Albert MARCŒUR – Albert Marcœur

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Albert MARCŒUR – Albert Marcœur
(Label Frères)

La discrétion médiatique qui entoure Albert MARCŒUR dans le paysage musical français officiel n’est plus à démontrer ; on n’en finit pas d’en avoir des preuves tous les jours… Mais son image d’artiste de l’ombre, Albert MARCŒUR l’a indéniablement cultivé dès le début de sa carrière soliste. Rendez-vous compte : son premier album porte son nom pour titre (il est donc éponyme), et il n’apparaît pourtant pas en photo dessus, comme tout bon chanteur ou musicien « médiatisé » qui se respecte ! Mais s’il l’on cherche un peu mieux, on se rend compte que tout MARCŒUR est dans cette pochette, brillamment dessinée par François BRÉANT (futur collaborateur de Bernard LAVILLIERS) : son visage est formé par un assemblage d’instruments à vents et de percussions, et ses cheveux sont représentés par toute une gamme de fils et câbles électriques ! Albert, c’est donc un homme-orchestre ? Il n’y a qu’à voir la liste des instruments dont il joue sur ce disque : batterie, clarinettes, percussions en veux-tu-en-voilà, pipos, cornes, appeaux, sifflets, saxophones alto et soprano… Et comme le laisse supposer le ton de l’illustration de couverture, il fait de ces instruments un usage peu commun.

C’est qu’avant de réaliser ce disque, Albert avait déjà étudié la clarinette pendant huit ans dans un conservatoire de Dijon (sa ville natale), avait joué de la batterie dans plusieurs groupes locaux (JAZZ BABIES, THE LAKE’S MEN, THE PHOENIX…) puis s’est familiarisé avec l’usage du multipiste au studio Frémontel (dans l’Eure) où il était musicien résident, jouant pour des célébrités pop, profitant des moments de « vacances » d’artistes pour expérimenter, improviser et composer à loisir. C’est donc dans la discrétion et « dans la marge » qu’ont été confectionné les sept compositions de ce disque, au demeurant fort court (32’30) mais sans remplissage. Albert n’est cependant pas seul sur son album : il a engagé son ancien complice des PHOENIX Patrice TISON à la basse, aux guitares, à l’orgue et au charango andin), Robert LAFONT au trombone ainsi que ses frères Claude et Gérard aux percussions et aux bouteilles alto et basses (!).

Une seule écoute du disque suffit à se rendre compte qu’on est chez MARCŒUR et chez personne d’autre ! Le sempiternel parallèle avec Frank ZAPPA ? Sans doute dû à quelque similitude dans le port de la moustache, et encore ! L’instrumentation profuse et prolixe ? Le brouillage de pistes et de frontières stylistiques ? C’était dans l’air du temps en 1974, non ?

Sinon, il est vrai que l’un comme l’autre cultivent une fantaisie « cartoonesque » et un humour frappadingue qui partent de rien pour arriver nulle part, après avoir fait prendre à leurs compositions de somptueux détours sur des voies cahoteuses comprenant des éléments de langage issus de la musique contemporaine, du jazz libre, de l’improvisation et de l’enregistrement de terrain (un maître menuisier et son élève par-ci, un troupeau de moutons par-là, des voix captées de-ci, de-là, une craie sur une ardoise…). Avec Albert MARCŒUR, on est au fond plus proche de la démarche d’autres agitateurs hexagonaux qui ont commencé à sévir à la même époque, comme ÉTRON FOU LELOUBLAN.

Car chez MARCŒUR, on est aux antipodes du pré-mâché musical : les arrangements cultivent le coq-à-l’âne, les contrastes atmosphériques, les sautes d’humeur et les rebondissements incongrus, donnant à la musique des allures de gag « tex-averyen ». Mais tout cela est fait avec un sérieux très, très appliqué, et un souci du détail proprement tuant ! L’air de rien, Albert donne des leçons sans avoir l’air de vouloir en donner. Tout ici est signifiant, savamment pesé et pensé, jusque dans le moindre grognement, soupir ou… « murmure anusoïdal » (sic) ! Et la moindre « participation » musicale, volontaire ou non, est consignée dans le livret avec les illustrations de la pochette intérieure du LP d’origine, réalisées également par François BRÉANT.

Pour ses textes, Albert puise son inspiration dans le quotidien rural ou urbain, chopant ici et là des remarques ou réflexions usuelles et banales qu’il extrapole en éclats d’humour poétiques (le cyclothymique C’est raté, c’est raté a même fait l’objet d’un single, que toutes les radios d’époque ont dû effectivement rater !), ou détournant un air traditionnel pour narrer une comptine pleine de morale (Mon père avait un petit champ de pommes).

Bien évidemment, Albert ne « chante » pas au sens classique du terme : il débite, récite, murmure, balbutie, éructe, pète un, deux ou trois câbles, variant les intonations, multipliant les cassures, soulignant les ponctuations, divaguant dans toutes les directions… Quand des potes lui demandent en chœur, d’un ton agacé, Qu’est-ce que tu as ?, Albert répond, mollement : « heu je sais pas… je sais pas… » Et ça donne un texte de chanson ! Vous n’y croyez pas ? Jetez donc une oreille pour voir ! Vous verrez également qu’on peut faire une bonne chanson sur le plantage de clous (Tu Tapes trop fort) ou encore sur les interminables et vaines attentes (Que le temps est long). Enfin, quand Albert n’a rien à dire, il compose des pièces instrumentales volontiers vacillantes (Simone) ou contorsionnistes (Appalderie) qui en disent tout aussi long.

Porté par une inspiration fertile, Albert Marcœur débroussaille, bouscule, déroute, fait rêver, fait bondir, provoque le sourire, déclenche le rire… bref, il aide à se sentir plus vivant, délesté de ces ornières qui empêchent de voir le monde tourner différemment, en se projetant dans un salutaire non-sens.

Stéphane Fougère

Site : www.marcoeur.com

 

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