FREE HUMAN ZOO – No Wind Tonight

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FREE HUMAN ZOO – No Wind Tonight
(EX-Tension Records)

Après Aïki Dõ RéMy (2014) et Freedom, Now ! (206), le FREE HUMAN ZOO rouvre ses portes en 2019 pour une nouvelle attraction, No Wind Tonight, non sans avoir procédé à quelques aménagements de son territoire : créatif d’abord, puisque cet album se déploie sur deux CD (allons-y gaiement!), et en termes de personnel. Le compositeur et batteur du groupe, Gilles LE REST et son complice tromboniste et arrangeur Laurent SKOCZEK, toujours épaulés par le saxophoniste Samy THIÉBAULT et par le bassiste Nicolas FEUGER, ont accueillis dans leur aventure le pianiste Emmanuel GUERRERO et le guitariste Matthieu ROSSO. Et comme si ça ne suffisait pas, le sextet est augmenté ici et là de quatre autres artistes invités. Aussi attendez-vous à écouter, à défaut du vent ce soir, un corpus de compositions fort colorées, contrastées, pluri-influencées, en total adéquation avec la motivation principale du FREE HUMAN ZOO, qui revendique une « quête émancipatrice » assumant pleinement son penchant pour l’hybridation.

Un double album n’est a priori pas la porte d’entrée idéale pour un auditeur novice, lequel aurait peut-être intérêt à commencer son exploration discographique du FREE HUMAN ZOO avec Freedom, Now !. Mais les quatre compositions de No Wind Tonight font montre d’un souffle ample et d’une telle variété d’inspirations qu’il n’y a pas lieu de craindre « d’entendre toujours la même chose »… Bien sûr, il faut avoir le goût des épopées musicales.

C’est du reste une composition au format XXL qui occupe tout le premier CD, segmentée en onze pistes enchaînées. Bab’Y (Le Ravin de la grand-mère) est une suite musicale qui en appelle à la mémoire historique et aux destins individuels. Gilles LE REST la présente comme un hommage aux survivants et un hymne à ses grands-parents.

Au long de ces onze parties, la petite histoire se mêle à la grande, et a pour repère historique un épisode particulièrement douloureux de la Seconde Guerre mondiale, soit le plus grand massacre commis pendant la Shoah par les groupes d’interventions du IIIe Reich (« Einsatzgruppen ») en URSS les 29 et 30 septembre 1941, et durant lequel périrent près de 34 000 Juifs, aux abords du ravin de Babi Yar (le « ravin des bonnes femmes »), près de Kiev.

Bab’Y démarre donc dans un frissonnement de cymbales et un recueillement pianistique avant de s’ébrouer avec une déchirante complainte guitaristique et autres soubresauts de batterie. Puis une mélodie entêtante se fraie un chemin sur Barbarossa et s’avance fièrement sur un rythme martial qui évoque celui à l’œuvre sur le premier mouvement de la trilogie Theusz Hamtaahk de MAGMA, mais les ponctuations puis les sinuosités du saxophone ténor tirent l’ensemble vers un horizon moins spartiate, plus délié, comme une marche inlassable vers la lumière, en dépit de l’environnement funeste.

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Suivent des Klezmer Volutes qui donnent envie de s’esbaudir sur le chemin. Un autre écho de MAGMA se fait entendre lors de l’entrée en scène des Frölichen Kameraden, celui d’un MAGMA plus serein, rappelant quelque passage de Wurdah Itah ou de Felicité Thosz, peut-être même d’OFFERING.

En dehors du fait que No Wind Tonight est sorti sur Ex-Tension, sous-label de Seventh Records, maison-mère de MAGMA, la source d’inspiration de Bab’Y se prêtait de toute façon à l’exploration d’influences communes aux deux groupes, notamment des rythmes boiteux est-européens qui ont marqué un BARTOK ou un STRAVINSKY, mais aussi d’un certain jazz semi-acoustique fleuri et chaleureux, que FREE HUMAN ZOO décline gaillardement sur Pitchipoï et dans L’Espoir au cœur, ce dernier segment se colorant encore plus de légèreté solaire de par l’intervention de la flûte traversière de Jocelyn MIENNIEL, qui tire l’ensemble vers une musique de chambre à laquelle la guitare et la batterie ajoutent leurs frétillements.

Changement d’ambiance pour The Yar, « discipliné » par un thème de piano obsédant et par une ligne de basse fretless qui ne l’est pas moins, la batterie posant un tempo binaire mais nourri de nuances, et où les vagissements de la guitare, les spirales de saxophone et de trombone dessinent un mouvement ascensionnel rendu délicat par un environnement escarpé ; c’est le « yar », le ravin d’où il faut coûte que coûte se sortir.

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Une nouvelle pause rêverie apparaît avec My Little African Doll, bientôt animée de percussions chaloupées, et « solarisée » par des soli de trombone, de flûte et de piano. Le rythme s’ébroue à nouveau pour Revoir l’Aurore, et vire à l’ambiance leste, virevoltante et piquante sur Forces vitales, qui dit bien ce nécessaire renouveau de la vie. Puis reprise du thème au piano sur l’Épilogue, enrobé de frétillements de toms et de cymbales. On a l’impression que l’ombre et la lumière n’ont cessé de s’inviter à danser des farandoles durant ces presque trois quarts d’heure qu’a duré Bab’Y. Et ce n’était là que le premier voyage.

Sur le second CD, un voyage dans le temps autrement plus radical nous attend puisque le FREE HUMAN ZOO s’est mis en tête de reprendre un thème médiéval issu des Carmina Burana ! Nous ne parlons pas ici de l’œuvre de Carl ORFF (ça aurait fait un peu trop de références magmaïennes…), mais bien des fameux « chants de Beuern » profanes et religieux composés par des Goliards du XIIIe siècle, enregistrés par plusieurs ensembles de musique médiévale, dont le CLEMENCIC CONSORT de René CLEMENCIC et le BOSTON CAMERATA de Joel COHEN.

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Le thème repris ici, Curritur ad Vocem, provient de la cérémonie bouffonne La Fête de l’âne et tranche avec l’inspiration du premier CD de par sa nature plus guillerette, primesautière et foncièrement transgressive. Il est dans un premier temps interprété par la chanteuse soprano Camille FRITSCH, accompagnée par force guimbarde (Gilles LE REST), flûte à bec (Bruno ORTEGA), flûte traversière (Jocelyn MIENNIEL) et percussions (Jonathan EDO), avant que les membres du FREE HUMAN ZOO ne s’immiscent dans la ronde et tirent la couverture vers un son nettement plus jazz et jazz-rock, où chaque soliste s’en donnent à cœur joie, donnant ainsi un écho très contemporain à ce chant venu de loin dont le propos reste d’une confondante nécessité actuelle : « Je danse en rythme, libre et nu, dans la pulsation du monde qui maintient tout. »

Au beau milieu de cette version étalée sur 25 minutes, Camilel FRITSCH revient ajouter quelques versets supplémentaires, avant que le personnel du ZOO ne revienne effectuer ses propres danses rythmiques échevelées, avant un final éminemment « charivaresque » où même la chanteuse semble en état second !

On reste dans une atmosphère enjouée et une couleur tonique avec la pièce qui suit, Talitha Koum, dont les harmonies ouvertes et le tempo incisif célèbrent la « quête du Nouveau, la célébration de la Co-naissance », avec une guitare basse qui galope et qui trotte, un saxophone ténor et un trombone emplis de jovialité, une guitare en soutien, un piano plus posé, classique, mais obstiné, et une batterie toujours aussi profuse en syncopes et en effets percussifs.

C’est dans la sérénité rêveuse que s’achève ce second CD, avec le morceau éponyme à l’album, dédicace personnelle dont le thème fait la part belle aux notes liquides et derviches du piano, discrètement soulevées par des rondeurs de contrebasse et des vagues de cymbales, avec au beau milieu le saxophone ténor qui entame sa ballade introspective, bientôt suivi par un piano nonchalant qui revient au thème avec une grâce qui nous laisse coi.

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Le FREE HUMAN ZOO ferme ses portes après un copieux programme d’une heure vingt-cinq qui nous aura fait voyager dans plein de mondes musicaux chargés d’histoire et d’imaginaire, de mémoires et d’aspirations. Son aventure, qu’il revendique comme libératrice et émancipatrice, n’est en rien usurpée, tant elle reconnecte l’être humain avec son fond le plus cher, celui qui lui permet l’émotion et la sensation. D’après la météo du ZOO, il n’y aura « pas de vent ce soir », mais il y aura assurément des éclaircies nocturnes qui illumineront le chemin des rêves vitaux.

Stéphane Fougère

Site : www.freehumanzoo.com

Label : www.ex-tensionrecords.com

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