Chine : Li XIANGTING – L’Art du qin

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Chine : Li XIANGTING – L’Art du qin
(OCORA Radio France / Outhere)

Inscrit au Patrimoine culturel immatériel de l’humanité par l’UNESCO depuis 2008, le qin (prononcez « ch’in ») compte parmi les plus anciens cordophones chinois. On le nomme éga­lement guqin, ou « ancien qin », pour éviter de le confondre avec d’autres instruments à cordes que l’on désigne par qin depuis le XXe siècle. En effet, son origine remonte au Xe siècle avant J.-C., soit à la période dite des Zhou occidentaux (-770 / -256). Une telle ancienneté, at­testée par les sources écrites les plus datées et les fouilles archéologiques, fait de cette cithare sur table oblongue à sept cordes pincées (et sans chevalets mobiles) l’instrument embléma­tique non seulement de la musique traditionnelle chinoise, mais aussi du système de pensée chinois.

Sa morphologie s’est effectivement affinée au cours des siècles, suivant très certaine­ment l’évolution des techniques de jeu, pour aboutir à une forme normative (la caisse est le plus souvent laquée et incrustée de treize points de nacre signalant les divisions harmoniques), et ses différentes parties révèlent une symbolique du monde sonore liée aux concepts du « yin et yang » et du souffle énergétique « qi ». Le corps et les sons du qin ont donc été soigneusement pensés pour être porteurs d’harmonie. Douée d’un pouvoir évocateur très subtil, la musique jouée au qin combine les forces complémentaires du plein et du vide.

Les techniques de jeu du qin font étalage d’une ornementation riche, avec une infinité de so­norités et de timbres, et les thèmes mélodiques évoquent des descriptions naturalistes à haute portée métaphorique, avec des imitations de timbres qui impliquent également la gestuelle de l’artiste.

À l’esthétique sonore du qin répond la beauté des gestes, le musicien devant s’immer­ger littéralement dans le sujet qu’il évoque, et s’harmoniser avec la nature. Son jeu est aussi tri­butaire de celui qui l’écoute, ce qui en fait un vecteur de communion quasi spirituelle entre le joueur et l’auditeur, d’autant que la douceur de la sonorité du qin (d’une tessiture de quatre oc­taves) donne à sa musique un caractère intimiste.

Du reste, plusieurs histoires liées à l’exécu­tion « publique » du qin évoquent des auditoires très restreints, entre connaisseurs, voire un contexte dans lequel le public est réduit à une seule personne, dont l’ouïe avertie suffira à assu­rer une qualité d’écoute suffisante pouvant impulser le jeu du musicien.

On comprend dès lors pourquoi le qin est perçu comme l’emblème des Lettrés, des Sages chinois, dont la transmission s’est faite de maître à disciple à travers plusieurs générations, et même la Révolution culturelle maoïste, en dépit de ses efforts pour faire table rase de la mu­sique « du passé », n’a pas réussi à enterrer complètement l’art du qin. Celui-ci a cependant évolué : les cordes de soie originelles ont été remplacées par des cordes métalliques, l’élé­gante sobriété de la gestuelle traditionnelle a fait place à une gestuelle sans doute plus dé­monstrative, etc. Mais l’essentiel a perduré, c’est-à-dire la transmission d’une maturité artistique de haut niveau dont seulement quelques interprètes peuvent se prévaloir.

C’est le cas de Li XIANGTING, natif de Mandchourie et professeur au Conservatoire central de musique à Pékin, et héritier direct des grands maîtres Zha FUXI et Wu JINGLÜE. Outre ses compétences « techniques », Li XIANGTING a également le mérite d’avoir partager l’art du qin au-delà même des frontières de la Chine, ce qui n’est pas un moindre exploit compte tenu que le qin incarne la « sinité » musicale même.

Sa venue en France à l’hiver 1990 a offert à OCORA – Radio France l’opportunité d’un enre­gistrement qui complète et approfondit une autre référence discographique marquante de son catalogue, à savoir l’album Chine : Musique classique, paru initialement en 1988 et réédité en 2001. Publié en 1990, L’Art du Qin de Li XIANGTING est donc à son tour réédité en format digi­pack, dont la couverture dévoile cette fois un pan plus large de l’illustration d’origine, une pein­ture datant de la dynastie Song, Écouter le vent, de Zhao GI.

Deux des pièces interprétées par Li XIANGTING dans ce disque figuraient déjà dans l’album Chine : Musique classique. Il s’agit de Changmen Yan (Ressentiment au palais Changmen) et de Liushui (Eau qui coulent), respectivement jouées par Xia FUXI et Guang PINGHU. Une tren­taine d’années séparent ces enregistrements de ceux de Li XIANGTING, mais l’exigence et l’implication musicale et spirituelle de ce dernier confèrent à ses versions un même aspect d’ « intemporalité » à haute imprégnation poétique.

« Entendre le qin joué par Li XIANGTING, c’est découvrir en même temps le violoncelle, BACH et Pablo CASALS : un raffinement extrême, des compositions riches et contrastées, une atmosphère recueillie au service d’un répertoire plus que millénaire », affirme l’éminent François PICARD, auteur des notes du livret. On ne saurait mieux dire, tant Li XIANGTING déploie un éventail de techniques virtuoses qui jamais n’oublient de se mettre au service de l’expression émotionnelle : cordes à vide accordées dans le registre des basses, appuis sur la touche, utili­sation d’harmoniques, cordes stoppées, glissandi rappelant les pizzicati d’un violoncelle, ou en­core la contrebasse sans frettes, voire la guitare slide… c’est tout un assortiment de sonorités aptes à générer un envoûtement dont l’impact n’est assurément pas réservé aux seuls lettrés et érudits de la culture chinoise.

Sentir le vent dans les cordes, humer la fleur de prunus et l’orchidée solitaire, suivre les eaux qui coulent, observer les nuages au-dessus des rivières, tendre l’oreille au chant d’un pêcheur, rendre hommage à un vieil ami…, bref écouter le monde de la nature comme celui des senti­ments humains, voilà ce à quoi invite le répertoire de Li XIANGTING.

Stéphane Fougère

Label : https://www.radiofrance.com/les-editions/collections/ocora

 

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