Philippe CAUVIN – Des mots sur des notes

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Philippe CAUVIN – Des mots sur des notes
(Musea)

PhilippeCauvin-DesmotssurdesnotesSi Philippe CAUVIN a pu être qualifié de « trouvère des temps nouveaux » à la grande époque où les médias officiels pouvaient encore s’enthousiasmer pour son art, c’était parce qu’il s’était donné pour ambition d’intégrer la guitare classique à un environnement rock de tendance avant-gardiste. Mais quand ces temps nouveaux se sont mis à vieillir, les « nouveaux temps nouveaux » n’ont pas vraiment permis à des artistes aussi « out there » que Philippe CAUVIN de s’exprimer avec autant de liberté qu’auparavant, obligeant ceux-ci à s’adapter à des exigences de rationalisation, de rendement, de formatage et de paraître s’ils voulaient continuer à se faire entendre dans le milieu du marché de la musique et de la chanson et, en premier lieu, à trouver des maisons de disques compatissantes.

C’est ce qu’a cru bon de faire Philippe CAUVIN à la fin des années 1980, acceptant le défi, sinon de sacrifier, du moins de compacter et de compresser les éléments caractéristiques de son univers pour confectionner des chansons écoutables par… peut-être pas le « grand public », mais au moins un public plus large que celui qu’il avait eu. C’est cette histoire, à priori dramatique et suicidaire, que raconte ce volume « U » (troisième lettre du nom CAUVIN) de la collection de 6 CD « 1978-2015 ».

On ne sait, dans cette entreprise, ce qui mérite d’être le plus salué comme un acte de courage : avoir « tenté le coup » de l’adaptation aux diktats musicaux-commerciaux de l’époque, ou oser publier aujourd’hui ces traces de bandes magnétiques finalement jamais exploitées, au risque de faire grincer les oreilles de ceux qui voient en Philippe CAUVIN un créateur « pur », détaché des contingences marchandes ?

Sans doute devrait-on commencer par saluer son initiative de tout montrer de son parcours, sans jeter de voile pudique sur ce qui, apparemment, tiendrait lieu d’errance artistique éphémère. Mais est-on si sûr qu’il s’agisse d’un faux pas ? Car à l’écoute des 13 chansons de ce CD, on comprend bien vite que Philippe CAUVIN n’a pas cherché à verser dans la chanson « tubesque ». Non, il s’est targué de faire de la « chanson d’art », manière de donner le change tout en préservant une certaine idée de son monde et de sa personnalité. C’est évidemment un peu cavalier, voire athlétique.

Première condition : il fallait s’exprimer vocalement dans un langage obligatoirement intelligible. Finies les onomatopées incantatoires et les langages imaginaires, place à notre bonne vieille langue française, nom de nom ! Si Philippe CAUVIN avait fait appel à Didier BARBELIVIEN, son sort en aurait été jeté, sa gloire assurée et sa fortune faite, et l’on n’aurait même pas songé à parler de lui dans nos pages… Mais il a préféré faire appel à quelqu’un de plus averti, plus ouverte à son espace intérieur, à savoir Maïté DALLET, qui lui avait déjà écrit des textes en bon « french » à l’époque du Philippe CAUVIN GROUPE. (Et au passage, on comprendra pourquoi ce CD fait directement suite, dans la « numérotation lettrée » de cette saga archivistique, à celui qui porte la lettre « A » et qui documente les enregistrements de cette formation, même si, musicalement, on assiste plutôt à un grand écart.)

Maïté DALLET a procédé d’une façon assez intelligente : plutôt que d’imposer des idées de textes à Philippe CAUVIN, elle a préféré capter, saisir au vol les mots cachés dans son discours onomatopéique. C’est quasiment un travail de transcription qu’elle a effectué, finalement assez approprié pour ne léser personne dans ce projet de « lisibilisation » de l’art de Philippe. On peut même dire que Maïté DALLET a engendré une littérature idoine à sauver l’honneur de l’univers cauvinal, puisque sont évoqués une « spirale de fous (qui) nous emmène au bout du destin qui joue », une « délivrance au corps à cœur », des « fantômes d’amour (qui) danseront la nuit », ou encore un « paradis tombé du ciel » et une éclaboussure de rire dans un « bain de champagne ». Au fond, ça sonne bien comme du Philippe CAUVIN !

Reste que, sur le plan strictement musical, il a fallu procéder à un compactage structurel et scriptural afin de répondre aux exigences de diffusion radiophonique. Par voie de conséquence, toutes les chansons consignées ici durent chacune autour de 4 minutes, les plus prudentes ne se risquant pas à aller au-delà de 3’50 minutes, la plus revêche se risquant à atteindre presque les 5 minutes. Des couplets, des refrains, et entre les deux ou devant et derrière eux, des matières instrumentales, mélodiques et rythmiques, rigoureusement taillées et sculptées, scrupuleusement dépecées aux entournures, pour être conformes au souci majeur de clarté et de simplification. Le tout a été enrobé avec les moyens du bord, c’est-à-dire les guitares classique, électrique et basse et les voix et chœurs tenus par Philippe CAUVIN et – arrière, puristes ! – ces satanées programmations batterie et claviers typiques du son 80’s !

On aura beau nous dire que c’était l’époque qui voulait ça, on peut tout de même se demander si Philippe CAUVIN n’a pas un peu trop extrapolé cette exigence de se conformer aux sons du temps qui passe, surtout quand on s’est targué de faire de la chanson d’art qui n’en demandait en fin de compte pas tant. Pourquoi s’être à ce point interdit de faire respirer sa musique et son chant ? Mais comme il s’agit là de bandes « brutes de fonte », comme dirait l’autre, la question est de savoir ce qu’une post-production un tant soi peu intelligente et sensible aurait pu apporter à ce corpus de chansons. On ne le saura donc pas, puisque personne n’a voulu donner sa chance au travail de Philippe, même dans ce format.

C’est donc ce travail qui est présenté dans ce disque, sûrement le plus atypique de la série, et il convient de l’aborder avec un esprit averti et préparé si l’on veut éviter de l’écouter comme d’autres porteraient une couronne d’épines… Et on aura beau jeu de finir par se demander, avec Maïté DALLET et Philippe CAUVIN : Où s’en vont les sirènes ?

Label : www.musearecords.com

Stéphane Fougère

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