ARTÚS – CERC

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ARTÚS – CERC

(hart brut / Pagans)

Suivez l’ours, vous trouverez souvent une caverne. Vous avez écouté Ors, le précédent album d’ARTÚS ? Alors ne vous étonnez pas de retrouver les « Artùsans » en pleine expédition spéléologico-philosophique avec CERC. Il y est en effet question de cavernes… que dis-je ?, de gouffres. C’est donc à un périple à travers la roche que nous convie le sextette des frères BAUDOIN et de leurs complices de cordée, une bande de guides pas vraiment touristiques mais bien plutôt culturels dans cette Gascogne mythique, littéraire et musicale dont ils ne cessent de se nourrir pour, à leur tour, la transmuer, la métamorphoser, la frotter au contact d’autres expressions pour la propulser dans l’ici et le maintenant, pour en ravigoter la sève profonde, pour en faire jaillir le cri, pour en projeter l’énergie souterraine… Et qui de plus habilité sinon un groupe « underground » local pour explorer ces Pyrénées excavées ?

L’histoire de CERC (le Cercle) prend pour décor le massif karstique dit « la Pierre Saint-Martin ». Pas la peine de chausser vos skis, on n’est pas là pour se faire voir en tenue fluo dans la célèbre station de ski ! Ce dont il est question ici est ce qui se donne à voir en dessous, dans ce karst de 140 km², à cheval sur la frontière entre la France et l’Espagne, à presque 2000 mètres d’altitude, drainé par quatre systèmes hydrogéologiques, et qui compte des gouffres parmi les plus profonds au monde.

On dit de ce gouffre de la Pierre Saint-Martin, encore nommé Lépineux, dont le dénivellement atteint 1700 mètres, qu’on pourrait y faire entrer la Tour Eiffel. L’une de ses cavités, la « Salle de la Verna », pourrait de même contenir six fois la cathédrale Notre-Dame-de-Paris. Et pourtant, en surface, on ne voit quasiment rien de ce monde souterrain. ARTÙS a choisi de l’explorer par ses notes, ses sons, ses voix, qui puisent autant dans les entrailles terreuses de la tradition musicale gasconne (avec vielle à roue, violon, tambourin à cordes et percussions) que dans les lézardes les plus saillantes d’un certain rock expérimental (avec guitare, synthé, basse et batterie).

De Lépineux aux gorges de Kakuetta, c’est ainsi 1400 mètres de roche souterraine que nous arpentons dans ce nouvel album d’ARTÚS, en presque une heure et six compositions épiques, intrépides, aux développements souvent hallucinatoires et aux contrastes subtilement agencés. Du reste, les six compositions s’enchaînent, entraînant l’auditeur dans une expédition qu’il ne peut que suivre jusqu’au bout, quelqu’en soient les risques. La musique d’ARTÚS n’est guère réputée pour suivre les sentiers cent fois battus et rebattus. Elle trace son propre chemin à la hache et aux crochets, et l’on y sent l’humidité boueuse sous la terre herbeuse, la morsure de la ronce, l’achoppe de la pierre, le contondant de la roche, l’entaille de la branche, l’épaisseur de l’écorce ; on y voit le piquant des chaînes montagneuses, la pénombre des bois touffus, la noirceur des cavités rocheuses…

Et a fortiori dans CERC, qui sème et cultive un son certes toujours taillé dans la pierre la plus rugueuse, mais aussi érodé d’humidité souterraine, serti de résonance chtonienne, hanté de vision caverneuse. C’est pourquoi, à en juger par les textes interprétés en langue occitane (avec parfois des incrustations de français dans Lépineux), cette prospection troglodyte prend une tournure plus introspective et mystique ; et c’est tout naturellement que l’on convoque la fameuse « allégorie de la caverne » platonicienne pour évoquer la nécessité, lors du retour à la surface, de s’éveiller à d’autres possibilités d’émancipation, de se mettre à l’écoute des voies de sauvegarde culturelle autres que la « folklorisation épinale » ou la fusion globale édulcorante.

CERC n’est pas un album de musique folk actualisée par des sons modernes pour la rendre plus digeste, c’est une proposition musicale qui combine les idiomes rock et folk dans ce qu’ils ont de plus viscéral et de moins domptable pour générer un son buissonnier en opposition avec celui des autoroutes trop lisses et rectilignes. Ce faisant, ARTÚS a recours à une instrumentation hybride, aux composants tant antiques que modernes, à l’instar des Coréens de JAMBINAI, des Indonésiens de SENYAWA comme des Auvergnats de SUPERPARQUET, pour repenser la notion d’ethnicité. CERC donne à écouter une « underworld music », la musique du monde de « ceux d’en bas ». CERC est l’itinéraire qui permet à ce qui était en dessous de se hisser un cran au-dessus de ce qui l’enfonce, le refoule.

Bien sûr, la descente est escarpée, le chemin est sinueux, les galeries et les crevasses obligent à se contorsionner, de Nigredo à Albedo, le mental est secoué par des sons sépulcraux, des riffs lourds, des rythmes tribaux pesants, des stances poétiques troublantes, des polyphonies tribales sans quartier, des assemblages de cordes générateurs de chavirements psychédéliques.

On est très proche de la planète GONG dans les dernières minutes de Faust, alors que la première moitié d’Albedo lorgne du côté d’ART ZOYD. La dernière étape (Las Mairs Apo) sera la plus déstabilisante pour qui ne jure que par le rock sauvage, car les repères y explosent en abstractions minimalistes. On y entend des gouttes de stalactites imposer leur scansion minérale, sur fond de drone menaçant. ARTÚS est passé de l’autre côté du mur de roche, est retourné à la nature élémentale, allez savoir !

Il faudra bien ajuster vos crampons pour les suivre jusqu’au bout. Mais l’escapade vaut le coup, indéniablement.

Stéphane Fougère

Site : http://familha.artus.free.fr/

Page : https://pagans.bandcamp.com/album/cerc

Label : www.pagansmusica.net

 

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