Bill BRUFORD – L’Autobiographie : YES, KING CRIMSON, EARTHWORKS et le reste (traduction d’Aymeric LEROY)

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Bill BRUFORD – L’Autobiographie : YES, KING CRIMSON, EARTHWORKS et le reste (traduction d’Aymeric LEROY)
(Le Mot et le Reste)

En 2009, le label Summerfold publiait le communiqué de presse suivant : « BRUFORD quitte le service actif. Le batteur de YES, de KING CRIMSON et d’EARTHWORKS cesse de se produire en public à compter du 1er janvier 2009. Au terme d’une carrière exemplaire de quarante ans qui l’a vu oeuvrer successivement dans le rock progressif et le jazz électronique puis acoustique, BRUFORD a décidé de raccrocher ses baguettes pour se consacrer à diverses « activités annexes ». » Depuis, larmes d’effroi et sanglots d’incompréhension n’ont cessé de se déverser, notamment parmi les fans de rock progressif, qui espèrent bien, certainement encore aujourd’hui, que cette décision ne soit pas irrévocable. Ce n’est pas la lecture de cette Autobiographie qui risque de rassurer…

Il n’est que de constater le désabusement qui hante de bout en bout les lignes des deux derniers chapitres. C’est dit, Bill BRUFORD est passé à autre chose. Par exemple à l’écriture de cet ouvrage. A-t-il cherché à se justifier ? Ou s’est-il réveillé un jour persuadé qu’il lui fallait désormais jouer le rôle du Sage, tel le Yoda de Star Wars, et livrer son expérience et ses conseils en pâture à ses jeunes batteurs écervelés et utopistes ?

Malgré une épaisseur dépassant les 400 pages, cette Autobiographie ne semble même pas avoir cette prétention. Elle fait seulement le point sur le parcours d’un batteur doué d’une étonnante conscience musicale qui lui a permis (ou obligé) de tracer un itinéraire peu commun. Quarante ans passés sur les routes des concerts, des répétitions et des studios d’enregistrement ont permis à Bill BRUFORD de se forger une réputation plus qu’honorable (combien de fois l’a-t-on vu classé parmi les palmarès des dix meilleurs batteurs au monde ?). Il est à craindre hélas pour lui que sa célébrité reste attachée à l’époque où il n’était « que » le batteur de ces dinosaures du prog’ que sont YES, KING CRIMSON et UK.

Dès lors que le « brillant Billy » a pris sa carrière en mains et qu’il a formé les groupes BRUFORD et EARTHWORKS et qu’il s’est tourné vers le jazz (sa passion première), son auditoire a été divisé au moins par deux. Et moins connues encore sont ses collaborations, pourtant consignées sur CD, avec Michiel BORSTLAP, Patrick MORAZ, Pete LOCKETT, Jamaaladeen TACUMA, Kazumi WATANABE, ou au sein du groupe BLUE et du WORLD DRUMMERS ENSEMBLE.

Toutes ces années ont ainsi permis à Bill BRUFORD de faire des rencontres que beaucoup auraient aimé pouvoir consigner dans son propre calepin. Et depuis ses débuts dans les années 1960 jusqu’à la première décennie du XXIe siècle, le monde a changé, et le regard de BRUFORD sur sa carrière et sur la musique en général, sa raison d’être et son environnement, a de même évolué. Le batteur est passé de l’enthousiasme arrogant de la jeunesse au doute hyperbolique du vétéran. Une vie rondement menée, en somme.

Des histoires sur les enregistrements de disques, des anecdotes sur la vie en tournée, des portraits de musiciens célèbres fréquentés au quotidien, BRUFORD en a à raconter. Sur Jon ANDERSON, sur Chris SQUIRE, sur Robert FRIPP, sur Jamie MUIR, sur Tony LEVIN, sur Adrian BELEW, sur Phil COLLINS, sur Allan HOLDSWORTH, mais aussi sur ses managers : Brian LANE, Sam ALDER, etc. Certains sont un peu égratignés ou moqués par endroits, mais rien qui puisse avoir de grandes conséquences sur leur réputation.

Car BRUFORD, en bon Anglais éduqué de classe moyenne, manie forcément très bien le « british humor », pour la plus grande délectation de ses lecteurs. Ses remarques piquantes et affûtées sont aussi marquantes et font réfléchir. Au passage, quelques cous de stéréotypes sur la vie des musiciens sont aussi tordus, pour leur plus grand bien.

BRUFORD narre les événements comme on suivrait les scènes d’un film, c’est-à-dire avec le sens du suspense et de la comédie. Ce musicien « normal », au mode de vie pas très rock n’roll (il a une femme et des enfants, ce qui est déjà louche) a eu son lot d’événements et de galères « anormales », comme cette fois où il est largué en pleine nuit dans un hameau des Alpes par un couple qui lui avait promis, à Rome, de le ramener en voiture jusqu’en Angleterre ; comme cette batterie électronique hightech qui plante quelques secondes avant le lever du rideau (moment de grande solitude qui a sans doute pesé sur sa décision de revenir à la batterie acoustique) ; comme ces fameuses sessions d’enregistrement de l’album Union de YES, complètement manipulées par des producteurs et autres conseillers financi… pardon « artistiques » ; comme cette autre session un rien houleuse pour Al DI MEOLA, qui s’est fait un peu trop attendre pour un Tony LEVIN, qui n’aime pas être traité de la sorte…

Croustilleuses sans êtres voyeuristes, ces tranches de vie sont dévoilées par BRUFORD sans chercher à suivre la chronologie des événements. Car le batteur livre également pêle-mêle ses réflexions éclairées sur le monde du rock, le milieu du jazz et l’univers parfois (souvent) impitoyable de l’industrie musicale, ainsi que sur la musique en général, son environnement, son évolution et son devenir, nourries autant de son vécu que de lectures à caractère sociologique, philosophique…

L’ouvrage est ainsi découpé en chapitres thématiques dont les titres sont des questions d’interview, apparemment souvent posées, du genre : « Pourquoi avez-vous quitté YES ? », « Travailler avec Robert FRIPP, c’est comment ? », « Est-ce que c’est différent dans le jazz ? », « D’accord, mais pendant la journée, vous faites quoi ? »

Parue en anglais en 2009, l’autobiographie de BRUFORD s’offre aujourd’hui aux lecteurs francophones grâce à une traduction scrupuleuse et avertie d’Aymeric LEROY, dont on devine l’intérêt et la passion pour le sujet. Le propos de Bill BRUFORD pouvait-il être mieux servi ? La lecture est en tout cas un vrai régal, en dépit des quelques passages avec mots manquants, mots en double, grammaire aléatoire et phrases au sens flottant, qui ont échappé à une relecture affinée.

Que l’on soit lecteur côté public ou côté musicien, on trouvera toujours dans cette Autobiographie de quoi maintenir son attention en éveil, du grain à moudre pour repenser ce que l’on croyait savoir, ou simplement sourire, ce qui est déjà beaucoup au vu et su de tout ce qu’à traversé l’auteur. BRUFORD n’a pas cherché à nous dire que la vie de musicien est plus exaltante qu’une autre, mais qu’elle est juste aussi accidentée qu’une autre.. peut-être même un peu plus…

Stéphane Fougère

Site éditeur : https://lemotetlereste.com/

(Chronique originale publiée dans
TRAVERSES n°33 – juin 2013)

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