Gilli SMYTH – Mother

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Gilli SMYTH – Mother
(Esoteric Recordings / Cherry Red Records)

gillismyth_motherElle était la Grande Déesse, la Mère, la « murmureuse de l’espace », la chatte, l’animale, la prostituée-poétesse de la planète Gong. Gilli SMYTH a quitté notre monde en plein été 2016 pour aller rejoindre son ancien alien de compagnon camembertien et banananeux à ses heures, Daevid ALLEN, disparu un an et demi auparavant. Le hasard n’existant pas vraiment, quelques semaines avant le départ de Gilli SMYTH pour une autre dimension, le bien nommé label Esoteric Recordings venait de rééditer son tout premier album solo, Mother, réalisé en 1978. Alors qu’une (énorme) page se tourne, on peut désormais reprendre l’histoire musicale de Gilli depuis le début, si tant est qu’on veuille bien voir en elle davantage que la simple chanteuse et vocaliste de GONG.

Car la carrière soliste de Gilli SMYTH a commencé quatre ans après qu’elle a quitté GONG, en compagnie de Daevid ALLEN. Durant ces quatre années, elle a troquée son rôle d’artiste reliée à une des plus savoureuses aventures musicales communautaires contre celui, tout aussi aventureux, de mère. Gilli s’est donc occupée d’élever le nouveau fils qu’elle venait d’avoir avec Daevid, Orlando, que l’on retrouvera des années plus tard dans la version 21e siècle de GONG, derrière les fûts. Mais cela est une autre histoire…

Ces quatre années auront aussi été celles d’une poussée de fièvre créatrice chez Gilli, dont Mother est l’aboutissement. Sans trop de surprises, elle a trouvé en Daevid ALLEN une oreille et un esprit compréhensifs qui l’ont grandement aidé dans la gestation de cet album. Le mentor de la planète Gong a ainsi offert ses services artistiques et techniques – notamment sa science du collage et du montage de bandes – à ce qui est aujourd’hui présenté comme un chapitre important mais négligé de l’univers gonguesque.

Production de Daevid ALLEN oblige, Mother est aromatisé de bout en bout de vapeurs hautement psychédéliques qui ne peuvent que tenter les aficionados de la trilogie Radio Gnome Invisible. À charge pour eux cependant de bien réaliser que l’éclairage est ici oblique, puisque c’est Gilli qui chante… ou plutôt qui parle (et chantonne à l’occasion).

Avec son accrocheuse mélodie folkeuse jouée au violon par Vera BLUM et une ligne de basse bien ronde jouée par (surprise !) Daevid ALLEN, le morceau d’ouverture, I am a Fool, ne fait pas longtemps illusion ; Gilli SMYTH est plus là pour raconter que pour chanter, au sens classique du terme. Bien sûr, son « space whisper » est bien présent et, quand il s’ajoute à la guitare glissando de Daevid ALLEN, les fans de GONG peuvent se rassurer d’être en terrain familier.

Et ils seront d’autant plus aux anges d’apprendre que plusieurs morceaux de Mother ont été conçus à partir du matériau enregistré lors des fameuses sessions au Château d’Hérouville par GONG en 1971, soit à l’époque de Camembert électrique ! D’où la présence, sur Shakti Yoni, OK Man, This is Your World et Time of the Goddess, de Didier MALHERBE, de Christian TRISCH et de Pip PYLE…

Mais encore une fois, c’est Gilli SMYTH qui conduit la soucoupe (ou la théière ?), et Mother n’est aucunement réductible à une compilation de morceaux perdus de la « grande époque ». Du reste, les autres morceaux ont été conçus avec Daevid au Bananamoon Observatory – leur studio à Deia, sur l’île de Majorque – et voient la participation d’autres musiciens, dont Tony PASCUAL (synthétiseur) et Pepe MILAN (guitare acoustique) du groupe EUTERPE (qui accompagnait Daevid ALLEN sur son album Good Morning), ou encore Rafel AGUILO (batterie) du groupe FALCONS.

Mother se veut le reflet de la vision féministe de Gilli, vision délibérément informelle mais nourrie de considérations tant sociales, politiques que spirituelles. Souvent dédoublée, la voix de Gilli SMYTH n’est pas la seule à se faire entendre sur ce disque ; on en trouve un grand nombre qui se manifestent de manière impromptue dans Back to the Womb et Next Time Ragtime, lesquels traitent des genres et des rôles sexuels pour le premier, et de la réincarnation pour le second. Bien entendu, tous ses éléments thématiques sont intrinsèquement liés, tout comme Next Time Ragtime – qui ouvrait la face B du LP original – reprend sur deux guitares acoustiques le thème de I am a Fool, qui débutait la face A.

Dans ce contexte, on n’est pas étonné de trouver une nouvelle version du célèbre Prostitute Poem, qui illuminait l’album Angel’s Egg de GONG, prenant un ton cette fois plus atmosphérique et flottant, malgré la présence d’une tonitruante fanfare au début. Voilà qui devrait encore faire écho aux oreilles des fans de GONG, même si cette « Street Version » n’est pas jouée par des membres de GONG (hormis Gilli et Daevid).

De même, si Keep The Children Free précède le Prostitute Poem et si OK Man, This is Your World le suit juste après, c’est moins par hasard que par considération thématique. Car c’est bien la nature féminine et sa condition et ses rapports avec le monde patriarcal qui est ici mise en abîme.

De bout en bout, Mother met en perspective l’invocation du principe féminin. L’invocation était déjà un élément-clé de la musique de GONG, et ce en grande partie grâce aux vocaux spatiaux de Gilli qui appelaient les esprits et les énergies. Elle développe ici cet art en le déployant dans d’autres directions, plus personnelles. Invocations, incantations et narrations baignent dans un environnement sonore réminiscent des années vécues par Gilli au sein du GONG et simultanément ouvrent sur d’autres perspectives.

Évoquant la magie, l’enfance et la réincarnation, la pièce finale, Taliesin, n’est ni plus ni moins qu’un récit narré oralement (adapté des contes médiévalo-celtiques Les Mabinogion) par une Gilli SMYTH plus envoûtante que jamais en conteuse féérique, et dont le support musical provient de la session enregistrée par la formation « classique » de GONG pour l’album Greasy Truckers en 1973.

Encore une fois, des traces du passé sont utilisées non pas pour effectuer un repli dans la nostalgie, mais au contraire pour creuser de nouvelles voies. Ainsi Taliesin préfigure-t-il les débuts de MOTHER GONG – le groupe que Gilli a créé après sa séparation avec Daevid ALLEN – dont le premier album, Fairy Tales, est entièrement dévoué au « storytelling », avec un accompagnement musical encore plus fouillé. Quoiqu’un peu difficile d’accès pour qui ne maîtrise pas la langue de SHAKESPEARE, Taliesin est donc la plaque tournante de Mother, tant sur le plan thématique qu’artistique.

À tous points de vue, Mother est un album-charnière entre deux époques artistiques pour sa génitrice. Il est aussi un disque multi-facette : la Gilli SMYTH « hippie » y côtoie la Gilli SMYTH mère de trois enfants et la Gilli SMYTH poétesse engagée. Mother est la réincarnation et la renaissance, l’aboutissement d’une « vie de famille » pluridimensionnelle et le point de départ d’une excroissance de la famille GONG. C’est dans le giron de la « mère » que se dessinent les univers étendus…

Stéphane Fougère

Site : www.gillismyth.com

Label : www.esotericrecordings.com

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One comment

  1. Merci pour ce bel article et les extraits de disque .Pour avoir eu la chance de côtoyer Gilli dans Banana Moon Band je ne peux que témoigner de sa gentillesse , sa poésie, sa bonne humeur , sa culture , son francais parfait et l ‘impression immédiate d’être adoptè par sa bonté ainsi que sa grande capacité d’écoute et de narration qu’ils aillent en paix vers d’autres planétes.Marc Blanc

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