Corée, Île de Jindo – Chants funéraires et chamaniques

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Corée, Île de Jindo – Chants funéraires et chamaniques
(OCORA Radio France)

Séparée de la péninsule coréenne par un étroit bras de mer, l’Île de Jindo (ou Chin-do) appartient au district du même nom, situé dans la province de Jeolla du Sud en Corée du Sud. Son relatif isolement lui a permis de conserver une culture traditionnelle spécifique et intense, au point qu’on y dénombre neuf biens culturels intangibles, dont trois ont rejoint la liste du Patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO : le chant « arirang », la danse et les chants traditionnels « ganggansulae » et les musiques, chants et rites communautaires « nongak ». Ce sont trois de ces derniers qui constituent la matière de ce disque, consacré à des chants funéraires relevant d’une pratique chamanique remontant à l’Antiquité.

Dans ce pays où l’on pratique le culte des ancêtres, les cérémonies funéraires villageoises, où prévaut la couleur blanche, offrent une richesse tant symbolique que musicale et gestuelle, et ont effectivement la particularité de faire entendre des musiques plutôt étonnantes, aux rythmes relevés, qui distillent un climat de réjouissances festives.

À Jindo, la plupart des cérémonies funéraires font parties intégrantes d’un rite nommé « ssitgim-gut », que l’on ne peut traduire littéralement en français que par la ronflante définition de rituel lustral destiné à laver les sentiments d’amertume et de rancune éprouvés par le défunt ou la défunte au moment de son trépas. Ce rite doit ainsi rétablir l’harmonie qui a été rompue par un décès au sein de la famille et de la communauté et permettre au défunt d’apaiser son âme avant de passer dans l’autre monde.

De tradition familiale, le ssitgim-gut est pratiqué par une chamane, accompagnée par un musicien qui est généralement son mari. Depuis le XXe siècle et sous l’influence de la modernisation, les descendants de familles chamanes sont plutôt des artistes qui perpétuent ces traditions, et qui doivent faire montre d’un sens musical très affiné et d’une technicité instrumentale infaillible.

Créé en 1993, le Collectif artistique communal de Jindo, dirigé par KIM Ohyeon, s’est donné pour tâche de représenter les patrimoines culturels immatériels de l’île. C’est ce collectif qui s’est notamment produit en 2016 à la Maison des cultures du monde, à Paris. Les quatre éminentes chanteuses qui ont participé à l’enregistrement de ce disque sont issues de ce collectif. Parmi elles, KANG Song-dae, personnalité importante de la musique traditionnelle de la province de Jeolla, est détentrice de l’art du « namdo japga », dont elle interprète ici deux chants traditionnels de nature mélancolique, accompagnée par sa disciple PARK Jong-sook – par ailleurs brillante interprète de chant minyo – et par YU Hayoung, qui est également une grande virtuose de pansori. Du reste, les inflexions vocales, les rythmes lents, les mélodies ornementées et le lyrisme affligé et douloureux des chants namdo japga sont imprégnés de cet art du récit chanté qu’est le pansori.

Ces mêmes trois chanteuses interprètent de même, dans le dernier tiers de ce disque, deux chants « sangyeo-sori », relevant du répertoire de « jindo manga ». Ils sont généralement entonnés par les porteurs du brancard funéraire transportant la bière lors d’une longue procession jusqu’à la tombe. Ces chants sangyeo-sori de Jindo se distinguent de ceux du continent coréen du fait qu’ils sont conduits par une chanteuse soliste, soutenue par quatre instruments de percussion (tambours et gongs) ainsi que par des choristes sur le refrain.

Entre les chants namdo japga et les chants sangyeo-sori qui, respectivement, ouvrent et ferment ce disque, ont été inclus neuf chants relevant de la cérémonie dite « jaeseok-gut ». Celle-ci constitue l’une des cérémonies intégrées au rituel du ssitgim-gut cité plus haut, lequel dure au minimum quatre heures… (Douze de ces cérémonies du ssitgim-gut sont répertoriées et présentées en détail dans le livret d’accompagnement du digipack.)

Le jaeseok-gut a pour but d’invoquer un important dieu chamanique d’origine bouddhique, Jaesok, assimilé à la naissance, à la longévité, au destin, à la bonne fortune, à la prospérité agricole, etc. C’est la charismatique chanteuse PARK Miouk, représentant la dixième génération d’une famille de chamanes versés dans le ssitgim-gut, qui interprète ces chants de jaeseok-gut, soutenue par des percussionnistes du Collectif artistique communal de Jindo.

Tout au long de ces trois types de chants funéraires chamaniques, les instruments utilisés, outre les percussions comme le tambour en forme de sablier « janggu », le petit tambour « buk », le gong « jing » et le petit gong « kkwaenggwari », sont le hautbois « piri », la cithare à archet « ajaeng », la flûte traversière « daegum » et la cithare « gayageum », soit ceux que l’on retrouve communément dans d’autres formes musicales coréennes, notamment le sinawi, la musique d’ensemble improvisée, qui s’est du reste développée à partir du ssitgim-gut.

Constitué d’enregistrements récents (2016) effectués « in situ », ce recueil de Chants funéraires et chamaniques n’est évidemment pas suffisant à rendre compte de la totalité des chants funéraires chamaniques de Jindo. Il eut fallu intégrer également les chants des autres cérémonies du ssitgim-gut, ainsi que des extraits d’un jeu théâtral burlesque traditionnellement effectué la veille de l’enterrement chez le défunt (et lui aussi répertorié dans le patrimoine culturel immatériel), le « Dasiraegi », qui est pourtant dûment décrit dans le livret. (On voit même la photo d’un artiste expert dans cet art, sans qu’il soit possible de l’entendre dans le CD !).

Néanmoins, cet album dévoile un pan peu connu des musiques traditionnelles coréennes, les répertoires de la province de Jeolla, et de l’île de Jindo en particulier, n’ayant jusqu’ici été pas été grandement représentés sur les CD consacrés à cette partie du monde extrême-oriental (à part sur un disque publié par le label japonais JVC, Shamanistic Ceremonies of Chindo, non diffusé en Europe).

Celles et ceux qui voudraient accroître et approfondir leur connaissance de l’héritage musical de Corée ont donc tout intérêt à se pencher sur ces Chants funéraires et chamaniques, qui s’avèrent même par certains côtés plus accessibles que les musiques de cour aristocratiques du continent coréen de par leurs rythmiques plus soutenues, leurs voix puissantes et profondes et leur caractère de réjouissances communautaires.

Stéphane Fougère

Label : https://www.radiofrance.com/les-editions/collections/ocora

 

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