CLUSTER – Qua

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CLUSTER – Qua
(Nepenthe Music [2009] – Klangbad [2010] – réédition : Bureau B [2017])

Quinze ans après One Hour, CLUSTER, la légende de l’électronique allemande saluée par Brian ENO, David BOWIE et THE EDGE de U2, sort un nouvel album studio. Hans-Joachim ROEDELIUS et Dieter MOEBIUS, ACH & MO pour les intimes, ont enregistré fin 2008 la matière de l’album Qua, soit dix-sept titres pour une durée totale de cinquante-quatre minutes.

ACH & MO ne se laissent pas aller à la facilité en poursuivant une forme d’abstraction expressive dont ils détiennent le secret. Les sonorités ont suivi l’évolution des techniques et sont donc issues d’une palette électronique infinie, du vintage au digital. CLUSTER trouve même en Tim STORY un habile allié (il était déjà à la production pour Errata d’ASHLEY ROEDELIUS STORY et pour Live at the Zodiak – Berlin 1968 de HUMAN BEING). Tim STORY saisit le juste équilibre entre la technicité de pointe et leur démarche musicale d’éternels autodidactes, celle qui les conduit à triturer naïvement des sons que des « professionnels » jetteraient au rebut.

Tous les éléments d’antan sont présents : rythmes semblant suivre la trajectoire imprévisible d’un ballon de rugby, mélodies poétiques, sonorités étranges marquées du sceau « rastakraut ». On identifie çà et là des sons tirés de cuivres, réels ou virtuels, notamment sur le très indus Flutful, ou bien une saturation de guitare sur Diagon. Les titres sont souvent très courts, plusieurs font même moins de deux minutes, mais lorsqu’une trouvaille mélodique et rythmique est captée, nul besoin de la réitérer ad vitam æternam si elle s’apprécie dans sa concision.

Ils égrainent aussi des morceaux nettement plus longs lorsque la matière musicale le leur dicte, pendant presque sept minutes pour Gissander, peut-être l’un des plus belles créations produites par CLUSTER : une indescriptible suspension sonore à base de tintements répétitifs et de glissandi de sources non identifiées.

D’autres titres se révèlent tout aussi captivants dès les premières écoutes, notamment Na Ernel et ses quatre minutes d’électro espiègles sur un fond synthétique évoquant Giorgio MORODER, Stenthin et Formalt et leurs triturations fascinantes, ou encore Imterion, épilogue plaintif aux allures d’adagio pour cordes cybernétiques.

Qua, illustré par une très belle pochette conçue par Dieter MOEBIUS et Tim STORY, manque parfois un peu de hardiesse mais certainement pas de richesse. Il montre un CLUSTER assumant délibérément une esthétique sans équivalent, alliant beauté, poésie et complexité.

Qua est un nouveau classique de l’expérimentale allemande au même titre que le furent en leur temps Zuckerzeit et Sowiesoso, et il n’y aura que les nostalgiques aux oreilles paresseuses pour dire le contraire.

Éric Deshayes

Un nouveau CLUSTER, c’est comme un nouveau KRAFTWERK, cela relève de l’événement. Si, si ! Parce qu’il s’agit d’un album studio et qu’il n’y en avait pas eu depuis longtemps : Apropos Cluster en 1990 scellait de nouveau les retrouvailles entre MOEBIUS et ROEDELIUS, suivi 4 ans après par One Hour. Viendront ensuite Japan Live 1996, First Encounter Tour 1996 et Berlin 07 qui sont des témoignages hautement live ! Qua est donc une étoile filante supplémentaire qui brille dans la constellation CLUSTER, où notre duo s’est retrouvé en novembre 2008 au Seventh Chance Studio dans la ville de Maumee (Ohio) chez leur ami et producteur Tim STORY.

Qua possède toutes les caractéristiques d’une œuvre complexe : de l’expérimental « made in Germany » teinté d’indus (les premières notes de Flutful), et d’ambient visionnaire (Gissander). C’est une œuvre d’art de musique abstraite composée de 17 tableaux sonores : portes ouvertes à un univers de rêves étranges, insaisissables. Nous prenons la voie inverse de Zuckerzeit avec ses naïves mélodies synthétiques. Seul, un morceau comme So Ney possède des réminiscences à cet album de 1974. Qua n’est pas franchement un album énergique, sans pour autant atteindre les limites de l’ambient extrême d’un First Encounter.

Totalement décalé par rapport aux travaux personnels et « motorik » de MOEBIUS, refusant la facilité en balançant de l’électro-techno tape-à-l’œil, Qua ne tombe pas dans le soporifique, grâce notamment à quelques rythmes tribaux froids et lancinants, tels des souvenirs de célébrations oubliées (Lerandis, Putoil, Malturi Sa ou Ymstrob), rappelant l’intérêt des musiciens pour la world music.

L’entité CLUSTER est une « picture music » silencieuse (Imtrerion) au cœur d’une ville industrielle encore endormie, brumeuse et irréelle : entre mirage métallique (Xanesra) et vision futuriste (Na Ernel), tout n’est que mystère. Comme les nombreux sons non-identifiés qui sortent des machines : est ce une guitare électrique sur Diagon, une flûte sur Stenthin ? Y a-t’il des cuivres sur Formalt ? Comme ces compositions aux titres bien curieux qui libèrent une musique accidentelle, où cette impression constante d’imprévu est source de richesse, de variété sonore, et de souvenirs lointains : Curvtum fait penser à du ENO à l’époque de Music For Films, et Formalt à KRAFTWERK au temps de Ralf & Florian.

Qua est d’une précision nette, ne se noyant pas dans les flaques boueuses de l’insignifiant. MOEBIUS et ROEDELIUS ne se perdent pas dans de longs développements futiles et vont à l’essentiel. À quelques exceptions près (Gissander qui atteint presque les sept minutes), les morceaux sont assez courts, et nous prenons un réel plaisir à les écouter en boucle.

Cédrick Pesqué

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(Chroniques originales publiées dans
TRAVERSES n°27 – décembre 2009 et
dans TRAVERSES n°29 – novembre 2010)

 

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