Moondog – Amaury CORNUT

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Moondog – Amaury CORNUT
(Le Mot et le Reste)

Chien lunaire, clochard céleste, viking de la 6e avenue, artiste de rue, premier hippie, père du minimalisme, roi du contrepoint, possédé du madrigal, obsédé de la chaconne, inventeur de la trimba… Il y a plus d’un cliché qui mène à MOONDOG. Quand on a commencé à comprendre qu’il était un musicien, voire un grand musicien, et même un compositeur important du XXe siècle, on réalise qu’au fond on ne connaît pas grand-chose de ses disques. Il y a bien eu un album éponyme, Moondog… Mais est-il sorti en 1958 ou en 1969 ? En 78 tours ou en 33 tours ? Les deux, mon général. Mais leurs contenus sont très différents. Ces deux opus sont-ils bien du même auteur ? Affirmatif. Mais alors qui était MOONDOG ?  Le nom d’artiste d’un certain Louis Thomas HARDIN, qui s’est également fait appeler « The Bridge ». Nous voilà bien avancés…

Alors, « quand » était MOONDOG ? Certains disent qu’il a croisé Julie ANDREWS (Mary Poppins), d’autres affirment l’avoir entendu avec Charlie PARKER ou chez Stephan EICHER, à moins que ce ne soit Elvis COSTELLO ; d’autres encore chuchotent qu’Igor STRAVINSKY l’a défendu lors d’un procès, ou que Peter HAMMILL a chanté pour lui : « Paris c’est la vie, Paris mais oui mon petit… ».

Mais de quel MOONDOG parle-t-on ? Est-il un ou multiple ? Un peu de tout cela à la fois… Il y a eu le MOONDOG des rues de New York dans les années 1950, il y a eu le MOONDOG des années 1980-90 exilé sur la Terre des Nibelungen. MOONDOG est une énigme, son œuvre est un mystère.

On ne connaît de MOONDOG que des images, des « on-dits », des légendes, chacune possédant une part de vérité et de fausseté. Et ce n’est pas le seul ouvrage en français consacré au personnage disponible auparavant qui a pu éclairer notre lanterne : intitulé MOONDOG Légende (de Pierre HILD, aux Éditions de l’Attente), ce petit recueil jouait précisément sur cette ligne ténue entre réalité et fiction. Il était grand temps de faire le ménage et d’écrire une vraie biographie, en tout cas, une biographie sérieuse révélant toute les vérités qu’il est possible de réunir sur pareil phénomène.

Amaury CORNUT l’a fait. Il n’a guère eu le temps de rencontrer l’artiste (décédé en 1999 à 83 ans), celui-ci ne lui a pas légué quoi que ce soit, c’est juste la découverte, puis la passion qui a poussé Amaury CORNUT à explorer, à creuser la vie et le corpus musical de MOONDOG, au point de lui consacrer un site de référence bourré d’informations de première main (https://moondog.fr/) et de créer un ensemble musical (MINISYM) pour jouer ses compositions, connues ou inconnues.

Car en dépit d’une carrière protéiforme jalonnée d’une vingtaine d’albums, MOONDOG n’a pas tout dit, n’a pas eu le temps de tout dire, de tout enregistrer. De ce qui devait être son œuvre-somme, The Creation, on ne connaît que des fragments épars. Et quand on l’a trouvé sur son lit de mort, il avait de nouvelles partitions sur lui, apparemment disparues depuis… MOONDOG a fait tant de choses, et tant d’autres restent cachées…

À la lecture du livre d’Amaury CORNUT, on réalise que la vie de MOONDOG a été, comme son œuvre, faite de pleins et de creux, de clairs et d’obscurs. Tout a pratiquement commencé quand il a rencontré un bâton de dynamite, qui l’a privé de ses yeux. Le parcours qui a suivi fut émaillé d’obscurités et d’illuminations, de mendicités et de consécrations, de solitudes et d’amitiés, d’amours et d’incompréhensions, d’exils et de domiciles non fixes, de paradoxes et de grands écarts. De l’un et du multiple, comme disait l’autre…

Oui, MOONDOG a dirigé des philharmoniques, oui MOONDOG a dormi sous les porches, et ce à la même époque, peut-être aussi le même jour. C’est vrai, MOONDOG avait une apparence excentrique, avec son poncho et son casque à cornes ; c’est aussi vrai qu’il a inventé des instruments improbables (la trimba, le Oo, le Uni, le hüs) ; mais c’est le plus sérieusement du monde qu’il écrivait ses musiques, bien décidé à laisser une trace, à part certes mais une trace forte, dans l’Histoire musicale du XXe siècle.

Mais il l’a fait à sa manière, c’est-à-dire sans foncer tête baissée dans la musique contemporaine atonale, mais en concevant une musique de facture classique fondée sur le contrepoint, revisitant les madrigaux et chaconnes médiévales sur des rythmes inspirés par ceux des tribus amérindiennes, que MOONDOG a rencontrées et avec lesquelles il a même vécu quelque temps. Des enregistrements de terrain aux compositions orchestrales, des soli « low-fi » et duos minimalistes aux ensembles cuivrés, l’œuvre de MOONDOG a revêtu les formes les plus diverses.

Musique ancienne, musique nouvelle… aucun qualificatif ne suffira à cataloguer son legs musical. Le fait qu’il ait attiré l’attention de Duke ELLINGTON, de Charlie MINGUS, de Janis JOPLIN comme de John CAGE, de Philip GLASS ou du KRONOS QUARTET suffit à évaluer toute l’amplitude de son champ d’expression, sa liberté et sa richesse.

C’est tout le mérite d’Amaury CORNUT d’avoir restitué tous ces éléments de vie humaine et artistique en un continuum biographique qui comble beaucoup des manques que l’on pouvait avoir sur MOONDOG. Le parcours de celui-ci relève plus de la volte-face chaotique systématique que de la ligne droite pré-tracée, et c’est ce qui explique que le personnage et son œuvre ont fasciné autant de publics différents.

La dernière partie de l’ouvrage explore et décrit la discographie de MOONDOG, des premiers EP des années 1950 (Snaketime Rythms, MOONDOG and his Friends..) aux ultimes CD (Sax Pax for a Sax, Big Band), sans oublier les réalisations plus obscures de type cassettes ou LP non réédités en format CD…

Le seul regret est de ne pas avoir de pages consacrées aux diverses compilations (The Viking of the 6th Avenue, The German Years, Rare Material) dont le contenu est toujours un peu bordélique, mêlant le trop connu au trop rare, mais jamais complètement ni tout à fait… Il n’y a pas non plus de pages consacrées des albums « tribute » (l’Hommage à MOONDOG de Trace Label, le Trees against the Sky sorti au Japon, MOONDOG Remixed n°1…), ni de recensement des enregistrements de Stefan LAKATOS, disciple et légataire de l’héritage de MOONDOG, et de Dominique PONTY (avec qui MOONDOG donna son dernier concert au festival MIMI). Sans doute Amaury CORNUT a-t-il davantage conçu son ouvrage comme un complément plutôt qu’une redite à son site Web, qui abonde en documents discographiques, bibliographiques, photographiques et vidéo.

Voilà en tout cas un livre qui se lit facilement et passionnément et qui atteint son but, à savoir qu’il donne envie d’écouter et de réécouter MOONDOG, dont la place dans le panorama musical du XXe siècle reste indubitablement à réévaluer.

Stéphane Fougère

Site de l’auteur : https://moondog.fr/

Editeur : lemotetlereste.com

(Chronique originale publiée dans
TRAVERSES n°35 – juillet 2014)

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