HAUTBOIS/CHAUVIN : Des chants tout en ronds

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HAUTBOIS/CHAUVIN

Des chants tout en ronds

C’est le 7 novembre 2017 qu’est apparu sur la plateforme de diffusion de musique en ligne, Soundcloud, le EP du duo HAUTBOIS/CHAUVIN répondant au nom mystérieux d’Adèle Pichon. « Faire du neuf avec du vieux », telle est la devise de Jean-Félix HAUTBOIS et Gaël CHAUVIN, les deux jeunes chanteurs qui revisitent a capella cinq ronds paludiers nous entraînant Dans la rue des plats d’étain jusque Sur les ponts d’Avignon. Le rond paludier n’est autre que la danse emblématique des paludiers, les travailleurs récoltant le sel dans les marais salants de la presqu’île guérandaise, qui se trouve être leur « coin » favori, et une superbe photo vue du ciel de la campagne de la presqu’île illustre la « pochette » de cet enregistrement numérique.

S’ils affirment d’une seule voix « C’est brut, mais c’est ça qu’on aime. Avis aux danseurs… En d’dans ! », les deux chanteurs ont plus d’une corde (vocale) à leur arc (-en-ciel guérandais) et c’est en concert avec un répertoire de chants maritimes, puis avec leur ensemble déambulatoire CASTOR & POLLUX, que nous les avons découverts au festival Temps Fête l’été dernier à Douarnenez et avons eu envie d’en savoir plus sur leur parcours.


* Entretien avec
Jean-Félix HAUTBOIS et Gaël CHAUVIN

Presqu’île guérandaise et ronds paludiers

Comment avez-vous démarré le duo ?

Gaël CHAUVIN : On s’est rencontrés à l’occasion de veillées. On se croisait, on chantait chacun de notre côté et, tout simplement en buvant un coup, on a eu l’idée de faire un duo de chant à danser. On a commencé puis on s’est orientés vers la presqu’île guérandaise à l’occasion du trophée Jean-Rivallant à Batz-sur-Mer, qu’on a remporté deux fois.

Vous êtes originaires de la presqu’île guérandaise ?

Jean-Félix HAUTBOIS : En fait, pas du tout. Et d’ailleurs, là-bas, ils nous le font bien sentir (rires).

C’est un des seuls concours de chant de Loire-Atlantique et, pour se donner un petit challenge, on est allés là-bas. Et puis il y avait l’idée de faire quelque chose de plus proche de chez nous. Néanmoins, on n’est pas de la presqu’île, ça c’est sûr ! Moi je suis entre Rennes et Nantes, et Gaël de Nantes.

Nous avons choisi un répertoire assez spécifique qui a plein de trucs un peu tordus entre la danse et le chant, où le chant ne coïncide pas toujours avec la danse, où il faut bien comprendre. On s’est mis là-dedans à fond. Même si, quand on va là-bas, on a autant l’impression d’être en vacances.

Finalement, quand j’ai commencé le chant, j’allais beaucoup dans les festoù-noz en Centre Bretagne, parce que c’est un peu la mecque du « fest-noz roots ». Et chaque fois qu’on causait au bar et qu’on me demandait « qu’est-ce que tu chantes dans ton coin » ? », je répondais : « Mais moi, je n’ai pas de coin. » (rires)

Je suis dans un coin où il ne se passe rien, à Derval. C’est un super bled pour d’autres choses, mais il n’y a plus de musique trad’. On s’est trouvé un coin, c’est plutôt ça.

Pourquoi avoir choisi la presqu’île guérandaise ?

Jean-Félix : Moi j’y ai trouvé un intérêt assez particulier, parce que, comme à l’origine je suis batteur, il se passe quelque chose sur le rythme. Entre le rythme du pas, qui est toujours à quatre temps en fait, quatre blanches, et le chant qui est toujours un peu « border », c’est-à-dire qu’on se retrouve avec des phrases en cinq temps ou en six temps. Donc il y a un jeu rythmique assez génial où on se retrouve à toujours devoir un peu maîtriser son affaire pour chanter par exemple la première phrase. Il y a une phrase d’appel dans le rond paludier qui amène le deuxième pas, celui sur lequel on galope un peu plus, qu’on appelle l’enlevé et, du coup, ça fait une sorte de décalage rythmique.

J’y ai retrouvé un peu ce qu’on retrouve dans le rock progressif, dans les musiques minimalistes, etc., avec des jeux rythmiques de coïncidation et de non coïncidation du chant avec la danse, du pas avec le chant.

Gaël : Pour moi c’est beaucoup moins technique. J’ai commencé la bombarde à Nantes avec Christophe CARON, qui était aussi enseignant à Guérande. A cette époque-là, il y avait vraiment une connexion entre la presqu’île de Guérande et la ville de Nantes. On y retrouvait les mêmes personnes. Très tôt, je me suis retrouvé à Batz-sur-Mer avant même de chanter, en tant que joueur de bombarde. Après, quand je me suis mis à chanter, j’ai été naturellement attiré par ce répertoire.

Le rond paludier est-il spécifique à la presqu’île de Guérande ?

Gaël : C’est vraiment la danse de là-bas.

Jean-Félix : Dans ces types de ronds, qui sont à l’origine plutôt menés par le chanteur dans la danse, il se passe des choses qu’on peut retrouver dans le rond brieron, la grand danse, la maraîchine, etc. Il n’y a pas vraiment de frontière. Ce qui fait que nous avons ajouté des maraîchines aussi à notre répertoire. En fait, il n’y a pas de Vendée, la Bretagne descend un peu bas et le Poitou remonte. (rires)

Alors évidemment, la presqu’île étant un coin un petit peu enclavé, isolé par le marais, il s’y est passé en fait quelque chose d’un peu plus fort, et le mouvement revivaliste a un petit peu standardisé ces ronds-là et en a fait quelque chose de spécifique. Néanmoins, cette pratique du chant dans la ronde, avec un chant qui ne coïncide pas toujours avec le pas, on le retrouve bien sûr jusqu’en ridée, etc., plus proche de chez nous.

Les paysans n’ont pas de frontières. Ce sont les puissants qui délimitent les choses. Un paysan, s’il habite proche de la frontière, il parle probablement la même langue que ceux qui sont de l’autre côté et il danse à peu près les mêmes danses.

Collectage et bricollectage

Vous avez enregistré un EP numérique que vous avez appelé Adèle Pichon. Qui est Adèle PICHON ?

Jean-Félix : C’était une drôle de dame dont on sait assez peu de choses au final. On est au XIXe siècle en presqu’île guérandaise. C’est une dame qui avait grandit chez les sœurs et reçu une éducation. Je ne sais pas si c’est elle qui a collecté ou si elle a recueilli des collectages. Elle avait fait publier un petit reçueil d’une dizaine de chants de la presqu’île parmi lesquels on a trouvé une demi-douzaine de ronds paludiers. C’est pour ça qu’on l’a intitulé Adèle Pichon.

Ce qui est intéressant dans ce répertoire, c’est qu’il est ancien et donc les textes qui y sont chantés ne sont pas ceux qu’on retrouve plus récemment chez les chanteurs qui ont été collectés et dans la pratique du mouvement revivaliste. Pour nous, travailler sur ce répertoire-là, c’était l’occasion de faire une deuxième fois le concours. En fait, la première fois, on avait gagné un plat découpeur et, comme nous sommes deux, nous nous sommes dit : « On va gagner le deuxième plat découpeur ! » A chaque fois, ils nous donnent un plat découpeur avec un paludier.

Gaël : C’est kitch, mais c’est bien fait. C’est un artisan local qui fait ça.

Jean-Félix : Et pour ce deuxième plat découpeur, on a cherché du répertoire. C’est génial parce qu’on s’est retrouvés avec un répertoire qui était intéressant, qui était noté, de manière écrite.

Après, comment réinterpréter une partition ? Il faut faire avec cette matière-là et, comme on connaît déjà les ronds paludiers, on sait comment ça se chante, donc on reprend la mélodie et puis on la tord un peu, on essaie de voir ce qu’on peut faire avec pour essayer de la re-rendre vivante en fait. Parce que c’est clair que si on rentre cette partition dans un ordinateur et qu’on la joue en MIDI, c’est un petit peu plat. Il faut donc l’incarner.

Gaël : Il est probable qu’on ait inventé finalement une petite partie. C’est ce que j’appelle du « bricollectage ». Souvent en musique traditionnelle, plein de musiciens composent des thèmes qui sont très beaux, mais en fait on se rend compte quand on creuse un peu qu’un petit bout vient d’ailleurs. Et quand on a un collectage écrit, c’est toujours un peu ça qu’on finit par faire. On a une trame et puis on invente ce qui va autour pour être à l’aise avec et pour se l’approprier.

Pour ces chants, il n’y avait pas du tout d’enregistrement ?

Gaël : Non, c’était uniquement du collectage écrit.

Jean-Félix : On est au XIXe siècle et c’est encore la période des folkloristes. On a la chance en presqu’île guérandaise d’avoir beaucoup de traces écrites.

Pour les chants de répertoire maritime qu’on a chantés tout à l’heure, c’est aussi beaucoup de partitions écrites, de très bonne qualité. Après, il suffit de bouger quelques rythmes, quelques notes. On voit bien que certains rythmes sont écrits de manière un peu raide. Si on connaît un peu l’affaire, on peut remettre un peu de swing dedans.

C’était déjà un lieu de villégiature pour des lettrés, des intellectuels, dès le XIXe siècle et beaucoup de gens se sont probablement intéressés à la matière. On sait déjà que les paysans se sont remis à porter le costume très tardivement pour les beaux yeux des premiers touristes parisiens qui descendaient se mettre au vert le cul dans le sel ou dans l’eau. (rires)

Donc on a une matière de collectage écrit qui est très intéressante et qui permet aussi de renouveler le répertoire. Parce qu’on entend toujours un peu les mêmes thèmes. En presqu’île guérandaise, on a six ou sept communes, ce n’est pas énorme. Là, on a accès à quelque chose qui n’est pas trop repris aujourd’hui et qui nous permet de nous démarquer en tant que chanteurs et d’amener quelque chose de neuf parce qu’on a la prétention d’en vivre.

Gaël : Dans les enregistrements collectés de ronds paludiers, je ne pense pas dire de bêtise en disant qu’il y en a moins de vingt. Je dirais même entre douze et quinze.

Y a-t-il des témoignages en vidéo ?

Jean-Félix : Je ne connais pas trop les collectages vidéo. Il faudrait aller à la cinémathèque de Bretagne ou à l’INA. On sait que tel chanteur chantait des ronds paludiers et, quand on les collecte sur la table de sa cuisine, on fait une reconstitution. Il chante des fois un peu en vrac. Là aussi, pareil, c’est du bricollectage, parce qu’on est obligés de reprendre la matière du collectage tout simple et de le refaire en situation de danse.

Gaël : Ça c’est vrai dans tous les terroirs. On se rend compte qu’il y a plein de morceaux qui ont été enregistrés comme des mélodies et, quand on creuse un peu, si on met le tempo, si on met le swing et si on commence à chanter à répondre, en fait on a une danse qui correspond toujours plus ou moins à la danse du coin.

En fest-noz, avez-vous uniquement un répertoire de ronds paludiers ou chantez-vous d’autres danses ?

Gaël : Souvent on nous demande de chanter ces ronds paludiers, et on essaie d’en mettre beaucoup. On réinvente un peu la suite paludière. Parfois on s’amuse, on fait des suites à trois parties alors que ça n’a jamais existé, mais c’est histoire de faire un petit pied de nez à tous les gens qui viennent des pays des gavottes, du plinn et tout ça. Sinon, on enrichit notre répertoire avec du vannetais-gallo, en particulier du pays de Redon.

Jean-Félix : On ne monte pas beaucoup jusqu’au nord. L’idée, c’est vraiment le vannetais-gallo. La presqu’île guérandaise, et puis maintenant on s’ouvre un peu aux maraîchines.

Depuis récemment, on se fait notre école buissonnière en contactant des chanteurs et en allant les voir. On passe la journée à discuter, on se fait une bonne bouffe, et on apprend. On appelle ça nos petites classes vertes. On a eu l’occasion de rencontrer notamment Valérie IMBERT.

Il y a des gens aussi qu’on aimerait aller voir aussi en vannetais-gallo. C’est un répertoire en évolution.

Est-ce que vous faites du collectage ?

Gaël : Du collectage, non, pas vraiment. En fait, je me pose la question de savoir si c’est réellement encore possible de trouver des gens à collecter. Auprès des chanteurs qui ont déjà de la bouteille, du vécu, c’est vrai qu’on ne va pas collecter un répertoire complètement nouveau et exclusif. Je pense qu’il y a plus à chercher dans les collectes écrites aujourd’hui, si on veut trouver un répertoire original. Mais tous les gens qui chantent depuis 30-40 ans ont des tas de choses à nous apprendre aussi.

Jean-Félix : La plupart ont connu le revivalisme. Les grands chanteurs, les grandes chansons, j’ai l’impression que tout ça a déjà été pris. Néanmoins, ce qui compte, ce sont les rencontres.

Quand on a commencé au conservatoire, on nous présentait le collectage comme étant un peu la quête du graal, le trip mystique qu’il fallait faire. J’en ai fait un peu, et c’est quelque chose d’un peu violent parfois d’aller chez les gens et de chercher à leur pomper le répertoire. Personnellement, les plus beaux moments de rencontres et de témoignages, des fois je ne les ai pas enregistrés. Et pourtant c’est resté dans ma tête.

Ce qui compte aujourd’hui, c’est la rencontre, la connexion avec des gens qui ont connu quelque chose de fort. Il y a aussi tout ce milieu revivaliste qui est parfois plein de leçons envers les jeunes chanteurs et il arrive qu’on ait envie de leur dire : « Laissez-nous faire notre truc ! » On ne peut pas nous être nostalgiques d’une époque qu’on n’a pas connue.

Je collecte un petit peu en gallo dans ma famille. Ce qui m’intéresse est de parler de mon grand-père. Je me rend compte que, quand je suis allé le collecter avec mon enregistreur, il ne s’est pas passé grand-chose. Quand on a bu un café après et qu’il était un peu lancé sur le gallo, là il m’a sorti plein de choses !

C’est la peur de l’enregistreur ?

Jean-Félix : Oui et pour ceux qui y vont en quête d’apprentissage, peut-être la peur de la non-conservation. Il faut le vivre un peu. Il faut rencontrer les gens. J’ai vu des collecteurs qui vont chez les gens juste pour collecter. Au final, l’humain passe un peu au second plan. Tous ces gens, c’étaient des paysans. Il faut un savoir-être, savoir boire un coup, savoir causer d’un peu de tout.

Parfois, c’est magique et il n’y a peut-être rien à enregistrer. En revanche, ça nous connecte à un endroit, sur du local, quelque chose qui échappe à la mondialisation, au monde urbain. C’est intéressant de creuser, mais c’est plus un chemin de vie.

Pour les jeunes chanteurs comme nous, ce qui est le plus intéressant, c’est de le vivre, pas forcément à tout prix de le compiler et de l’enregistrer. Si on parle du répertoire, effectivement, presque tout a déjà été probablement enregistré.

Et après, ça ne m’intéresse pas de trouver le graal qui m’obtiendra la Bogue d’Or. Les concours, c’est super pour faire chanter les vieux et il se passe des choses parce que c’est la grosse ambiance. Mais la vie de la musique traditionnelle ne se résume pas en concours et en petites gloires d’un an où j’ai eu ma Bogue, mon prix Kan Ar Bobl…

De quand datent les enregistrements audio qui ont été faits ?

Jean-Félix : Des années 1950, 1960 et plus récemment. Roland GUILLOUX a collecté très tard en presqu’île guérandaise. Il y a aussi beaucoup de chansons, de mélodies. Tout n’est pas encore compilé et déposé à Dastum.

Quand je collectais mon grand-père sur le gallo, un jour il me sort comme ça : « Il faut dire que les vieux, ici, ils parlaient n’importe comment ! » (rires)

Ils ont été jeunes, ils ont vécu, il faut aussi se remettre là-dedans et ne pas être dans une muséification de tous ces gens-là. Le chanteur préféré des Sœurs GOADEC, c’était Tino ROSSI. Il y a eu des évolutions, c’est normal. Rechanter comme avant, est-ce que c’est pertinent ? Aujourd’hui, c’est très clair. J’ai des copains en pays gavotte qui disent bien : « Tu ne vas pas imiter la voix des vieux pour le faire, tu chantes avec ta voix à toi. »

Le style est dans le feeling, dans la connaissance de la danse, dans l’interaction avec les gens qui sont là, dans le moment présent en fait.

Gaël : C’est intéressant d’écouter ce qui s’est fait dans le temps et de s’en imprégner un peu, mais il faut être dans le présent.

Est-ce que vous écrivez et composez aussi des chants à danser ?

Jean-Félix : J’aimerai bien pouvoir, mais c’est difficile !

Il y a en France une sacralisation du répertoire et tout ce qui est création littéraire est beaucoup plus rare dans le milieu traditionnel. La poésie s’est spécialisée à partir du XIXe siècle et il y a eu le mythe des poètes maudits, puis la chanson parisienne est arrivée et a abouti à une individualisation parfois impudique de l’écrivain qui ne marche pas en musique traditionnelle.

Une coupure s’est faite en France, mais pas chez les anglo-saxons. J’en parlais avec un copain, un chanteur irlandais, qui m’a dit : « Pourquoi ne composez-vous pas des textes ? Nous on l’a fait ! »

Ce n’est pas facile à faire, il faut composer dans le style, garder sans doute les coupes, le nombre de pieds, les rimes, garder la facture en fait. On peut continuer à en faire, mais quelque chose s’est perdu.

Il y a quelques auteurs qui ont fait des trucs super. Quand j’ai commencé à m’intéresser à la musique traditionnelle, j’écoutais L’Habit de Plume du HAMON MARTIN QUINTET, avec ce fameux tour, Les Draps de lit. Je me suis dit « c’est super, je vais aller sur Dastum, je vais trouver des textes ». Je tombe sur quelques dizaines, et je me dis : « Mais où est-ce qu’ils ont chopé ça ? » J’ouvre le livret du CD, c’était signé Mélaine FAVENNEC. Ça, c’est redoutable ! C’est vraiment un beau texte parce qu’il marche dans cette facture de chanson traditionnelle, même s’il est strophique. Il est hyper bien réussi.

Gaël : C’est un métier. Pour l’instant, ce n’est pas encore tout à fait le nôtre, mais on va essayer d’y travailler parce que c’est quelque chose qui nous intéresse.

Chanter et faire danser :
un art de ménestrier

Vous chantez souvent en fest-noz ?

Jean-Félix : Pas aussi souvent qu’on le souhaiterait, mais oui.

Dans quelles régions ?

Jean-Félix : Ce qui est assez drôle, c’est qu’on est plus allés chanter en Basse-Bretagne qu’en Haute-Bretagne malgré notre répertoire.

Gaël : On lance un appel à tous les organisateurs du 44, d’ailleurs !

Jean-Félix : On a eu de belles occasions de chant, notamment en Basse-Bretagne sur le format qu’ils ont habituellement, c’est-à-dire une suite de 15-20 minutes par chanteurs, ce qui est assez particulier à leur musique. En fait, le format gavotte, suite gavotte, a imposé un rythme au fest-noz qui n’a pas d’autre raison que chez eux en fait. Nous sommes allés là-bas, à Poullaouën, chanter des ronds paludiers.

Gaël : Et ça dansait sacrément bien !

Jean-Félix : Il faut dire que confédération War’l Leur a tiré au sort deux ans de suite le rond paludier dans son fameux concours, donc on s’est retrouvés à Chateauneuf-du-Fou avec des tas de gens qui dansaient le rond paludier et qui avaient bien compris l’astuce. C’était assez redoutable.

Votre métier, c’est surtout de faire danser ?

Gaël : Bien évidemment, j’ai toujours considéré que mon métier, ça pouvait être musicien de temps en temps, mais c’est surtout régulièrement ce qui s’appelait « ménestrier » à la renaissance et en tout cas « musicien à danser », et que le métier ce n’est pas juste de se mettre sur scène pour jouer de la musique et de dire « c’est telle danse, débrouillez-vous ». C’est un peu plus que ça, accompagner une danse. Surtout quand on chante dans les formes duo ou trio les plus simples, on met vraiment l’accent là-dessus. Il y a des astuces de phrasés, il ne faut pas se planter sur le tempo, sur les accents et tout ça. Il faut aussi être dans le moment présent, voir se qui se passe. Selon la réaction des danseurs, on peut accélérer. Il faut faire attention à eux, les guider plus ou moins. Je considère que mon métier, c’est faire danser les gens.

Jean-Félix : C’est l’ancienne conception du mot « artiste ». Avant, les mots « artiste » et « artisan » dans la conception médiévale, qui a duré finalement jusqu’au XIXe siècle, les musiciens étaient les utilitaristes de la musique. Évidemment, nous, on fait autre chose, mais il y a ce côté « artisans » dans le sens où, comme dit Gaël, nous amenons un savoir-faire et tout ce que nous avons appris sur le tas. Parfois, on se plante, on envoie le mauvais tempo. Et puis quand ça marche, le savoir-faire se construit sur le moment de danse et petit à petit il s’affine, il se spécialise, et c’est ça le sens de notre métier.

On s’est retrouvé une fois à annoncer un tour, avec des phrases vraiment asymétriques qui peuvent évoquer l’hanter dro. C’était à Brest et ce n’était pas un public de danseurs très avertis. Personne n’a dansé et on s’est sentis franchement cons.

Quand on a chanté à la Fête du Chant à Bovel, là c’était fabuleux parce qu’il y avait un super public de danseurs, et tu sentais tout de suite qu’il se passait quelque chose. En rond paludier, tu peux répéter la phrase par exemple de l’enlevé, créer une dynamique, faire attendre, relancer, etc. C’est tout un jeu comme font aujourd’hui les DJ. On est dans l’interaction perpétuelle avec ce qui se passe devant nous.

Si les gens ne sont pas de bons danseurs, on ne regarde pas, et si les gens sont de bons danseurs, on peut répondre. On a une base arrière qui est solide et, s’il se passe quelque chose du côté des danseurs, on est au rendez-vous. Et on fait tout pour qu’il se passe quelque chose.

Est-ce que vous vous produisez souvent en concert, comme aujourd’hui sous le kiosque du festival ?

Gaël : Même si nous aimons faire danser, ça ne nous empêche pas de nous ouvrir à d’autres choses comme aujourd’hui. Le festival Temps Fête nous a demandé de monter un petit répertoire maritime.

Jean-Félix : C’est différent du chant de marin. C’est de la chanson traditionnelle de zone maritime, donc on retrouve quand même les textes qu’il y a dans les terres. Ce n’est pas du Michel TONNERRE, ça ne parle pas forcément de marins, d’ivrognes, de fond de cale. Ça c’est l’univers beaucoup plus récent des années 1970 qui est super-drôle et génial.

Gaël : C’est la première fois que nous faisons un concert de 45 minutes de chant à écouter. C’est bien parce que ça fait un nouveau petit challenge. Quand on a enregistré notre répertoire Adèle Pichon, c’était un peu ça. On est encore jeunes, on a encore des tas de choses à apprendre, y compris de nous-mêmes, et en fait en se lançant des petits défis ou en ayant des gens qui nous en lancent, c’est comme ça qu’on avance. Des commandes un peu spécifiques ça nous est déjà arrivé, mais plutôt en danses.

Et le format de 45 minutes, ça vous convient ?

Gaël : Oui, c’est bien. C’est à nous de savoir nous doser. Je pense que, pour le public, il ne faut pas aller au-delà d’une heure. On est quand même sur du chant a capella !

Jean-Félix : Et puis on a mis un peu de danses à la fin, c’est bien. On est plus habitués. C’est vrai que tout de suite, balancer le dernier rond paludier qu’on a chanté des tas de fois, on ré-entrait dans notre zone de confort. On avait beau avoir préparé tout le répertoire maritime, c’est la première fois qu’on le chantait sur scène. Alors que les ronds paludiers, on les a déjà un peu plus éprouvés.

Diffusion numérique

Pourquoi avoir sorti des morceaux diffusés sur internet en numérique et pas sur CD ?

Gaël : Je ne sais pas si j’achèterai un CD uniquement de chant.

Jean-Félix : Si, le CD de Yann Fanch KEMENER et Erik MENNETEAU, Vive la liberté.

Gaël : Il est fabuleux !

Jean-Félix : Pour moi c’est le CD qui marche le mieux. Ce n’est que du chant en breton, Vive la liberté, mais c’est génial. En fait, on est allés enregistrer au même endroit qu’eux.
On n’a pas sorti de CD parce qu’on n’a pas voulu mettre de sous là-dedans.

Gaël : C’est peut-être quelque chose qu’on fera un jour. Un CD, même un EP, il faut que ce soit un produit complètement fini, abouti, avec un propos derrière. On est tous les deux quand même assez exigeants sur la musique qu’on fait. Là, on voulait que ce soit le plus simple possible. Nous sommes très contents de notre enregistrement.

Jean-Félix : On s’est pris la tête un peu sur quelle tonalité, quel tempo… Tous nos ronds paludiers n’ont pas exactement le même tempo. On a travaillé pendant deux mois avant, on répétait deux à trois fois par semaine. En revanche, on l’a enregistré en un jour, car on l’avait bien préparé. On avait un bourdon dans le casque, on avait le métronome, pour faire quelque chose le plus propre possible. Parfois en fest-noz, avec l’énergie, c’est un peu plus « crado ».

Exportation et expériences d’ailleurs

Avez-vous chanté ailleurs qu’en Bretagne ?

Jean-Félix : Moi j’ai chanté un peu en Asturies à une époque, on a fait une tournée avec des copains. En duo, on ne s’est jamais exportés ailleurs.

Gaël : Nous avons chanté à Parthenay, mais il était deux heures du matin et on n’était pas programmés. Mais on y a chanté !

Jean-Félix : ça nous ferait plaisir d’aller dans d’autres endroits du trad dans le domaine francophone. Chez les Braillauds, en Vendée, dans le Poitou, dans le Béarn, il y a des sonneurs et des chanteurs super. Cette musique est rugueuse mais, pour moi, il n’y a pas mieux pour faire danser.

Vous êtes intermittents ?

Jean-Félix : Oui, mais pas qu’en chant, sinon ça se saurait.

Que faites-vous en dehors du duo ?

Jean-Félix : Moi je bosse un peu avec l’Ensemble MZE SHINA qui est un ensemble de musique géorgienne. C’est une découverte pour moi.

Nous jouons aussi dans CASTOR ET POLLUX. C’est du post-trad à découvrir. On fait beaucoup de spectacle de rue aussi. Et des remplacements, diverses choses.

Gaël : Moi je fais aussi de la musique renaissance dans la Compagnie OUTRE MESURE. On créé ou on participe à ce qu’on nous propose. Nous avons tous les deux fait de la musique médiévale. Chaque fois, c’est formateur et ça nourrit toutes les autres pratiques et c’est ça qui est intéressant. Des fois on ne s’y attend pas, on a l’impression que ça va être difficile, et on découvre des tas d’autres choses qui entourent la musique.

Avez-vous envie de chanter des répertoires d’ailleurs ?

Jean-Félix : Cette question je me la suis posée cette année d’aller chanter autre chose. Avec la musique bretonne, on creuse une culture, ça peut être risqué de vouloir faire trop de choses. Aujourd’hui, il y a beaucoup de groupes de chants du monde, de polyphonies d’ailleurs, etc. C’est super et, souvent, c’est très agréable à écouter. Mais si on creuse la tradition orale des différentes régions, ça n’a pas le même goût, tout comme le cidre de mon grand-père n’a jamais eu le goût du cidre Loïc Raison. Là, avec MZE SHINA, je suis avec des gens qui ont creusé dans la culture géorgienne depuis des années, c’est différent.

Gaël : Je me suis retrouvé dans mon projet avec la Compagnie OUTRE MESURES à chanter une chanson du 16e siècle, et je ne savais pas comment me placer dessus. Quoi que je fasse, je me sentais ridicule. Pas sur la technique vocale, je chantais correctement, mais soit je faisais ça à la manière traditionnelle, ce que je fais d’habitude, et ça ne marchait pas si bien que ça, soit j’essayais de faire un peu « d’époque », comme la chanteuse habituelle, et je me sentais tout aussi bête. On a besoin d’éprouver ce qu’on chante, de passer du temps dessus.

Jean-Félix : C’est bien de creuser, de tirer un fil et de le garder. A vouloir tout faire, ça ne marche pas forcément. Si je creuse le fil de la musique bretonne, peut-être que dans dix, vingt, trente ans, je me retrouverai plus proche des gens d’ailleurs que maintenant à vouloir faire trop de choses différentes.

Chanter avec un taraf, par exemple ? (rires)

Jean-Félix : Ça, c’est magnifique ! C’est ce qu’a fait Erik MARCHAND dans l’album Dor, qui est un de mes albums préférés de tous les temps. Parce qu’il a creusé. Ton niveau de musicien augmente et tu te retrouves avec des gens qui ont leur niveau à eux. Après ce sont des rencontres de musiciens à musiciens et tu te retrouves d’accord, même si tu n’as pas la même culture.

Entretien et photos : Sylvie Hamon et Stéphane Fougère
au Festival Temps Fête à Douarnenez (juillet 2018)

EP en écoute gratuite et intégrale sur Soundcloud :
https://soundcloud.com/user-109904237/

Page Facebook : https://www.facebook.com/duo.htbschvn/

 

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