Alim and Fargana QASIMOV – Spiritual Music of Azerbaijan (Music of Central Asia, Vol. 6 – CD + DVD)

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Alim and Fargana QASIMOV – Spiritual Music of Azerbaijan
(Music of Central Asia, Vol. 6 – CD + DVD)
(Smithsonian Folkways)

Avec son sixième volume, la collection consacrée aux musiques d’Asie centrale du label Smithsonian Folkways se décale exceptionnellement de la région qui définit l’Asie centrale au sens étroit du terme (de la Transoxiane au Xinjiang), vers la face ouest de la mer Caspienne pour nous convier à découvrir la « musique spirituelle » de cette république transcaucasienne de taille semblable à L’Irlande qu’est l’Azerbaidjan.

Bien entendu, le genre représenté est le fameux mugham, fleuron de la musique savante azérie. Pour illustrer cette forme artistique parmi les plus impressionnantes d’Asie centrale et du Moyen-Orient, la collection Music of Central Asia n’a pas cherché bien loin une perle rare puisqu’elle présente le célèbre « Pavarotti du Caucase », à savoir Alim QASIMOV, déjà auteur de nombreux disques sur plusieurs labels français (OCORA, Inédit…) et étrangers (World Network) et invité régulier des scènes françaises (parisiennes notamment) depuis la fin des années 1980, où il ne cesse, et à bon droit, de faire sensation. Il est vrai qu’il est difficile de passer à côté de cette pointure accomplie et atypique, de ce fin connaisseur des répertoires autant religieux que profanes, qui a toujours refusé les compromissions sans pour autant se cantonner dans l’académisme, bien au contraire.

Depuis quelques années, Alim QASIMOV enregistre et se produit en concert en duo avec sa fille Fargana. Ce faisant, il bouscule quelque peu les conventions infligées au genre qui veulent que le mugham chanté mette surtout en évidence un seul soliste. Mais ce qui a pu être perçu au départ comme une expérience périlleuse fait aujourd’hui l’objet d’une reconnaissance artistique bien méritée. Fargana QASIMOV n’égale certes pas (encore) les prouesses de son père, mais elle possède un timbre propre d’une grande pureté. L’atmosphère musicale dans laquelle elle a baigné au sein de la maison familiale lui a permis de s’initier au mugham autant qu’aux musiques populaires des bardes « âshiqs » sans passer par les conservatoires.

Le duo QASIMOV décline ainsi de somptueux arrangements vocaux qui relèvent plus du ressenti que du calculé. Alternant les lignes des textes poétiques (ghazals) intégrés au mugham ou superposant leur voix pour créer une sorte de chant polyphonique, Alim et Fargana QASIMOV traquent la moindre nuance de l’état émotionnel qu’ils explorent avec leurs éblouissants mélismes et ornementations, ménageant des moments d’une implacable tension dramatique – notamment quand les voix suivent un mouvement ascendant – avec des séquences plus veloutées.

L’approche novatrice d’Alim QASIMOV se traduit en outre dans l’élargissement du trio musical usuel du mugham (luth tar, vièle à pique kamancha et tambours sur cadre daf, joués par Alim et Fargana) à un sextet ! Aux instruments cités s’ajoutent donc un oud, un balaban (hautbois) et une autre percussion, le tambour à double face naghara. Cette extension instrumentale permet d’exprimer avec plus de couleurs la vaste gamme émotionnelle du mugham.

Sur cet album, les QASIMOV et leur ensemble ont choisi d’investir le puissant et martial Mugham Charga, connu pour enflammer les passions et exalter le courage. Il est inauguré comme de coutume par un Bardasht – introduction musicale non mesurée qui prépare le terrain aux mouvements vocaux haut perchés d’Alim et Fargana QASIMOV sur un premier ghazal – et suivi d’un autre type de composition générique, Maye, qui conduit au cœur même du mode principal ; après quoi d’autres ghazals sont interprétés sur des modes secondaires (shu’be), la modulation étant à peine perceptible, comme en un fondu enchaîné.

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Chaque « séquence » du mugham réserve son lot de révélations, voire de possessions vocales, entre autres Mualif et Mükhalif-Tarkib. De leur côté, les musiciens ne se privent pas de ponctuer et de prolonger ces instants d’illumination par de courts intermèdes musicaux (reng) entre deux ghazals.

La seconde partie du disque est consacrée à des chants émanant de la tradition orale des bardes âshiqs ou écrits par des compositeurs contemporains. You Are the Light of my Eyes comprend par exemple un extrait d’un « opéra mugham » d’Uzeyir HAJIBEYOV du début du XXe siècle.

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De bout en bout, le père et la fille QASIMOV font état d’une infaillible complicité spirituelle qui donnent à leurs élans les plus virtuoses l’impression d’un naturel désarmant entièrement guidé par un sentiment ou un état transcendant d’éveil à la présence divine. C’est le fameux « hal », que l’on peut aussi traduire par le terme purement artistique d’inspiration. Et les QASIMOV connaissent indubitablement de nombreux moyens de la nourrir…

Stéphane Fougère

Label : www.folkways.si.edu

(Chronique originale publiée dans
ETHNOTEMPOS n° 40 – hiver 2008-2009)

 

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