ANANTAKARA – Newt (at Whose Feet is Eternity)

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ANANTAKARA – Newt (at Whose Feet is Eternity)
(Autoproduction)

ANANTAKARA – nom que s’est choisi le dessinateur, animateur de sens (tel qu’il aime se définir), philosophe de formation et artiste avant tout Philippe WAUMAN – est un adjectif sanskrit que l’on traduit par « rendu sans fin, magnifier indéfiniment, rendre indéfini ou infini ». Pour Philippe WAUMAN cela signifie musicalement, déployer une forme de manière infinie par des calligraphies sonores et vibratoires, la musique étant vécue et proposée comme une expérience intérieure, méditation, élévation, encouragement, inspiration. Des chants pygmées aux récifs de la musique contemporaine, en passant par la vitalité du rock, les harmonies du jazz, les ragas indiens, les affronts technos, les saccades de l’électro et l’amplitude de l’ambient, WAUMAN a peuplé son imaginaire de sons, de voix, de structures, de flux, de tout, pourvu qu’il y ait un univers, une dimension.

Initié à la notion de « passeur d’intensité » par Alain VEINSTEIN, il s’est ouvert à des pratiques pluridisciplinaires (poésie, littérature, cinéma, musique). Guitariste et flûtiste, il a composé de longues improvisations où corps, présence et inspiration font tri‐unité. À sa modeste échelle, il tente de réenchanter le monde à l’aide de ses multiples instruments : gongs, cloches, violon, violoncelle, hang, guzheng, piano, guitares, tambours, gamelan, sitar, tampura, mbira, percussions, dispositifs électroniques… Sons et silence sont devenus indissociables dans ses œuvres. 

Après un précédent et étonnant Amor Mundi, consacré à la vision du monde de SPINOZA, ANANTAKARA nous revient maintenant avec son nouvel album, Newt, dédié à la déesse égyptienne NOUT. Bien que peu connue, NOUT n’est pas n’importe qui. Elle est l’une des plus anciennes divinités de l’Égypte antique. L’une des plus fondamentales aussi. Elle dévore chaque soir le Soleil et le restitue chaque matin. Une activité qui en fait la divinité associée à la résurrection des morts. Les âmes de ces derniers sont représentées par les étoiles dans son corps. Voilà qui explique sa présence dans de nombreux sarcophages où elle est censée assurer la protection des défunts au cours de leur voyage vers l’au-delà.

Dans son tout nouveau Newt, ANANTAKARA a choisi d’explorer NOUT sous l’aspect de cinq de ses surnoms. Cela donne un album particulièrement dense et varié, puisqu’on y passe tour à tour de passages contemplatifs à des plages plus complexes, quand elles ne s’installent pas dans des rythmiques solidement charpentées. En un certain sens, ce nouvel album paraît même paradoxal, Newt étant d’une sonorité résolument moderne en contradiction, au moins apparente, avec l’évocation d’une déesse parmi les plus antiques.  Peu importe en réalité, Newt nous montre que NOUT est de tous les temps, femme éternelle au sommet sans fin de sa féminité sacrée, mère accouchée chaque matin du Soleil.

De tout cela, ANANTAKARA en tire une superbe odyssée à cinq faces, un voyage souvent aussi lumineux qu’il est parfois mystérieux.

 

10 questions à ANANTAKARA 

Vous commencez à avoir une carrière assez longue en tant que musicien/philosophe. Vous n’êtes certainement plus tout à fait le même maintenant qu’au début. En vous, qu’est-ce qui a changé et comment, et qu’est-ce qui est resté pareil et le restera probablement pour toujours ?

ANANTAKARA – C’est certain, je ne suis plus le même ! Avant 2005 je faisais de la musique pour exprimer une ardeur intérieure. Donner une voix à une intensité qui cherchait une voie. Une intensité que l’inspiration venait régulièrement titiller et emmener dans des explorations sans lendemains.

Un deuil majeur fit irruption et bouleversa les choses. La musique devint composition et vecteur de lien avec la disparue, chaque morceau était pour ainsi dire une façon de marcher ensemble. Des élégies poétiques, tristes, et néanmoins enjouées – paradoxalement. Mon intensité avait failli sombrer. La musique la sauva des eaux.

Puis je pris conscience que cette intensité était porteuse d’univers multiples. Je les avais déjà côtoyés par la peinture et le dessin pendant l’adolescence. Cependant les sons apportaient en plus le temps et l’espace à leur déploiement. Et lorsque je fus amené à accompagner en live un plateau avec des acteurs-danseurs en performance libre, je découvris que cette intensité trouvait un nouveau terrain de jeu. J’en explorai le paradigme : être ancré dans le présent, se laisser conduire par une inspiration évoluant au gré d’un dialogue-rencontre avec la constellation des performeurs en scène.

Vers 2011 l’opportunité s’est présentée de créer mon premier album. C’était en quelque sorte une commande. Elaborer un album avec des choix esthétiques spécifiques et une continuité dans le propos s’avéra une nouvelle étape. Mon intensité créatrice laissait s’épanouir la syntaxe de son écriture musicale. Elle s’affina au fil de nombreux petits concerts.

La rencontre avec la merveilleuse chanteuse MUKTI  fut l’acmé d’une période « éthérée ». Nos concerts et enregistrements étaient des live improvisés, elle avait non seulement une voix exceptionnelle, mais aussi le don de me suivre dans mes voyages sans itinéraires qui pourtant arrivent à destination. Je pris alors conscience que la cohérence organique de ces univers reposait sur l’assise de mon intensité. Si elle « débordait », genre : « prendre une inspiration à mon compte », c’était foutu. Pour recevoir ce flux inspirant (qui est un feu), une forme d’ascèse méditative (que l’on retrouve dans les arts martiaux) est indispensable. Une discipline que j’ai intégrée et pratique toujours. L’album « Hymns 64’:46’’ » (produit en 2014), joué d’un seul tenant dans une église romane du Xe siècle en est un témoignage. Je continuais à co-créer pour la scène, ainsi que pour divers projets avec des plasticiens.

Puis je rencontrai l’Afrique (ma terre natale – quittée à l’âge d’un an -) via un groupe de musique Burkinabé « tradi-moderne » dont je devins un temps le guitariste attitré, ce qui me propulsa sur scène d’une façon différente de l’expérience acquise jusqu’alors. Avec les rythmes je découvris un autre public, la danse devint pulsation et la joie une évidence.

Fin 2016, alors que je me préparais à retrouver la Terre d’Afrique noire pour une courte visite prometteuse d’inspiration, et après une période d’aléas nombreux et  épuisants, je fus terrassé par un AVC qui imposa des limites (provisoires) à ma mobilité et à l’usage de ma main gauche. Pour m’éviter de sombrer, mon intensité créatrice prit le quart. Je rencontrai des musiciens flamands de musique électronique et nous avons fondé ensemble un groupe (AERODYN) qui donna quelques concerts lors de festivals dédiés à cette approche musicale. Trois personnalités et styles différents mais complémentaires, qui se conjuguent dans la quête de la « magie » du présent et sont conscients des risques que cela représente. Un bonheur !

Tout au long de ma convalescence et malgré les limites de ma motricité je compose plusieurs albums qui transposent d’une certaine façon l’odyssée de la résilience.

À mon sens, la création artistique est indissociable de la vie du créateur, en tout cas de la manière dont il vit les anecdotes de sa biographie, mais elle ne l’explique pas.

Si effectivement beaucoup de choses ont changé, l’invariant en serait cette intensité créatrice – une inspiration lovée qui, tel un volcan, se réveille et rend fertiles les terres sur lesquelles il a étendu son territoire…

Quant à avoir une  « carrière », ce qui sous-entend un cadre dans lequel elle s’inscrit (ici 13 albums),  je préfère la notion d’un parcours – ou cheminement – fait de méandres, évocateur d’un libre-cours, ponctué d’étapes, de villégiatures, de résidences, d’impasses, de détours et guidé par  la puissance d’un horizon intérieur. Le tout enluminé de rencontres fécondes.

J’aimerais revenir sur l’articulation artiste-philosophe ou (musicien-philosophe) en invoquant une citation de JANKELEVITCH : « La musique et la philosophie sont ainsi deux mondes, deux disciplines strictement parallèles. Elles ont cependant un dénominateur commun : le temps. […] Mais le problème essentiel de la musique c’est celui du mystère, un mystère dont elle donne l’idée à condition de ne pas en avoir l’intention. » (in L’Enchantement musical, Albin Michel). Je dois dire que je m’y retrouve tout à fait. 

Là où le « logos », la raison discursive, explicative et linéaire est en apnée, la musique prend le relais ; elle est de l’ordre du « mythos »,  c’est-à-dire de l’imagination créatrice au sens visionnaire (et non fantasmatique) du terme.

Je me sens d’abord artiste puis philosophe. À vrai dire c’est le tiret entre les deux pôles qui me convient le mieux : l’un et l’autre. L’un et l’autre posent la question « qu’est l’homme ? » et quel est le mystère dont il est porteur. C’est l’écart en jeu entre ces deux pôles (imaginaire et rationnel, sensible et cérébral, diffus et précis,…) qui ouvre le champ  où « j’officie ».

Qu’en a-t-il été de votre musique et de la manière de la faire durant tout ce temps ? Qu’est-ce qui a changé ? Qu’est-ce qui demeure constant et le restera ?

ANANTAKARA – Ce qui est resté identique et le restera, j’en suis convaincu : je ne cherche pas à faire, cela se fait à travers moi. Une inspiration qui tout en s’offrant à l’inconnu ouvre des inconnues. Elle effleure  ce « je-ne-sais-quoi » pour reprendre la belle expression du même JANKELEVITCH.

Pour créer je me mets dans un état de disponibilité, celle de me laisser surprendre. En « présence ouverte ». De nouveaux instruments, des associations imprévues, des choix de couleurs sonores, des impressions, des états de conscience. Mon processus est assez proche des modalités propres à la peinture chinoise : accueillir tous les possibles, éviter d’imposer ou de figer un dispositif fixe, laisser le flux des transformations s’opérer. Ensuite je sonde mon corps qui me dira « oui » ou « non ».

Cette présence ouverte renverra à la présence même de l’auditeur, à l’espace de « durée  intérieure » qu’il est prêt à explorer en lui ou pas.  Ce qui peut être déroutant. J’en conviens.

Ce qui a changé, c’est que de, relativement « distante, cette présence ouverte s’est rapprochée,  « réchauffée » en quelque sorte, enrichie de rythmiques, de mélodies, de panoramiques tout en accueillant l’espace du silence. Elle est aussi de plus en plus portée par une fine allégresse qui se fait jour. Et qui devient davantage perceptible même si, en réalité, elle a toujours été là.

Au fond, qu’est-ce qui définit votre musique dans son essentiel, et peut-être même, à vous de me le dire si cela était, dans son aspect tout à fait unique ?

ANANTAKARA – Formellement on pourrait la ranger dans un genre commun (musique électronique) et la préciser en fonction des sous-genres qui ne manquent pas : Berlin School, space music, ambient, new age, dark ambient, jarresque music, darkwave, ethereal, chill-out, downtempo, cinematic… Toutefois  je n’aime pas trop ces classifications, il y a un peu de tout cela dans ma musique,  comme les différents types de pigments sur la palette d’un peintre. De la musique contemporaine à la musique chamanique, de l’électro aux ragas indiens, du rock aux assauts technos, de l’ambiant au jazz… Les playlists qui me nourrissent font se côtoyer David SYLVIAN, les Vêpres de la vierge de Monteverdi, MAGMA, Carl COX, Arvo PART, Manu DIBANGO, Luc FERRARI, KRAFTWERK, PhilIP GLASS, APHEX TWIN, Ry COODER, BOB MARLEY… pour n’en citer que quelques-uns. Toutes ces saveurs stimulent mon « palais auditif » et vont se retrouver peu ou prou dans mes créations.

D’une façon plus générique, ma musique n’est ni impressionniste, ni expressionniste, elle rejoindrait plutôt le courant des musiques dites « inexpressives » qu’ont initiées SATIE, RAVEL, MILHAUD et puis, bien plus tard, Brian ENO.

J’aime à dire que ma musique fait se rencontrer le vaste avec l’intime dans une danse puissante, joyeuse et bienveillante. Et cela prend une forme que je désigne par « calligraphies sonores ».

Ma dernière chronique à votre propos nous plongeait dans la philosophie de SPINOZA. Nous voici à présent, avec NOUT, en pleine Égypte antique. Comment passe-t-on, selon vous ou malgré vous peut-être, de SPINOZA à NOUT ? Et au fond, pourquoi l’Égypte antique, pourquoi NOUT, qui est-elle pour vous ?

ANANTAKARA – Elle est l’infini présent de la création. NOUT m’a fasciné dès mes 13 ans. Cette figure féminine qui, selon le mythe, avalait chaque soir le soleil pour le faire renaître chaque matin, laissait entrevoir la nuit comme espace de gestation, immense champ matriciel dissimulant un processus mystérieux. Métaphoriquement, le soleil devait avoir été régénéré ou recréé d’une certaine façon pendant cette transition, pour être ainsi journellement revivifié.  Les anciens Égyptiens représentaient la déesse avec un corps arqué qui, à l’instar de la voûte céleste, surplombe le jour, le réel phénoménal. Ses membres, qui touchent le sol, symbolisent les quatre points cardinaux.

À l’automne 2020, un autre album avait été achevé, mais sa parution, prévue en novembre, fut soudainement suspendue (il sortira néanmoins au printemps 2021 dans un tout autre contexte, plus favorable). Dans un premier temps, agacé par ce contretemps, je décidai d’en réaliser un nouveau pour tout de même conclure le sombre & chaotique 2020 par une note d’espoir : celle d’une traversée à portée alchimique, une transmutation possible.

Au cours d’une conversation j’en suis venu à reparler d’une petite chatte qui m’avait été confiée,  vers mes 13 ans, comme « compagne » de mes mélancolies adolescentes. Elle s’échappait toutes les nuits et revenait, fidèle et ragaillardie, chaque matin. Près de 10 ans durant, elle me fut d’un soutien indéfectible, ma première fan en quelque sorte. Je l’avais appelée « NOUT » en référence explicite à la déesse. Du coup, je tenais mon sujet ! Et j’ai replongé dans cet univers cosmogonique de l’Egypte antique. Cet album est donc aussi un hommage vibrant à Nout, ma petite chatte adorée…

Le Deus Sive Natura (Dieu ou la nature) de SPINOZA, résolvait à sa manière et par la raison la tension abyssale entre le créateur et sa création. L’Un se manifeste dans le Multiple qui en est l’expression infinie. L’album Amor Mundi, sorti en 2020, explorait la dimension de la Nature perçue comme flux infini.

Avec NOUT, on est dans le Mythe (cosmogonique) de la création du Monde, de ce qui l’a provoquée et comment ses éléments constitutifs se sont distribués.

NOUT, déesse de la voûte étoilée, est la fille de SHOU, dieu de l’air (qui deviendra Rê plus tard) et de TEFNOUT, déesse de l’humidité. De son union avec GEB, dieu la Terre, sont issus OSIRIS, SETH, ISIS, NEPHTYS et HORUS. Tout un narratif qui organise un récit du monde, une conception du monde.  Où sa « création », son émergence, sont continuellement renouvelées dans le présent. C’est ainsi que je perçois ce mythe.

Le philosophe que vous êtes fait habilement remarquer, et c’est en effet remarquable, que l’Égypte antique fut la seule civilisation où la Terre était du genre masculin et où le Ciel était du genre féminin. Qu’est-ce qui vous a poussé à particulièrement insister sur ce point ? En quoi est-ce important pour vous ?

ANANTAKARA – L’Égypte antique tenait la fertilité de ses terres du Nil et non de la pluie. Selon une légende, SHOU, père jaloux de l’amour qui unissait sa fille NOUT à son époux GEB, décide de les séparer pendant 360 jours. NOUT réussit à gagner aux dés contre THOT (le dieu du temps), qui lui offre alors 5 jours de plus, faisant passer l’année de 360 à 365 jours. Pendant ces 5 jours, NOUT s’unit à GEB pour donner naissance à leurs 5 enfants.

Pour moi cela évoque un rapport au temps et à la création qui s’inverse. NOUT gagne du temps en jouant, et en déjouant le Maître du temps. Cela me parle de cette expérience que nous avons tous vécue un jour : telle ou telle chose très attendue finit par arriver au juste moment, le fameux « kairos » des grecs. Moment qui ne correspond pas forcément à nos attentes certes légitimes mais souvent arbitraires… Advenir au bon moment, cela se produit en quelque sorte lorsque tout est « holistiquement » prêt. La métaphore de l’accouchement viendrait ici à propos, ou celle de la fruition d’un arbre. Un éloge de l’attente, d’une lenteur féconde. Où la vitesse est mesurée et la lenteur efficace.

Cela induit aussi un autre imaginaire sociétal qui n’est plus exclusivement vertical et empressé. C’est le renversement qui est interpellant. Il  donne au féminin une dimension de sagesse et de pouvoir protecteur.  Rappelons que les femmes, dans cette antiquité, avaient une égalité de droits avec les hommes et souvent, en période de crise, c’est à elles que l’on faisait appel.

Comment avez-vous abordé musicalement, et surtout en tant que compositeur de musique électronique, le fait d’avoir à vous plonger, et à nous plonger par voie de conséquence, au sein de l’Égypte antique ?

ANANTAKARA – J’ai voulu éviter tout exotisme ou de« faire comme si on était en Égypte Antique ».  À cette fin, je me suis plongé dans les qualités que les anciens égyptiens accordaient à la déesse et qui ont été retrouvées et traduites.  Une façon d’accéder à la charge poétique contenue dans cet espace symbolique ainsi rendu intelligible. Voici quelques qualificatifs de NOUT : « Elle contient mille âmes » ; « Dans la main de qui est le toujours » ; « Celle qui écoute ». Musicalement, j’ai mis en place des voûtes chromatiques immersives constellées de ritournelles enjouées, parfois entêtantes sinon dansantes. Un univers sonore « pluri-dimensionnel ». Comme on s’abandonne au firmament enveloppant et panoramique pour y être gagné par une profonde émotion de « reliance paisible » et de  gratitude.

Au fond, n’y a-t-il pas là, puisqu’il s’agit de NOUT et de musique électronique souvent très dansante, un paradoxe abyssal entre passé multimillénaire et ultramodernité ? Qu’en pense le philosophe que vous êtes quand il n’est pas musicien, pour autant que cette distinction soit possible ?

ANANTAKARA – Je n’y vois pas vraiment un paradoxe mais plutôt un continuum. Ces mythes, comme ceux d’ailleurs aussi d’autres cultures anciennes, sont constitutifs de notre monde et de la vision qu’il a de lui-même.  Les mythes sont  la manifestation de l’une des principales structures de l’esprit humain (si l’on se réfère à Mircea ELIADE), et l’expression des archétypes qui en organisent l’imagination.

Voyez l’Inde, dont les Védas fondateurs remontent à plusieurs millénaires et imprègnent  encore cette société : ils ont même inspiré certains physiciens de la mécanique quantique naissante en quête d’un modèle pour expliciter ce qu’ils étaient en train de mettre à jour : la certitude que c’est l’incertitude qui est au cœur de la matière !

Ce qui, pour nous, date de -3000, est posé à partir d’un an zéro relatif qui légitime une perspective : celle de celui qui écrit le récit. Qui sait si un jour notre 2021 ne sera pas l’an -150 d’une autre ère ? Que notre époque sera alors nommée « crépusculaire » dans un avenir qui en réécrirait l’histoire autrement, au départ d’une autre perspective.

 La notion même d’histoire comme succession d’événements est également corrélative d’un concept de temps qui, linéaire, va d’un point donné vers un autre, et envisage une finalité temporelle. D’autres civilisations vivent le temps en cycles spiralés et n’attendent pas un avènement glorieux et final qui résoudrait tout (le fameux « Grand soir ») ; elles ne considèrent pas un moment initial de création et une fin, mais une transformation continue…

Si je me place au niveau global de l’Anima Mundi (ou inconscient collectif, ou encore intelligence de la vie) je trouve un continuum omniprésent et intemporel dans lequel se déploie l’humanité.

Votre nom de musicien qui vient de la langue sacrée de l’Inde, SPINOZA et sa philosophie et maintenant NOUT et l’Égypte antique. Quel est le lien profond ?

ANANTAKARA – Anantakara est en effet un mot sanskrit qui signifie « rendre sans limite », « ananta » pour infini et  « kara » pour forme.  Je l’ai choisi  parce qu’il portait l’idée d’un déploiement infini de l’Un dans le Multiple pour que la Totalité se réalise. Le monde, la nature, le monde sensible, le corps ne sont pas déchéance, mais porteurs de l’unité fondamentale qui sous-tend la manifestation du monde sensible. Proposition que je retrouve chez SPINOZA.

La figure de NOUT aussi, en ce sens que, maîtresse de la vie et de la mort, elle est l’enveloppant protecteur et régénérant (elle assure à chaque être la résurrection après la mort). Pour moi le lien profond entre ces différents éléments se trouve dans un « réenchantement » du monde qui reconnaît l’unité fondamentale du monde et de l’homme.

Au final, quelle étape ou quel accomplissement a représenté pour vous ce nouvel album et comment pensez-vous encore, après déjà tant d’albums si divers, rebondir vers d’autres projets musicaux encore différents ?

ANANTAKARA – Pour cette nouvelle production, j’ai poursuivi un travail entamé sur l’album Momentum Lapses (2018) : des architectures où les progressions d’accords prennent de plus en plus de place. Et davantage de combinaisons entre paysages sonores et rythmes au cœur de dynamiques qui se déploient entre le mobile et l’immobile, entre le haut et le bas. Quant à rebondir, ma foi, c’est mon intensité créatrice, soutenue par mon inspiration, qui mène le bal, et j’ai toute confiance en elles… alors je suis le mouvement !

Dans l’immédiat, je suis toujours en co-création avec le chanteur et musicien burkinabé Ras MADI sur une formule qui est une rencontre entre l’Afrique de l’Ouest et l’électro ambient. Il y a là de très beaux potentiels à explorer. Avec plus de rythmes, de chants.

Par ailleurs j’aimerais bien m’exercer à la musique de film. Documentaire, série ou fiction. Je cherche des projets en ce sens. Alors, je laisse à la vie le soin de me concocter des surprises, de grands écarts inspirants, des sauts quantiques ou des petites marches…

Que souhaiteriez-vous encore ajouter sur un ou plusieurs sujets déjà abordés ou non, ou tout simplement en guise de conclusion ?

ANANTAKARA – L’extrait d’un poème récent :

La fruition.

Se remettre

Lentement mais sûrement

Debout,

Lever la tête à l’appoint de l’horizon.

Prendre appui sur la perspective

Un angle de vue

Déclarer une dimension.

S’extraire vif du soubassement

Les racines pulsent aux cimes,

Les cimes mûrissent les profondeurs.

 

Chronique et entretien réalisés par Frédéric Gerchambeau

Site : www.anantakara.com/fr/

Page : https://auralfilms.bandcamp.com/album/newt-at-whose-feet-is-eternity

 

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