Ghédalia TAZARTÈS – Check Point Charlie

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Ghédalia TAZARTÈS – Check Point Charlie
(Gazul/Musea)

Ne cherchez pas Ghédalia TAZARTÈS dans un lexique des genres musicaux, il n’y figurera certainement pas, et sa localisation sur une carte des musiques même nouvelles risque d’être ardue. TAZARTÈS, c’est un peu le Robinson Crusoë des musiques « autres », il s’est construit son île et n’en sort pas. Et avec seulement sept disques depuis 1979, il y a de quoi voir en lui un ours mal léché, ou un ermite fuyant la civilisation. Ce n’est pas complètement faux : TAZARTÈS est résolument à l’écart des civilisations stylistiques formalistes et nivellantes ; son monde est en quelque sorte un antidote à celles-ci. L’homme ne se définit même pas comme un musicien ; il travaille du reste plus volontiers pour le théâtre, la danse ou le cinéma. TAZARTÈS ne « fait » pas de la musique, il pratique ce qu’il appelle lui-même l’« impromuz », mélange de travail sur bandes et de vocalisation dans une langue improvisée qui évoque plein de choses sans qu’il soit question pour elle de revendiquer un attachement local.

S’improvisant muezzin, griot ou pandit, TAZARTÈS s’approprie les sabirs vocaux des terres de tradition populaire et en fait de même avec les sons, qu’il déterritorialise et malaxe avec ardeur avec son échantillonneur et son magnéto à bandes, au point de remplir à lui seul les fonctions d’un orchestre complet, électroacoustique et pluri-ethnique.

Check Point Charlie est à l’origine paru en 1990 sur AYAA ; sa réédition dans la collection « les Zut-O-Pistes » du label Gazul est l’occasion pour son auteur d’y ajouter deux pièces inédites dont la courte durée les fait apparenter à des ponts entre deux des quatre pièces montées d’un quart d’heure chacune que contenait l’édition originale.

Ces pièces s’écoutent comme des « field recordings » balancés en lecture aléatoire pour former un conglomérat foutraque de sons, de textes (notamment ceux de l’indispensable poète « métaphysicien expérimental » René DAUMAL), de musiques, de chants, de voix, de motifs et d’ambiances largués aux quatre coins du globe, mais révélant en filigrane une structure qui, certes, aime les jeux de cache-cache.

Tout comme il y a eu l’écriture automatique, Ghédalia TAZARTÈS pratique l’enregistrement automatique. Mieux, les compositions de TAZARTÈS pratiquent la métamorphose perpétuelle en empruntant aux sons et musiques de partout, notamment folklores extra-européens, voire extra-occidentaux, qui servent de relais ou de tremplins à l’ample registre vocal de l’« impromuzicant » qui, de brisures en contrastes, ressuscite tous les temps et les âges de l’être, tous les modes d’expression avant qu’ils ne soient préformatés par la raison sociale.

Colleur de sons, séquenceur de mélopées, diffuseur de cris, égreneur de chants, semeur de boucles, résonateur de mémoire, brasseur de cultures, chasseur d’espaces, traqueur d’universalité, Ghédalia TAZARTÈS est plusieurs depuis que « je » est un autre dans un processus de dédoublement aussi infini que renversant.

Check Point Charlie est l’un de ces vases (impro-)communicants dans lequel s’engouffre le souffle dévastateur d’une tornade de liberté en pèlerinage perpétuel.

Stéphane Fougère

(Chronique originale publiée dans
TRAVERSES n°21 – janvier 2007)

Page : https://ghedalia-tazartes.bandcamp.com/

 

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