi cramoisi poursuivra la ré-imagination de son légendaire catalogue. Il faut donc s’attendre à ce qu’un autre album ou vidéo live ou coffret nous soit vendu l’an prochain. À ce rythme-là, c’est le budget des fans qui va être plus cramoisi que le Roi en question…

Stéphane Fougère

Site : www.king-crimson.com

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One comment

  1. Il aurait été utile et bienvenu de souligner à quel point la superposition d’images pollue la lisibilité du concert. Et ce ne sont pas des effets isolés, mais un recours quasi systématique. Usant pour l’oeil: à vouloir tout montrer, on finit par tout masquer. Bref, une réalisation classique aurait été plus judicieuse, ou à tout prendre des effets de mosaïque, ou n’importe quel procédé qui permet de voir et de comprendre ce qui se passe.
    Pour la partie audio, rien à redire, c’est du bel ouvrage. Quant aux critiques concernant les sorties incessantes du groupe, quel est le problème au juste ? On achète, ou pas. On aimerait avoir ce choix-là pour des concerts de qualité des années 70 il me semble…

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