Bèrtran ÔBRÉE – Gherizon Papilhon

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Bèrtran ÔBRÉE – Gherizon Papilhon
(Dedd La/Coop Breizh)

C’est en 2000 qu’un album chanté presque entièrement en gallo, la langue autrefois parlée en Haute-Bretagne, remporta le « Choc », grand prix décerné par le magazine Le Monde de la Musique. Il s’agissait du premier opus (Alment d’If) d’un groupe alors inconnu, ÔBRÉE ALIE, qui se distinguait à la fois par ses arrangements autour des cordes (guitare, violoncelle) et des percussions et par le chant en langue gallèse de Bèrtran ÔBRÉE, fondateur du groupe.

Le second album du groupe, Venté so’u léz saodd (2004), comportait de nouveaux textes du chanteur, qui signait aussi les compositions et les arrangements avec ses musiciens. L’instrumentation s’était étoffée avec un violoniste, un trompettiste et des invités. À ÔBRÉE ALIE succéda Bèrtran ÔBRÉE TRIO, avec Erwan BERANGUER aux guitares électrique et acoustique et Julien STÉVENIN à la contrebasse, et remporta en 2008 le Coup de cœur du jury du Grand Prix du Disque du Télégramme pour son sublime album Olmon et Olva. Puis Bèrtran ÔBRÉE mit de côté ses activités musicales pour se consacrer à la direction de l’Institut Chubri (qu’il a fondé en 2007) dont l’objectif est de créer des outils linguistiques de base pour permettre d’étudier et d’utiliser le gallo aujourd’hui.

Les années ont passé, laissant un vide autant dans le paysage musical que dans la discographie du chant en gallo, avant que Bèrtran ÔBRÉE ne reforme un groupe pour créer un nouveau répertoire. Si la Haute-Bretagne est toujours bien présente sur ce nouvel album, Gherizon Papilhon, avec sa langue, ses paysages et deux de ses danses, le chant et les compositions sont ouverts sur le monde et riches d’inspirations méditerranéennes, moyen-orientales et maghrébines. L’instrumentation est toujours axée sur les cordes, si bien adaptées à ce répertoire (oud, saz, violon, contrebasse) et sur les percussions que l’on trouve tout autour de la Méditerranée, principalement les tambours sur cadre.

Bèrtran ÔBRÉE a non seulement enrichi sa palette vocale de nombreux ornements, il s’est aussi entouré de musiciens talentueux qui ont participé à la création du répertoire et aux arrangements, en apportant de nouvelles couleurs musicales : Julien STÉVENIN (STARTIJENN), qui officiait déjà dans le trio, à la contrebasse ; Fabien GILLÉ (YILDIZ, musiques turques et balkaniques), ici au oud et au saz, ainsi que Youenn ROHAUT (KBA#5, NATAH BIG BAND) au violon et Gaël MARTINEAU (KBA#4, BAYATI, YILDIZ, NAVA, BEL AIR DE FORRO) aux percussions, tous deux issus du programme de formation de la Kreiz Breizh Akademi (KBA) où ils ont obtenu le titre de « musicien des musiques modales de tradition savante et populaires ».

Avec sa plume élégante et poétique, le chanteur signe tous les textes en langue gallèse et s’inspire de trois chants traditionnels pour réécrire de nouvelles paroles. Comme le laissent présager le titre de l’album, Gherizon Papilhon, et la photo du digipack sur laquelle Bèrtran ÔBRÉE, le visage tourné vers l’avant, se tient devant des feuillages, prêt à s’envoler avec ses ailes de libellule, la nature tient une grande place dans cette nouvelle création, ainsi que le changement climatique, l’évolution et la capacité d’adaptation de l’humain.

« Nous irons des mois durant, Trouver un lieu plus loin (…) Mais nous marchons encore en souriant » dans Plu Lein (Plus Loin) sur un rythme venu de Turquie. « C’est la nature, Tout est changeant (…) La joie, la peine, le froid ou le grand soleil (…) Et comme la rose qui fleurit au matin, Tout a une fin, Tout est changeant » (Tout é chanjaunt) dont le texte, inspiré par un traditionnel acadien, fait référence au Grand Dérangement (déportation des Acadiens) qui a eu lieu à la fin du 18e siècle.

Les ailes synonymes de liberté ne sont pas présentes que dans le titre et le visuel, on les retrouve à plusieurs reprises au fil du disque dans Arondd (L’Hirondelle, chant décompté à la manière traditionnelle et entrecoupé par une danse turque, le halay), dans le sublime, long et aérien instrumental, Avolée, au milieu de l’album, et dans Horr de mon Ni, qui évoque avec un climat mystérieux l’être humain « enfermé, tellement rouillé » qui reprend son envol « sous le soleil qui rayonne, je déploie mes ailes, j’ose sortir de mon nid ».

Le Forjeron est un bel hommage vibrant aux générations qui ont contribué à collecter et à transmettre le gallo, sur lequel le chant de Bèrtran ÔBRÉE est inspiré à la fois de l’appel du muezzin et du flamenco. Contr la Murâih évoque l’exil des populations qui fuient leur pays en guerre avec une intensité dramatique dans le chant et l’accompagnement musical qui fait frissonner. Comm la plée chë (La Pluie tombe) est adapté d’un chant connu en Turquie qui évoque les montagnes d’Anatolie et un bien-aimé parti au loin. Le chanteur a transposé le texte en Pays Gallo « dans la forêt » tout en empruntant aux techniques du chant turc qu’il a étudié.

L’étrange et envoûtant avant-deux arabisant, Jasmiñ, se distingue par son instrumentation dépouillée et unique, menée par le chant, la contrebasse et les claquement de mains des musiciens, que viennent rejoindre le cajón (caisse percussive utilisée notamment dans le flamenco), le oud puis le piano de Youenn ROHAUT. Les percussions emportent le groupe dans un tourbillon sur l’impressionnant Bufée (Souffle) avant le superbe Mon Fi (Mon Fils) chanté a capella sur un air kurde, qui s’élève contre la guerre.

Avec Gherizon Papilhon, Bèrtran ÔBRÉE allie, avec sensibilité et élégance, des textes actuels à de fascinantes envolées musicales aux saveurs méditerranéennes subtilement épicées qui font escale jusqu’en Turquie. Ce voyage poétique et musical n’a pas fini de nous émerveiller.

Sylvie Hamon

Site : www.obree.fr
Distributeur : www.coop-breizh.fr

Diaporama photos et chronique du concert de sortie du CD au BabaZula à Rennes.

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