Erik MARCHAND, Costica OLAN, Jacky MOLARD, Viorel TAJKUNA – Unu, daou, tri, chtar

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Erik MARCHAND, Costica OLAN, Jacky MOLARD, Viorel TAJKUNA – Unu, daou, tri, chtar
(Innacor/L’Autre Distribution)

erik-marchand_unudaoutrichtarC’est avec cet appel que tous les musiciens s’alignent et s’apprêtent à démarrer : « 1, 2, 3, 4… », et c’est parti ! Parti, mais pour où, au fait ? Dans cette aire musicale imaginée par Erik MARCHAND, où la Bretagne et le Banat roumain ne font plus qu’un, où gwerzioù et doïna échangent leurs espaces élégiaques, où hora, joc de doi et gavotte mêlent leurs vibrations rythmiques. Vous aurez bien sûr reconnu tout l’horizon à hauts reliefs et à fortes couleurs déjà dessiné avec le TARAF DE CARANSEBES et les BALKANIKS, dont ce quartet peut passer pour une variante allégée. Enfin, allégée en termes de personnel, pas forcément en ce qui concerne la matière musicale qui, elle, reste toujours aussi dense et pluri-culturelle.

Faut-il encore présenter l’équipe ? Côté Ouest, il y a donc Erik MARCHAND et Jacky MOLARD, deux Bretons voyageurs ; et côté Est, il y a Costica OLAN, illustre joueur de taragot (un taragotiste, donc) et Viorel TAJKUNA, accordéoniste non moins talentueux, tous deux tsiganes.

Il serait facile, dans un souci de clarification et de simplification médiatique à visée promotionnelle, de faire de chacun d’eux le représentant d’une tradition bien délimitée (la Bretagne d’un côté, la Roumanie et la Serbie de l’autre), mais les contextes ethnomusicologiques mêlés aux parcours, aux appétences et aux bagages de chacun, interdisent tout étiquetage étriqué. Ces musiciens représentent et jouent avant tout ce qu’ils sont, en individus qui ont conçu leur propre espace de liberté et d’entente.

Les BALKANIKS jouaient une musique qui n’existait que dans le temps et l’espace où ils la jouaient. C’est exactement la même chose avec ce quartet, qui prend lui aussi un malin plaisir à brouiller les pistes mélodiques, rythmiques et harmoniques entre la « bretonnitude » des uns et la « balkanité » des autres. Unu, daou, tri, chtar (en roumain, breton, serbe et rom dans le texte) n’est pas une « réduction » du propos musical tenu par les BALKANIKS, mais plutôt une focalisation sur les langages de certains de ses membres et un affinage de leur volonté d’échange, de dialogue, dans un contexte à peine plus intime. Les arrangements ne sont certes pas aussi denses et les timbres aussi diversifiés que dans le cas d’un ensemble de six à huit musiciens, mais on connaît dorénavant suffisamment les oiseaux pour savoir que l’on a affaire quoi qu’il arrive à une musique éminemment pulsative !

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En fait, dans ce disque, chacun des protagonistes raconte qui il est, d’où il vient en tant qu’« unité artistique », à travers un choix de thèmes rendant hommage à d’autres artistes qui ont façonné leur sensibilité.

Les ombres d’artistes inconnus des « charts » occidentaux, comme Gabi LUNCÃ, de Mariana DRÃGHICESCU, de Marcel BUDALA, des frères STEFANETI et d’Ion ONORIU planent sur ce disque, ainsi que celle, évidemment plus connue d’un public francophone mais sans doute plus étonnante dans ce contexte, de Jacques BREL, dont l’émouvant Jaurès apparaît ici en deux versions, l’une chantée en français, l’autre en breton, dans une magnifique traduction de Christian DURO, et arrangée de telle façon que l’on jurerait entendre une gwerz ou une doïna.

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Yann-Fanch KEMENER a également contribué à certains textes, et d’autres membres des BALKANIKS (Alex CIOBANU et feu Florea SANDU) ont évidemment pourvu des thèmes.

La piste vidéo fait office de « making-of » de l’album puisqu’on y voit les quatre compères durant l’enregistrement. Ils racontent leur projet, leur choix, leur histoire, et leurs interviews « in situ » alternent avec des images captées lors d’un spectacle à Caransebes et d’un fest-noz à Langonnet.

Où l’on voit que, loin d’être le fruit improbable d’une abstraction conceptuelle, Unu, daou, tri, chtar est avant tout le témoignage d’une formidable rencontre de sensibilités que seule la géographie éloigne. Quatre solistes, quatre complices.

Label : www.innacor.com

Stéphane Fougère
(Chronique publiée dans ETHNOTEMPOS n° 21 – avril 2006)

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