Hector ZAZOU – Chansons des mers froides (Songs from the Cold Seas)

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Hector ZAZOU – Chansons des mers froides (Songs from the Cold Seas)
(Taktic Music / Sony)

En général dominé par les rythmes caniculaires, le marché de la world music a attrapé un sé­rieux coup de froid en 1994, année de parution de ces Chansons des mers froides. Il est vrai qu’une bonne suée est d’autant plus appréciée quand elle est suivie d’une brise ondine… Mais il s’agit ici de véritables bises réfrigérantes. Parka, gants et bottes fourrées sont de rigueur. C’est assurément ce type de combinaison qu’a dû porter Hector ZAZOU pour aller collecter, quelques crans plus haut sur le globe, de déli­cats et cristallins trésors poétiques finlandais, inuits, islandais, iacoutes, écossais, samis, ai­nus, etc.

Autant d’empreintes de singularités linguistiques masquées par les flots caractériels et les impavides icebergs qui ornent les somptueux clichés de ce CD, dont le livret a été remplacé par des cartes, à la fois postales et géographiques, chacune d’elles concernant un chant pré­sent sur le disque, avec commentaires et citations littéraires à l’appui. Un bel écrin, en vérité !

Arrachant ces mélodies neigeuses à leur hibernation muséale, le Capitaine ZAZOU nous fait naviguer tout au long de l’album au sein d’une splendide faune sonore apprivoisée par ses équi­pements électroniques. Il a aussi sollicité le concours de magiciens des sons, dont certains s’étaient déjà fait entendre sur son précédent disque (le renommé Sahara Blue, dédié à l’œuvre d’Arthur RIMBAUD), comme le groupe électro-acoustique LIGHTWAVE, le souffleur Renault PION, le BALANESCU QUARTET, Monsieur John CALE, la guitariste Barbara GOGAN, la har­piste Elisabeth VALETTI. D’autres recrues de renom ont complété le casting : Brendan PERRY, de DEAD CAN DANCE, le multi-instrumentiste suédois Ale MÖLLER, les guitaristes B.J. COLE et Marc RIBOT, le trompettiste Mark ISHAM, le pianiste Harold BUDD, le batteur BUDGIE, la bassiste Sara LEE, et bien d’autres.

Il n’en fallait pas moins pour restituer ces étranges vibrations d’outre glace, ondées, aboie­ments, roulis, cliquetis, raclements de banquise, froissements arctiques, souffles aquatiques, pluies rocailleuses, effritements d’air, bref, tout ce qui atteste de la respiration des paysages nordiques.

Chaque escale met en valeur les invocations surréelles de sirènes (et d’elfes) que Hector ZA­ZOU a été pêché dans divers courants musicaux, les a délocalisées et re-territorialisées. Grâce à lui, des stars de la musique pop et rock s’épanouissent dans un contexte différent de celui qu’on leur connaissait. Suzanne VEGA duettise en haut et en bas avec John CALE, BJÖRK chante en is­landais, et Siouxie SIOUX interprète un poème écorché de Wilfred GIBSON avec en écho une chanteuse chamane de Sibérie de l’ethnie nanaï-toungouse et deux ensembles de percussions (SAKHARINE PERCUSSION GROUP, SISSIMUT DANCE DRUMMERS).

L’autre point fort de ce disque est de nous faire découvrir des voix de renommées plus lo­cales, mais dont les spécificités linguistiques et les prouesses vocales ne sont pas moins dignes d’admiration que celles des vedettes attitrées.

Citons la Norvégienne Lena WILLEMARK et son chant de berger électrisant, le dynamique quartette polyphonique finlandais VÄRTTINÄ, la Japonaise Tokiko KATO, qui enrobe une ber­ceuse de l’île d’Hokkaido de sa voix chaude, la Canadienne et lumineuse Jane SIBERRY (un nom prédestiné !), l’Écossaise Catherine-Ann McPHEE et son chant gaélique enraciné, la Ia­koute Lioudmila KHANDI, éblouissante dans ses glissements vocaux de la gorge à la tête, les Inuits Elisha KILABOUK et Koomoot NOOVEYA, dans un de leurs étonnants jeux vocaux (avec Marina SCHMIDT en tapis harmonique), et le chanteur Sami Wimme SAARI et son non moins rustique chant « joik ». C’est quasiment à un annuaire des voix de la world music nordique que nous avons affaire.

Dans leur contexte folk originel, ces chants sont généralement interprétés a capella ; ils sont ici habillés par des textures subtiles et finement ornées et des lignes rythmiques de percussions ethniques qui en renforcent la portée dramatique. Hector ZAZOU a abattu un travail titanesque pour que ces arrangements puissent permettre une immersion directe dans chacun de ces uni­vers maritimes sans bouée factice.

Et de quoi causent ces chants, au juste ? De sortilège amoureux, d’amour malheureux aux ailes d’hirondelle, de mystérieuses disparitions de gardiens de phare, de naufrage maritime sur d’irascibles rochers, de conquête des glaces, de coulage à pic dans un océan gelé un jour de tempête, de chasse au démon à la mode chamanique, de douleurs émotionnelles et de cruau­tés mirobolantes… Vous cherchiez de quoi plomber l’ambiance de vos fades et superficielles soirées dansantes ? Faites donc entendre ces Chansons des mers froides !

À l’instar de Sahara Blue, on reste dans une esthétique « ambient », mais en surfant sur des terrains parfois plus glissants, voire râpeux, des sols plus heurtés, des tapis rythmiques chavirants…

Affronter de tels courants maritimes, contrer des vents aussi cinglants, rompre pareilles glaces, marcher vers ces horizons gonflés de brume imparable, écouter ces voix vertigineuses aux histoires ensorcelées ne sera pas don­né à tout le monde ; néanmoins, ces Chansons des mers froides ont un indéniable pouvoir d’en­voûtement qui ne laisse pas indemne. Mais on n’en perd pas le Nord…

Stéphane Fougère

Page : www.takticmusic.com/portfolio-item/hector-zazou/#tab-id-1

 

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