Alan STIVELL – Emerald

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Alan STIVELL – Emerald
(Keltia III / Harmonia Mundi)

Il y a des moments où un artiste éprouve le besoin de faire le point, de dresser le bilan ou d’établir une synthèse de son parcours, à l’usage de ses auditeurs qui auraient décroché à l’occasion d’un virage jugé trop cavalier. Le vingt-troisième album d’Alan STIVELL remplit cette fonction dans la perspective manifeste de rassembler les ouailles perdues ou échaudées par ses précédents essais à caractère plus expérimental, comme Au-delà des mots, album instrumental (comme son titre le suggère) pas vraiment de nature à capter un large public et Explore, un disque fait en quasi huit-clos et dont la production baigne dans les sons électro très tendance (et paradoxalement très datés) et donc différents du « son STIVELL » auquel on était habitués.

En ce sens, Emerald joue un rôle similaire à d’autres opus au contenu plus éclectique, aux arrangements plantureux et au propos plus accessible tels que Again, Brian Boru, voire Back to Breizh. Car il s’agit bien pour STIVELL de tracer un trait d’union plausible et lisible entre les racines qu’on lui connaît (bretonnes, gaéliques) et ses différentes appétences stylistiques (folk-rock, musiques du monde, musiques actuelles), de mettre en symbiose un certain « retour aux sources » avec les acquis musicaux et technologiques mis en valeur dans ses précédents opus.

Pour quelqu’un de la trempe d’un STIVELL, qui prend soin d’avoir les pieds sur terre tout en ayant le regard et l’oreille tendus vers les horizons maritimes, à l’affût des appels du large, c’est une démarche on ne peut plus naturelle et nécessaire pour ne pas se faire oublier et perdre son statut de tête de liste.

« Le Monde est ma maison, et la Bretagne est mon appart’. » chante-t-il avec une assurance désinvolte dans le morceau d’introduction de cet album, Britanny’s, qui se trouve être celui choisi pour servir de « single » potentiel. Et à juste titre, tant Brittany’s, véritable profession de foi péninsulaire (« Je le dis sans hargne et à raison, sans honte on est Bretons »), a tous les ingrédients requis pour accrocher l’oreille : on y trouve l’empreinte de la « gamme vannetaise », des marches de sonneurs en couple, du rock et un refrain (« Ar Bleizi Mor… ») que l’on a envie de reprendre derechef en chœur. Le texte joue à saute-menhir avec les langues, mêlant avec un évident plaisir ludique du breton onomatopéique, de l’anglais, une pincée gaélique et deux ou trois louchées de français, Alan se fendant même d’un beau néologisme qui résume tout le propos (« Océanais, on est ! »).

En plaçant ce tube potentiel en ouverture de cet album, Alan STIVELL a tenu manifestement à rassurer son public : on retrouve bel et bien ce son folk-rock enrobé et chaleureux qu’on lui avait connu par exemple sur Chemins de Terre.

Et par bien des aspects, même si officiellement Emerald a été conçu pour fêter en amont la « noce d’émeraude » du premier disque professionnel et chanté d’Alan, Reflets, sorti il y a presque quarante ans (avant, il y a eu Telenn Keltiek, disque instrumental et de jeunesse, comme on dit), il présente aussi des affinités avec Chemins de Terre, ne serait-ce que par le retour du violon (Loumi SEVENO) dans le son « stivellien », et dans son agencement, qui alterne ballades nostalgiques, flottantes et délicates et pavés rock électrisants. Au rang des premières figurent la romantique Marionig, l’émouvante Aquarelle, et An Hiran Noz, en forme de prière vespérale.

Toutes sont des relectures de thèmes autrefois populaires mais qui ont fait les frais d’une certaine amnésie collective. Alan s’en souvient parce qu’ils ont bercé son enfance, tout comme l’évanescent Lusk, au texte bilingue (breton et gaélique, avec la voix de Solenn  LEFEUVRE en invitée), et Eibhlin, « sean-nos » (chant trad’ irlandais) qui, avec la voix nasillarde et le chant tout en volutes plaintives d’Alan, prend même des couleurs indiennes.

Dans la catégorie des signatures plus rock, Gaels’ Call et Goadec Rock sont injectés de savoureuses passes d’armes bombarde/cornemuse/guitare électrique, à ceci près que, dans le premier, il semble que ce qui passe pour une guitare électrique est en fait une harpe et que la cornemuse est électronique, signes que l’évolution technologique est passée par-là…

La substitution des rôles entre harpe et guitare électrique anime aussi Tamm Ha Tamm, sur lequel intervient Dom DUFF pour un kan ha diskan bien trempé avec STIVELL (on l’entend aussi sur Brittany’s). L’avancée technologique est de même au cœur de Harplinn, puisqu’Alan y expérimente un prototype de harpe sur lequel il improvise à loisir par-dessus deux mesures mises en boucle. Voilà un morceau qui renvoie aux ambiances et à la démarche de Harpes du Nouvel Âge et d’Au-delà des mots

Autre souvenir d’enfance, Mac Crimon – à l’origine un « piobaireachd » (pièce de grande musique de cornemuse) – fait intervenir l’Ensemble choral du Bout du Monde dirigé par Christian DESBORDES, pour une sorte d’oratorio final dont la segmentation en trois parties semble vouloir rappeler quelque écho de la Symphonie celtique, mais sans décoller autant et préférant garder un ton plus recueilli.

Quant au contenant, il est à l’image de la floraison poétique du contenu : la couverture et le livret du CD sont parés d’illustrations somptueuses, baignées en priorité de vert (émeraude) et de bleu aquatique qui permettent de prendre instantanément le large. Vraiment, Emerald attire autant l’œil que l’oreille.

Il y a un certain temps, Alan STIVELL nous avait convié à passer Une journée à la maison, aujourd’hui il nous convie à (re)faire le tour du propriétaire, non sans avoir lustré et ripoliné l’intérieur avec les moyens actuels mais sans lui faire perdre son cachet d’antan. Pour un peu, on serait tentés de penser qu’Emerald vient de siffler l’envoi d’une troisième vague celtique !

Stéphane Fougère

Site : www.alan-stivell.com

(Chronique originale publiée dans
ETHNOTEMPOS n°45 – hiver 2010)

 

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