GEOFFREY ORYEMA : Une éthique de l’exil

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Geoffrey ORYEMA

Une éthique de l’exil

On ne présente peut-être plus le chanteur ougandais révélé par Peter Gabriel et son label Real World, passé chez Musisoft puis aujourd’hui chez Sony qui réédite son quatrième album, Spirit. Mais quand on le trouve sur sa route, il est difficile de ne pas vouloir échanger quelques mots, histoire de faire le point sur son parcours, incarnation même d’un processus de métissage à contre-courant de celui qui se pratique généralement en Occident.

Ainsi, parti de sa tradition ougandaise, Geoffrey ORYEMA, exilé en Europe, en est venu à s’intéresser au rock de la génération « flower power » et plus récemment à la variété française (cf. son duo avec Alain SOUCHON). Geoffrey ORYEMA a adopté la France tout comme la France l’a adopté, au point qu’un de ses morceaux (Ye Ye Ye) a servi de générique télévisuel… Peut-on reprocher à un exilé de se prendre de passion pour la culture populaire des pays qui l’ont adopté ?

Voici quelques éclairages à méditer.

Pourquoi avez-vous choisi de chanter en anglais ?

Geoffrey ORYEMA : C’est ma deuxième langue maternelle. J’ai le droit de chanter en anglais. Après ma musique traditionnelle, j’ai été marqué par le rock anglo-saxon. Je suis désolé, mais j’ai connu les années 60 (j’ai 47 ans) et j’ai adoré ça. Quand Peter GABRIEL a quitté GENESIS et qu’il s’est intéressé au Tiers-monde, à l’Afrique, pour lui emprunter ses idées et pour sortir des albums formidables, on ne lui a dit rien. Mais quand un artiste du Tiers-monde emprunte à l’Occident, on lui dit : « Pourquoi ne restez-vous pas dans votre domaine traditionnel ? » Je trouve que ce n’est pas juste.

Dans mon dernier album, Spirit, j’ai introduit un instrument que j’ai été cherché aux sources, la calebasse. Avec elle, on fait la danse des « laraka raka ». c’est une danse de séduction ; c’est du rock traditionnel de chez nous. C’est vraiment rapide, et j’ai ajouté une guitare électrique avec distorsion. Ce mariage musical est une richesse pour moi. Ça gêne peut-être certaines personnes qui viennent me voir en concert, mais je fais ce qui me tient à cœur. Les gens ont le droit de ne pas aimer ; mais moi, j’ai une vision très claire de ce que je fais. Je suis ma route.

Pouvez-vous nous parler de votre rencontre avec Brian ENO ?

GO : C’est Peter GABRIEL qui a provoqué cette rencontre. Juste avant d’entrer en studio pour mon premier album, on a commencé par faire une liste des producteurs potentiels. Il y avait plusieurs noms sur cette liste : Michael BROOK, Daniel LANOIS, David COPPERFIELD… Peter m’a dit : « Je pense que l’homme dont on a besoin pour notre tâche, c’est Brian ENO. » Vu son expérience, c’était l’homme de la situation. Ça a été très, très vite en fait. Il est venu aux studios Real World et on a travaillé tout de suite. Ça a été une expérience très agréable. Quant à Peter, la première fois que je l’ai vu, il m’a dit : « Geoffrey, apprends-moi à chanter. »

Je n’y croyais pas ! Je trouve ça bien qu’il y ait ce côté humain très fort… Je me souviens que pour un morceau qui parle des peuples opprimés j’avais besoin d’une voix «endolorie». Je me suis demandé à qui je pourrais demander de chanter et je me suis retourné, Peter était là. Je lui ai dit : « Tu as 5 minutes ? » Il m’a répondu : « Oui. » Voilà. Aujourd’hui, je ne suis peut-être plus sur le label Real World, mais je fais toujours partie de la famille. Je continue à participer à des projets avec eux, à jouer au festival Womad…

Qu’est-ce qui vous a poussé à enregistrer avec IDIR (album Identités) ?

GO : J’ai découvert IDIR en 1976. Quand je suis arrivé en France, je ne savais pas qu’il y vivait. Il y a 2 ans, j’ai été contacté par sa maison de disques pour ce projet et j’ai accepté parce que j’ai énormément d’admiration pour lui. On est devenus amis. On a passé un moment inoubliable ensemble dans le studio. J’ai été le premier artiste « guest » sur ce projet. Le titre que je chante, Irib, signifie en français « exil », ce qui est également le titre de mon premier disque (Exile). On a connu tous les deux l’exil. C’est ce qui nous lie.

Retourner en Ouganda, ça fait partie de vos perspectives ?

GO : Je veux y croire. Sûrement. Mais ce n’est pas parce que je n’y suis plus que je ne m’y intéresse plus. Je ne veux que du bien à ce pays. Depuis 24 ans que je suis en France, je parle de ce pays et les gens le découvrent. J’ai une relation d’amour et de haine par rapport à l’Afrique. Il y a des choses que je ne pardonne pas. On va rentrer dans le 21e siècle et, pour moi, tant qu’il y aura des guerres ethniques, ça ne me conviendra pas. J’ai l’espoir, mais je commence à perdre patience. Il faut savoir qu’on a des gens capables dans tous les domaines, que ce soit dans le domaine scientifique, artistique… Mais l’Afrique est malade. En tant que chanteur, j’essaie de faire de mon mieux pour que ça change.

Le côté positif de l’exil, c’est qu’il vous a permis de découvrir d’autres univers musicaux, culturels… Vous évoquiez le rock anglo-saxon. Y a t-il eu d’autres « chocs » culturels ?

GO : Vous savez, je suis quelqu’un de très ouvert. On ne choisit pas sa famille… Pour ma part, je viens d’une famille très aisée. Si mon père n’avait pas été assassiné, il serait devenu ministre ou président. J’ai beaucoup souffert de cela quand j’étais môme. Quand on m’amenait à l’école avec chauffeur, Mercedes, etc., le regard des autres me dérangeait toujours. Mais j’ai eu énormément de chance. À la maison, il y a toujours eu des gens pour donner un coup de main. Et mes parents m’ont dit qu’il ne fallait pas se conforter dans une bulle à cause du statut du père.

Tout ça pour dire que j’ai été ouvert à tout. Je suis allé dans des écoles où il y avait des Anglais, des Américains, et puis j’ai découvert la musique des ROLLING STONES, etc. Quand je suis arrivé en France, j’ai découvert des artistes français qui ne sont absolument pas connus dans les territoires anglophones ou anglo-saxons. Par exemple, j’ai rencontré Alain SOUCHON, avec qui j’ai enregistré un morceau sur mon troisième album ; Véronique SANSON ; Catherine LARA, avec qui j’ai également fait un duo… Et j’ai choisi la France parce que la langue française est, selon moi, la plus belle langue du monde. Je ne peux pas vivre ailleurs qu’en France parce que c’est tellement chargé de choses : la gastronomie, la mode… Je voyage beaucoup entre Sidney, New York, Tokyo…, mais chaque fois j’ai hâte de rentrer à Paris !

Il y aurait donc à Paris une sorte de « melting pot » culturel que vous n’avez pas retrouvé dans d’autres capitales du monde ?

GO : Voilà, exactement. C’est une capitale qui m’inspire beaucoup. Sur mon quatrième album, il y a des titres que j’ai écrits à la terrasse des cafés, en contemplant la Tour Eiffel. C’est beau, voilà tout.

Propos recueillis par Stéphane Fougère et X
au Festival Babel à Strasbourg en juillet 2000
Photos : Sylvie Hamon
(publié dans ETHNOTEMPOS n° 7, novembre 2000)

 

Lire la chronique du CD, Spirit.

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