FAUST – Punkt. // FAUST – „Daumenbruch” 

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FAUST – Punkt.
(Bureau B) //
FAUST – „Daumenbruch” 
(Eroto Tox Decodings)
Au tout début de leur histoire et avant d’être un groupe de musiciens, les Allemands et Français de FAUST vivaient en communauté depuis 1968, taquinant plus ou moins et par ci par là des instruments disparates et fredonnant des mélodies approximatives comme beaucoup de chevelus germaniques ou français de cette époque.  Faisant partie de ceux qu’on appellera plus tard parfois à tort les musiciens des années post 68 qui renouvelleront et expérimenteront la musique qualifiée souvent trop rapidement de prog-rock. Pourtant la plupart d’entre eux étaient de vrais apprentis musiciens rompus aux rigueurs du solfège et sachant jouer des rudiments de piano/guitare appris lors de leurs études adolescentes ou grâce à leurs parents ou amis ouverts aux musiques modernes (jazz, blues, folk). Les musiciens de FAUST le sont devenus suite à leur rencontre avec le journaliste Uwe NETTELBECK, fortement convaincu du potentiel de leur musique, qui les mènera chez Polydor Allemagne intéressé par une éventuelle publication d’un album de cette nouvelle mouvance musicale en vogue dans le pays.

En effet, à l’époque on assiste à un bouillonnement intense en Allemagne et les maisons de disques sont prêtes à signer tous azimuts des groupes de tous bords allant de GURU GURU, AMON DÜÜL, ASH RA TEMPEL, NEU, HARMONIA, CLUSTER, XHOL-CARAVAN à CAN et autres qui formaient la « vague planante, électronique et expérimentale » de cette scène hors norme libérée des modèles musicaux et des carcans imposés par les maisons de disques anglaises et américaines.

Pour FAUST et Polydor, la rencontre s’est faite grâce à un formidable malentendu : en effet la maison de disque offre au groupe d’enregistrer une démo dans un studio à Wümme (qui deviendra la base du groupe pour sa période allemande) entre Hambourg et Brême d’où est tiré Lieber Herr Deutschland repris sur la compilation d’inédits du groupe de 1979 intitulée 71 minutes of… (ReR Megacorp). Cette démo deviendra un vaste fouillis rassemblant aussi bien des airs de foire qu’un assemblage de hurlements de foules scandant en langue locale (allemand) : « ouvriers, levez-vous, le pouvoir au prolétariat… », suivi de mixtures approximatives, de bidouillages de bandes magnétiques, de collages et de déclarations déclamées en français et allemand pour finir en joyeux pot-pourri bien débraillé de séquences bruitistes dadaïstes et en dehors de tous les courants européens existants à l’époque.

Le premier album de FAUST, sorti en 1971, devenu et resté célèbre par sa pochette et le vinyle tous deux transparents avec une radiographie d’un poing levé (« faust » en allemand veut dire poing) est une réussite venue de nulle part et ses trois longs morceaux ne ressemblent à rien de connu à l’époque (la face 2 Miss Fortune a été enregistrée directement dans le studio sans aucun re-recording ni montage) et déchiffre de nouvelles voies reprises bien plus tard par différents groupes des avant-gardes européennes qui perpétueront l’héritage unique du mélange des pop songs et des improvisations chères à ce groupe inclassable même au milieu de ses congénères allemands du krautrock.
 
Après un intermède auprès de SLAPP HAPPY pour l’enregistrement de Sort of (leur meilleur album) en mai-juin 1972, toujours au studio Wümme (pour la période avant Virgin du groupe de BLEGVAD, MOORE et Dagmar KRAUSE), FAUST s’attaque à son deuxième album, So Far, pochette et vinyle tout de noir vêtus, qui sortira au début de 1973 et qui démarre très fort par le lancinant, monotone, velvetien, It’s a Rainy Day Sunshine Girl, mélopée de 7 minutes au tempo ralenti, annonçant le reste et forgeant définitivement la légende de FAUST : entre musique festive, un peu absurde, décousue, orgiaque et en dehors de tous les clichés du rock européen de l’époque.
 
Au début 1973, le groupe, en crise non stop, quitte Polydor, décide de faire de la scène et fait des yeux doux (ou est-ce le contraire) au label anglais Virgin, tout juste débutant et vierge de tout esprit capitaliste (ça n’a pas duré) et dont il sera une des premières signatures avec ce Faust Tapes collage d’archives vendu (à perte par le label) au prix d’un single en guise d’opération publicitaire ! et de support à une grande tournée anglaise du groupe désormais fleuron (et otage du peu scrupuleux et stratégique Richard BRANSON) du catalogue ahurissant de Virgin de l’époque (HENRY COW, HATFIELD AND THE NORTH, Robert WYATT, CAN, GONG, LADY JUNE, etc.).
 
Faust IV, enregistré au Manor studio d’Oxfordshire de Virgin fin 1973 et sorti en 1974,  arrive en fait en décalage par rapport à la nouvelle (vague) mode de la musique krautrock qui déferle en Europe avec le splendide Future Days de CAN, qui lui délaisse la violence hypnotique de Tago Mago et d’Ege Bamyasi (qui est aussi le signe d’une certaine maturité), car Faust IV conserve son aspect décousu (sa marque de « fabrik ») entre Krautrock, le morceau d’ouverture dynamique suivi par The Sad Skinhead (clin d’œil au Moonshake de CAN façon dépouillée), la jolie ballade Picnic on a Frozen River – Deuxième Tableau et le malheureusement très monotone et planant Jennifer qui ennuie plus qu’il n’envoûte. 
 
Entre septembre et octobre 1973, suite à la vingtaine de concerts d’une tournée Virgin avec HENRY COW (et selon les dires de Fred FRITH : « leurs prestations étaient horriblement mauvaises ») le groupe éclata (ou plutôt en finit d’éclater) laissant à l’abandon pour un temps l’image de pionnier d’une musique déviationniste qui permettra à toute une école d’éclore par la suite (THIS HEAT, THROBBING GRISTLE, même GODSPEED YOU ! BLACK EMPEROROR et avatars) dignes enfants de Tony CONRAD avec qui FAUST a collaboré en 1972 pour l’album Outside the Dream Syndicate aux rythmes hypnotiques et lancinants, bien loin des frasques faustiens et de leurs productions virginiennes.
 
Mais l’histoire n’est pas finie.  En effet, le staff de Virgin, las des compromis avec FAUST, cherche à imposer ou à exercer une grosse pression sur le groupe afin qu’ils daignent produire (enfin) leur chef-d’œuvre, et donnent en hésitant un peu les moyens au groupe pour ce faire. L’histoire est connue et  sordide: la résidence de Munich (10 jours d’enregistrements) et sa note extrêmement salée de « room service » ont abouti au mieux à des démos inachevées et non finalisées, au pire à une cacophonie que Virgin refusera de payer, de produire et même de publier, enclenchant le point (poing) final de ce non disque (Punkt. appelé également Faust 5 ou Faust 5 1/2 ou l’album de Munich) ainsi que la vie du groupe qui disparait des radars pour longtemps (non sans avoir tout de même embarqué les bandes au nez et à la barbe des vierges un peu effarouchées mais ravies d’être débarrassées de ces gêneurs ébouriffés et bien mal élevés).
 
Mais l’histoire est encore en marche et c’est du côté de HENRY COW et du label Recommended Records (ReR) que Chris CUTLER, fondateur du label, réédite à partir de 1979, les trois premiers albums du groupe ainsi que l’album fantôme (dénommé Munic ou Munich and Elsewhere, regroupé avec un autre album inédit? The Last LP? sur un CD en 1996 : 71 Minutes of…).
 
Plus tard, le coffret intitulé The Wümme Years (ReR, 2000), qui contient les trois premiers albums du groupe et une BBC Session +, ressuscite également une partie des morceaux de Munich… dans un autre ordre et avec des titres différents (les fans s’y retrouvent) et enfin en 2021, sort chez Bureau B le coffret définitif de l’œuvre de Faust intitulé 1971-1974 avec 8 CDs avec inédits de la période et inclus l’album Punkt. dans sa version validée (ou pas) par le groupe, malheureusement en tirage limité, plutôt cher à l’achat et vite introuvable.
 
Mais les bonnes fées de 2022 vont permettre aux foules enfin satisfaites de pouvoir profiter du mastering des bandes effectué par Amaury CAMBUZAT (membre du FAUST des années 2007) en sortie solo chez le label Bureau B qui, conscient que les gens ont hésité à acheter un coffret empli d’albums qu’ils possédaient déjà pour un seul mais légendaire album qu’ils avaient également plus ou moins acquis sous le manteau, pourront (les foules, les gens) posséder tout à fait officiellement le saint des saint, l’album manquant, perdu, retrouvé, la substantifique moëlle, le FAUST ultime et culte qui manquait terriblement, la pépite en point final et avant-punk de la période légendaire du groupe soit près de 50 ans après sa première carrière.
 
Entrons rapidement dans l’album et ses sept morceaux avec Morning Land et ses 10 minutes de musique lourdement psychédélique, ses vocaux en sourdine et en dégradé, embrayant sur Crapolino, morceau de guitares écorchées et stridentes qui ont l’air d’une messe noire débouchant sur Knochentanz (la Danse des os), magnifique morceau mélangeant pendant 6 minutes toutes sortes de rythmiques, de percussions, d’orgues qui en font le totem de la musique du groupe, ensuite Fernlicht (Lumière au loin) et Juggernaut font vaciller les limites de la pop music dans laquelle plongeait malicieusement le groupe pour mieux s’en dégager, le morceau suivant, Schön Rund, calme et reposant indique que FAUST sait également s’approcher de la beauté un peu jazz des compositions de certains de leurs congénères allemands (on pense à CLUSTER et ses magnifiques morceaux éthérés avec Brian ENO), tout ceci finissant en gigantesque fanfare assortie de grognements et de drones avec le morceau Prends ton temps, qui veut bien dire qu’au delà du point final, FAUST va réfléchir et faire le bilan de toutes ces années de haute voltige.
 
FAUST en 2022 est donc toujours vivant de deux façons distinctes :  l’héritage avec Punkt. et la nouveauté. Car après s’être fait oublier et redécouvrir par toute la génération des années 1990, le groupe, dans une nouvelle formation menée par Werner « Zappi » DIERMAIER et Gunther WUNSTHOF, publie aussi cette année un ultime (?) album intitulé „Daumenbruch” (Fracture du pouce !), clin d’œil de la pochette de 1971 avec un doigt d’honneur à la place du poing levé et surtout une musique en trois morceaux, trois mouvements improvisés et retravaillés avec une forme de calme glacial, menaçant, dans le sens industriel du terme qui perturbe plus qu’il n’apaise l’auditeur.
 
Une façon pour le groupe de rappeler que malgré son jubilé, FAUST reste définitivement un coup de poing dans la figure (de l’industrie musicale et de ses auditeurs) pour sortir en forme de testament pas forcément définitif, la preuve en pratiquement 59 minutes de leur longévité, de leur acuité et de leur génie fou qui les placent souverainement au sommet des groupes allemands encore bien vivants en 2022.
 
Xavier Béal
 
Label (pour Punkt.) : www.bureau-b.com
 
 
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