Brian ENO – Drums Between the Bells

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Brian ENO – Drums Between the Bells
(Warp Records)

À peine remis du sensationnel Small Craft on a Milk Sea, Brian ENO revient avec Drums between the Bells. Il s’agit de sa deuxième production paraissant sur le réputé label Warp Records : avec cet album, ENO et sa musique ont véritablement leur place dans la musique électronique d’aujourd’hui !

Encore cette fois-ci, nous avons le choix entre plusieurs formats : la version 33 tours, le simple CD ou l’édition luxueuse 2 CD. C’est cette dernière qui mérite le plus notre attention. Sur le second disque, nous pouvons entendre les versions instrumentales des nouvelles compositions, fruit de la réunion entre ENO (pour la musique) et Rick HOLLAND (pour les textes). Comme il est précisé dans le livret, il s’agit d’un album de « spoken songs » ; le souhait de Brian étant de mettre en musique des poèmes courts, subtils caractérisant le style de HOLLAND. Leur brièveté et leur côté minimaliste ne pouvaient pas manquer d’attirer l’attention du stratège oblique.

Si nous étions en droit d’émettre quelques réserves quant à l’intérêt d’un tel concept et à son résultat final, il faut bien admettre que cette collaboration fonctionne, et nous nous laissons facilement porter par cet ensemble de sons, de voix et de poésie.

Pour les éternels sceptiques, sachez que ce principe de « speech song » n’est pas une nouveauté dans l’œuvre de Brian ENO. Le livret nous le rappelle effectivement en citant quelques exemples précis : dès Here Come the Warm Jets avec Dead Finks don’t Talk, ou Kurt’s Rejoinder sur Before and After Science, et bien sûr My Life in the Bush of Ghosts ou Nerve Net. Plus récemment, sur Another Day on Earth, le titre Bone Bomb est un poème basé sur deux articles consacrés à la Palestine. Nous comprenons mieux la réflexion de Brian sur sa définition de la chanson amputée de cette obligation de chanter. L’écoute de l’album Red Bird (1959) par Christopher LOGUE et Tony KINSEY, consistant en une lecture de poèmes sur fond de jazz, a eu un impact évident sur sa démarche artistique.

Si ENO s’autorise la lecture de quelques poèmes, ce sont surtout des voix féminines parfois trafiquées qui ont la tâche de nous faire découvrir la vision poétique de Rick HOLLAND. Certaines de ces voix douces et apaisantes surgissent telles des extensions parfaites à la musique. Cela ajoute du charme et de la sensualité au projet : les voix de Laura SPAGNUOLO et d’Elisha MUDLY en particulier, sur Pour it out et The Real.

La présence de personnalités vocales aux origines diverses venant d’Italie, d’Europe de l’Est (Pologne, Ukraine) ou d’Afrique du Sud n’est pas un pur hasard. ENO porte un vif intérêt à ces voix du monde dont l’anglais n’est pas la langue maternelle, car elles apportent beaucoup de musicalité au niveau de la prononciation des mots; d’où cette volonté de ne pas choisir parmi son entourage des anglais d’origine.

Musicalement, même s’il n’évite pas les maladresses et les passages moins convaincants (Sounds Alien et ses ridicules samples de cuivres sortis d’un mauvais film d’action des années 1970), ENO reste fidèle à lui même. Drums Between the Bells est un copieux mélange de musique électro, ambiante, de sonorités anciennes et modernes, entre Apollo, Nerve Net, The Drop et ses dernières productions, oscillant nonchalamment parmi des contrées familières. Nous percevons ici et là un futurisme à la KRAFTWERK (Glitch), un métissage sonore digne de BYRNE et ses TALKING HEADS (Multimedia), et une poésie silencieuse rescapée de Music for Airports (Dreambirds, As if your Eyes were Partly Closed…).

Des morceaux énergiques ou intimistes, des atmosphères inquiétantes voire agressives (cette guitare quasi métal) se confrontent, s’entrelacent et disparaissent pour laisser place au silence… un silence de quelques secondes sur la plage 15, avant de replonger dans un océan de méditation avec Breath of Crows. Cette pièce de 6 minutes, contenant des sons de cloches d’un autre temps, est un hymne à la quiétude et à l’imagination. Nous sommes comme propulsés à l’intérieur d’un de ces temples immémoriaux et sacrés, perdu dans un coin reculé d’Asie du Sud-Est.

Le deuxième CD permet de se concentrer pleinement sur la musique. C’est le meilleur moyen pour apprécier la finesse et la recherche des mélodies de ces quinze morceaux aux titres pas encore totalement définis. Nous nous laissons submerger par tant de beauté. Sur Pour it out, par exemple, qui peut rester insensible à l’émouvant violon de Nell CATCHPOLE et à la guitare de Leo ABRAHAMS ? Toute la magie de Brian ENO est résumée dans ce titre aérien, hors du temps et mélancolique. Des textes et une musique unis pour le meilleur et parfois le pire ! Si Drums Between the Bells s’inscrit dans la lignée de Small Craft on a Milk Sea et demeure un album ambitieux, il n’en reste pas moins que certaines compositions souffrent de quelques faiblesses ou laissent une impression de remplissage.

Cependant, il n’est pas né celui qui remplacera ENO dans nos cœurs. Il reste un magicien imaginatif et ensorcelle nos âmes par ses formules secrètes et ses rythmes urbains (Bless this Space). Il se dévoile une fois de plus à nous, déversant au monde ses habituelles impressions de nostalgie (Pour it out, Cloud 4). Avec ENO, le temps s’arrête, et la réalité n’est qu’un rêve infini (The Real).

Cédrick Pesqué

Site : www.warp.net/records

(Chronique originale publiée dans
TRAVERSES n°31 – janvier 2012)

 

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