FARLANDERS – The Farlander / Moments (Live in Germany)

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FARLANDERS – The Farlander / Moments (Live in Germany)
(Jaro Medien GmbH)

En Russie aussi, le monde folk a ses trublions « underground », ses empêcheurs de penser la musique en propositions trop rectilignes. Ainsi en est-il des Moscovites FARLANDERS, qui se sont mis en tête d’arranger le folklore russe traditionnel et contemporain à la sauce rock et jazz, voire au-delà. L’Europe de l’Ouest a pu les découvrir grâce au label allemand Jaro Medien, qui a publié en 1998 et en 2000 leurs deux premiers CDs, The Farlander (réédité par le label américain Shanachie sous le titre The Dream of Endless Nights)  et Moments, deux OVNI dont il eut été dommage de rater le passage.

À la base, le groupe est porté par deux personnalités de la scène musicale du « bloc de l’est » : Inna ZHELANNAYA et Sergey STAROSTIN.

La première, guitariste et chanteuse, a fait ses débuts au sein du groupe ALLIANCE, a monté son propre groupe en 1994 pour enregistrer son premier album, Vodorosl (Seaweed), et s’est depuis fait connaître jusqu’aux États-Unis (la côte Est, New York). Le second a énormément contribué via ses programmes radio et TV à faire connaître la musique folk dans son propre pays, et s’est fait entendre sur la scène internationale en tant que membre du MOSCOW ART TRIO, avec Misha ALPERIN et Arkady SHILKLOPER. Mais ce n’est pas tant comme chanteur qu’il se distingue dans les FARLANDERS (bon, un peu quand même… c’eut été dommage de se priver de son timbre rustique, même si celui d’Inna vaut largement le coup d’oreille), mais plutôt comme souffleur.

Car l’une des caractéristiques instrumentales du groupe est précisément cette masse impressionnante de vents : clarinettes, cornemuses, whistles, flûtes et des curiosités locales tel le rozhok (sorte de corne de berger) façonnent en partie le son des FARLANDERS. Tant et si bien que Sergey STAROSTIN se les partage avec un autre Sergey, KLEVENSKY, ce qui nous vaut d’excitantes combinaisons duelles, rugueuses et stridentes juste ce qu’il faut.

Le tout est enrobé par une section rythmique très tendance jazz-rock, avec une basse fretless tenue par un troisième Sergey, KALACHEV, bien ronde par endroits et plus « slappée » à d’autres, et un « drum kit » bien piquant (Pavel TIMOFEEV), que l’on aurait éventuellement aimé plus coloré. Peut-être manque-t-il aussi un percussionniste…

Très ancré dans le folklore russe, le répertoire est pour moitié composé par Inna ZHELANNAYA et Sergey KALACHEV, tandis que l’autre est constituée de thèmes traditionnels réarrangés, très probablement collectés par Sergey STAROSTIN. Cela n’empêche pas les FARLANDERS d’ajouter au gré des inspirations spontanées une touche de klezmer par-ci, une teinte orientale par-là, une pulsation funk entre les deux, etc.

Totalement à l’écart des modes « world », la fusion jazz-folk-rock des FARLANDERS professe un décloisonnement des genres tout à fait salutaire et inventif, même si l’on subodore que le groupe pourrait aller plus loin en s’affranchissant davantage des figures imposées par ce type de mélange.

Et justement, sur scène, le potentiel des FARLANDERS se déploie avec une fascinante liberté. On peut le vérifier avec l’album Moments (Live in Germany) sorti peu après The Farlander. Cette captation live est de celles qui tient du miracle autant que de la révélation : le groupe y est superbement inspiré dans son jeu et l’enregistrement restitue à merveille le dynamisme dont il fait preuve, l’énergie qu’il dispense, et l’atmosphère de l’instant.

Le plus fort est que cet enregistrement provient non pas d’une console multipistes ultra élaborée, mais… d’un simple mini-disc ! La qualité sonore y est cependant exceptionnelle, et bénéficie d’un relief envoûtant, préservant une forme d’intimisme climatique tout en ajoutant une épaisseur chaleureuse à l’impulsion musicale générée par les FARLANDERS. On est vraiment « dans » le concert, on suit le groupe dans ses paysages et horizons sonores, on est enveloppés et emportés dans des histoires d’un autre temps mais transposées dans une nouvelle dimension.

L’autre intérêt de ce disque live est de montrer comment certains morceaux de l’album The Farlander résonnent d’une vitalité nouvelle, notamment Poppy, le morceau de clôture du disque studio, ici aussi joué en fin de concert, dans une version étendue presque au double de sa durée originale, les musiciens ayant creusé des brèches dans lesquelles ils déploient davantage leurs facultés expressives. Les voix d’Inna ZHELANNAYA et de Sergey STAROSTIN sont de même dans une forme éblouissante, et Alexander CHEPARUKHIN vient renforcer le quintet avec sa darbouka sur plusieurs morceaux.

De plus, Moments présente une bonne moitié de pièces inédites (des thèmes traditionnels de différentes régions du territoire russe, mais aussi des compositions d’Inna ZHELANNAYA) qui étendent encore davantage le registre du groupe. Sa mixture folk-jazz-rock s’y métamorphose par endroits en textures plus atmosphériques, ouvrant l’espace à des litanies aux colorations parfois sombres (Up to the Sky, Near Kiev). Et à d’autres, le « lâcher de chiens » y est accentué avec fougue (Twilight, Blues).

Rusticité et sophistication se combinent dans une alchimie enivrante, et font de Moments un de ces albums imprégnés d’une magie rare et indispensable à tout âme amatrice de pulsations musicales intactes et intègres.

Stéphane Fougère

(Chronique partiellement publiée dans
ETHNOTEMPOS n°8 – avril 2001 et remaniée en 2017)

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