GJALLARHORN : L’Envoûtement scandinave

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GJALLARHORN

L’Envoûtement scandinave

Emmené par le violon « hardinger » et la voix cristalline de Jenny WILHEMS, le groupe GJALLARHORN peut passer pour le plus suédois des groupes finlandais du fait de son enracinement dans le folklore du sud-ouest de la Finlande, à forte influence suédoise. Mais le didgeridoo aborigène et toutes sortes de percussions ethniques caractérisent également sa sonorité, d’où l’appellation « world scandinave » qui a servi à qualifier sa musique.

Malgré tout, les horizons mythologiques dans lesquels GJALLARHORN nous transporte sont incontestablement scandinaves, comme l’est l’essence de son répertoire. Révélé en France en 2000 avec l’album Sjofn (l’Autre Distribution), qui a suivi le plus confidentiel Ranarop (réédition en cours), GJALLARHORN continue de dépeindre d’envoûtants espaces médiévaux emplis de ferveur épique et spirituelle dans son nouveau disque, Grimborg, paru à l’automne 2002. Le quartet nous a explicité sa façon de penser sa tradition musicale nordique au présent.

 Entretien avec GJALLARHORN

La majeure partie des membres de GJALLARHORN sont finnois, mais curieusement votre musique paraît plus marquée par le folk suédois que par le folk finnois. Pourquoi ce choix ?

Jenny WILHEMS : En Finlande, il y a trois genres de population et deux langues officielles, le finnois et le suédois. Les gens de langue suédoise vivent principalement sur la côte ouest, il y en a environ 370 000. À l’exception d’Adrian (JONES), qui est Suédois, nous appartenons à ce groupe ethnique, et nous avons donc une grande tradition musicale suédoise, notamment des ballades médiévales, qui constituent une part importante du patrimoine traditionnel suédois.

L’archipel est très grand et comprend plein d’îles ; par conséquent, il est assez isolé et le répertoire de ballades a donc pu être grandement préservé dans cet endroit.

De quand date cette tradition ?

JW : Les ballades médiévales peuvent remonter au XIe siècle. Cela dit, les plus vieilles que j’ai trouvées datent seulement du XVIe siècle.

Avez-vous pratiqué le collectage ?

JW : J’ai surtout utilisé les archives et écouté des bandes d’anciens chanteurs aujourd’hui décédés pour m’imprégner de leur style. J’ai également rencontré quelques chanteurs traditionnels suédois et norvégiens. J’ai ainsi pu étudié en Suède et en Norvège afin d’en savoir plus sur la tradition des ballades médiévales en Scandinavie.

Il y a donc une tradition encore bien vivante…

JW : Oui, elle a été assez bien préservée et elle est même très étudiée dans les universités de musique, où les jeunes générations peuvent avoir accès directement à d’anciennes sources.

Votre musique puise donc largement dans le répertoire traditionnel, mais votre instrumentation ne l’est pas tant que ça, à l’exception peut-être de l’alto ?

Adrian JONES : Pas tant que ça. Mon alto est assez commun, ce n’est pas un instrument spécialement traditionnel. Bon, quelques fiddlers en Suède jouent de la musique traditionnelle à l’alto, mais ce n’est pas si répandu que ça.

Pour ma part, j’ai suivi des études classiques puis je me suis concentré sur le folk, et j’ai intégré l’alto dans le contexte folk. Il avait déjà été utilisé par des musiciens folk il y a une centaine d’années, mais l’instrument folk suédois typique a plutôt été le fiddle, bien sûr. Avec l’alto, je joue surtout les parties harmoniques, et parfois les mélodies.

JW: Dans la région d’où je viens, il y a une vieille tradition qui veut que le violon soit joué en octave. L’alto a donc tout à fait son rôle à jouer dans ce contexte, ça n’a rien d’anormal.

Et qu’en est-il des percussions ?

David LILLKVIST : Ma préoccupation a été de constituer un set de percussions aux sonorités suffisamment variées pour qu’elles puissent convenir à l’esprit des morceaux et mettre en relief leur aspect rythmique. J’utilise donc des percussions du monde entier.

L’idée ne serait-elle pas aussi de mettre en évidence la tradition chamanique de Scandinavie ?

DL : J’utilise il est vrai le tambour chamanique de Samiland (Laponie). C’est du reste la seule percussion scandinave que j’utilise. Mais je dirais que la pulsation chamanique transparaît davantage dans l’utilisation du didgeridoo, dont joue Tommy. Les percussions sont plus… lumineuses.

Toutefois, dans notre nouveau CD, il y a un morceau sur lequel on peut entendre le tambour chamanique de bout en bout qui restitue cette respiration primitive à caractère chamanique. Sur d’autres morceaux en revanche, j’utilise des percussions orchestrales plus classiques comme le tympanon, la marimba, des cloches tubulaires…

J’en ai déjà joué dans d’autres contextes, et c’est assez excitant pour moi d’avoir pu les intégrer à la musique de GJALLARHORN, les ajouter à mon drum kit et mes percussions plus habituelles. Cela s’inscrit plus dans une perspective d’élargissement des couleurs rythmiques.

Votre répertoire comprend donc des traditionnels réarrangés et des compositions originales. Je suppose que celles-ci sont inspirées également par les traditions suédoises et finnoises ? Vous autorisez-vous cependant plus de libertés par rapport à la tradition dans ces compositions ?

JW: Nous avons deux façons de procéder : si nous faisons de vieilles mélodies, nous tâchons de les faire sonner à la manière folk, avec les mêmes ornements, microtons, etc. Leur aspect est donc très proche des thèmes traditionnels, de manière qu’on ne puisse pas dire si c’est du trad’ ou non. Les arrangements, en revanche, peuvent sonner jazz, ambient et offrent plus d’espaces de liberté. C’est notre façon à nous de rendre cette tradition plus vivante.

Nous essayons surtout d’accentuer des éléments rythmiques ou harmoniques qui sont contenus dans la musique traditionnelle, mais à l’état en quelque sorte latent. Nous tâchons de les rendre plus évidents. Le didgeridoo, par exemple, fait office de bourdon, parce que le bourdon est un élément important dans la musique scandinave. Il peut être créé par la guimbarde, le violon, la cornemuse, des percussions, des cordes sympathiques, etc. ; le bourdon est constamment là. Je dirais même que le bourdon est en fait assez typique de la musique folk, d’où qu’elle soit.

J’ai remarqué également que votre répertoire comprenait un poème runique islandais (Hjaôningarima, sur Sjofn)

JW: Oui. Je ne peux m’empêcher, quand on fait des tournées en Scandinavie, de consulter les archives des pays où l’on passe. J’ai ainsi passé une semaine à Reykyavik à écouter de vieilles bandes, à les enregistrer, et j’ai trouvé des chansons très anciennes, dont celle qui figure sur notre deuxième album. Nous avons cru bon de l’intégrer parce que la langue islandaise est probablement la plus ancienne langue encore parlée en Scandinavie. Chanter un thème islandais dans sa langue d’origine a été un honneur pour moi, en vertu de ce que représente cette langue pour nous. C’est une sorte d’hommage à nos racines.

Cependant, la version que nous en avons faite est jouée plus rapidement que par les chanteurs traditionnels, parce que là encore nous avons voulu mettre en relief son aspect rythmique.

Parle-nous de ce chant si caractéristique et impressionnant qu’on nomme le « cow call » (l’ »appel aux vaches »), auquel est consacré tout un morceau sur votre nouvel album (Kulning)…

JW : Je l’ai appris il y a dix ans, alors que je suivais des études de musique folk. Une de mes professeurs tenait cette tradition de sa famille, puisque son père avait un cottage où il élevait des animaux. Pendant une semaine, on était allés étudier et pratiquer ce type de chant dans ce cottage en pleine nature. C’est ainsi que je l’ai appris. Ce n’est pas le genre de chant que l’on commence à pratiquer entre quatre murs, ça aurait pour effet de fatiguer la voix tant c’est puissant. Quand on n’a pas l’habitude, il vaut mieux le pratiquer en plein air.

Au début, c’est assez horrible. On croit entendre un cochon égorgé… Et peu à peu, quand on a appris à ouvrir la bouche correctement, on s’y fait… Il faut un certain temps pour apprendre à activer certains muscles vocaux. Il n’y a pas que la gorge en jeu, mais la poitrine également.

N’y aurait-il pas également dans ta façon de chanter, par moments, une inspiration indienne ?

JW : Peut-être, peut-être… Je ne suis jamais allée en Inde. Disons que les musiques folk des quatre coins du monde ont des choses en commun. Par exemple, les ornements proviennent toujours de la musique folk, ou de la musique de la Renaissance. Il y a une centaine d’années, les musiciens s’attachaient moins aux accords qu’aux mélodies, et ils en ont créé de magnifiques et de très intéressantes. C’est ce qui est resté. Et bien entendu, les similitudes proviennent aussi du fait qu’il y a des échelles communes à certaines musiques.

Vous pourriez donc, en matière de rythmes par exemple, utiliser les tablas indiens ?

DL : Sur notre premier disque, il y a eu un joueur de tablas. C’est donc possible, mais je ne cache pas non plus que c’est un instrument difficile à jouer ! (rires)

JW : Et en général, on ne tient pas à en jouer publiquement tant qu’on n’est pas sûr d’avoir un niveau suffisant, tant cet instrument est fabuleux. (rires) Ceux qui s’y mettent doivent attendre leur troisième année d’apprentissage avant de pouvoir toucher un tambour, après avoir maîtrisé tous les mouvements de doigts !

DL : Lors d’un festival en Californie, on voulait jouer des tablas pendant notre concert. Mais comme on passait sur scène juste avant Zakir HUSSAIN, on s’est dit que ce n’était finalement pas une bonne idée ! (rires)

L’improvisation fait-elle partie de votre processus de composition ?

JW : Oui, ça fait partie du processus créatif quand on se retrouve à jouer tous ensemble. On part de structures mélodiques, et on invente…

AJ : Ce qui est pertinent dans la musique folk, c’est que les mélodies sont simples, mais les musiciens doivent travailler énormément pour les rendre intéressantes. D’où la pratique de l’improvisation… C’est ainsi que l’on crée des variations mélodiques, des ornements. Et évidemment, on aime improviser sur scène également, ça rend les morceaux plus amusants à jouer. Cela ne veut pas dire non plus que nous tenons à verser dans le jazz. Mais c’est une influence parfois…

JW: Il est certain que si l’on devait jouer pour des danseurs, il nous faudrait respecter les structures et s’en tenir là. Mais cela vaut pour la musique de bal, pas pour la musique de concert… J’aime bien les combinaisons du folk avec le jazz parce que je pense que l’harmonisation jazz convient bien aux mélodies folk. Par conséquent, j’écoute beaucoup de fusion jazz-folk. Mais en ce qui concerne GJALLARHORN, je crois que nous avons trouvé notre juste équilibre.

Entretien et photos concert réalisés par : Stéphane Fougère
(Article original publié dans
ETHNOTEMPOS n° 12 – mars 2003)

Lire notre chronique du CD Grimborg

Lire la chronique du CD Sjofn

Lire la chronique du CD Rimfaxe

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