FAUSTINE – Faustine

198 vues

FAUSTINE
(Autoproduction / Coop Breizh)

L’automne vient… c’est la saison où apparaît FAUSTINE. En fait non, cet album est sorti en plein cagnard estival, mais l’univers qu’il dépeint est de ceux qui s’épanouissent à l’heure des chutes de feuilles mortes, des nuages chargés de nuances grises, des vents perfides et (per)sif(f)leurs et des averses en gros sabots qui ne donnent qu’une envie : se remettre à l’écoute de cette voix intérieure qui vient de loin, d’une enfance révolue qui savait faire surgir le fantastique du moindre élément anodin. Quand on est enfant, on ne se cherche pas une identité, on s’en trouve plusieurs. On furète dans différentes galaxies….

Ainsi de FAUSTINE, quartette qui se situe à la croisée de plusieurs genres mais qui ne tient guère à se laisser enfermer dans un style. On y entendra des éléments de pop, de jazz, de rock, sans qu’à aucun moment on puisse dire où on se situe précisément, ces éléments jouant aux électrons libres au sein d’une même composition. Il y a du chant ? Oui, mais pas nécessairement pop. Et les compositions, qui échappent au format engoncé couplet-refrain-tralala, dépassent les 3 minutes réglementaires, poussant généralement vers 5 ou 7 minutes. Structures ouvertes donc ? On ressent certes un feeling, un phrasé jazz, mais souvent heurté, bousculé, parasité par des volte-face rythmiques, des assauts d’électricité, qui donnent aux « chansons » une structure plus tortueuse, labyrinthique… progressive.

Ainsi, on pourra sentir chez FAUSTINE des accointances avec les univers de BJÖRK, de MORCHEEBA, de P.J. HARVEY comme de KING CRIMSON, quelque chose qui vagabonde entre une pop déviante et un post-rock ramassé, un trip-hop dégingandé, un jazz déconstructiviste et un rock progressif relifté. Ça vous paraît improbable ? FAUSTINE l’a fait.

Mais qui se cache donc derrière FAUSTINE ? Faustine… AUDEBERT de son nom. Et là, je vois un ou deux Bretons dans la salle qui se réveillent. Faustine AUDEBERT ? Notre Faustine AUDEBERT ? La Brestoise qui fait sensation dans les festoù-noz, bardée de récompenses pour sa maîtrise du chant traditionnel de Haute-Bretagne ? La même Faustine qui, armée de sa voix et de son clavier, s’est mise en tête de dévergonder la musique bretonne après s’être commise dans la KREIZ BREIZH AKADEMI (collectif IZPEHNN 12), explorant tous les recoins de la modalité avec des formations de pointe comme CHARKHA, [ZON], BAYATI, SIN ANTESIA, etc. ? C’est la même, et c’en est une autre.

La Faustine AUDEBERT qui se révèle ici dans le groupe auquel elle prête son prénom pour en faire un nom, en profite pour rappeler qu’elle est aussi celle qui s’est formée au piano classique avant de se tourner vers le jazz, l’improvisation… Vous voudrez bien la pardonner d’avoir mis de côté son bagage bretonnant, les valises qu’elle expose dans FAUSTINE sont somme toute déjà bien chargées ! « Je est un autre », avait prévenu Arthur, et Faustine AUDEBERT se plaît dans la sinuosité identitaire.

C’est pourquoi le son de FAUSTINE glisse entre les oreilles, mais accroche en même temps l’esprit. Pour un groupe qui a à peine une année d’existence, ce qu’il donne à écouter dans ce CD liminaire témoigne d’une belle maturité. Il faut dire que Faustine a choisi ses compagnons de voyage.

Et parmi eux, on y trouve James Mac GAW. Le guitariste de MAGMA, ONE SHOT, SEVEN… ? Si fait. Sauf qu’ici, pour brouiller les pistes, il joue de la basse ! Un autre James, et toujours le même, distillant une aigreur et une martialité aux relents indéniablement zeuhl… La guitare, c’est Hélène BRUNET qui en joue en mode électrique autodidacte, donc pas vraiment dans les clous et les balises, ni dans la stérilité virtuose, mais au service d’une identité de groupe. À la batterie, c’est Nicolas POINTARD, habitué des musiques free, improvisées, à la frappe puissante, métallique, hypnotique, mais aussi en proie à des accès de rage, d’envolées détournées…

Pour s’entourer de gens pareils, il faut avoir des choses à dire. Et FAUSTINE raconte bien des choses, notamment par la voix de Faustine, mais qui préfère les faire dire par d’autres ! Et parce que, comme l’a dit un certain Isidore DUCASSE, la « poésie doit être faite par tous, et non par un », Faustine AUDEBERT, pour les textes de ses chansons, est allée emprunter chez d’autres auteurs, écrivains, poètes d’horizons variés.

Sa préférence pour cet album semble aller pour les œuvres de la poétesse américaine Elizabeth BISHOP, dont elle chante trois textes forts (Song for a Rainy Season, I am in Need of Music, Songs for a Coloured Singer). Elle sollicite également le poète romantique anglais John KEATS (The Day is Gone and All his Sweets are Gone), plonge « de l’autre côté du miroir » de Lewis CARROLL (A Boat Beneath a Sunny Sky), s’empare de l’inspiration bouddhique tardive d’Allen GINSBERG – qui fut lui aussi marqué par les rythmes jazz et pop ; il n’y a pas de hasard… – (Father Death Blues) et cueille une fleur venimeuse de Charles BAUDELAIRE (Le Flambeau vivant). Et puis Faustine AUDEBERT se jette finalement à l’eau, en livrant un texte de son cru (Ode to Granny), parce que quand même… Elle a bien fait, cet « aparté » voix/piano apporte une respiration dans l’album.

Tout cela est chanté en anglais, avec ce timbre si délié, satiné, ondulant comme un funambule dans des rythmiques pourtant souvent impaires. Tout a l’air simple chez FAUSTINE, et cependant si compliqué, et vice-versa. De toute manière, écouter une voix d’ange blessé sur un fil de rasoir, c’est toujours plus saisissant qu’entendre un sermon angélique rasoir dont on a perdu le fil…

Si, comme Elizabeth BISHOP, vous avez un besoin impératif de musique qui coule («I’m in Need of Music that Would Flow»), FAUSTINE devrait vous faire bien plus que l’effet d’un coupe-faim…

Stéphane Fougère

YouTube player

YouTube player

Print Friendly, PDF & Email

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.