Japon : Zen Hôyô – Liturgie du bouddhisme zen

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Japon : Zen Hôyô – Liturgie du bouddhisme zen
(Ocora / Harmonia Mundi)

Soucieux de présenter les musiques traditionnelles dans leur authenticité, le label Ocora de Radio France n’a pas pour habitude de proposer des créations contemporaines inspirées de ces musiques. Il y a eu bien sûr quelques notables exceptions, comme À l’écoute des vents solaires, de David HYKES, ou Harmoniques du temps, de Pierre-Jean CROZET. Mais pour l’essentiel de son catalogue, Ocora s’est toujours évertué à présenter, sans forcément chercher l’exhaustivité, les différents aspects de la culture traditionnelle d’un pays, en révélant notamment certains maîtres de telle ou telle expression savante.

En matière de tradition japonaise, le label de Radio France peut se vanter d’avoir déjà constitué une belle collection couvrant plusieurs aspects de cette culture extrême-orientale, tant dans ses expressions savantes que religieuses. Dans ce dernier domaine, on lui doit notamment deux volumes consacrés au chant liturgique bouddhique Shômyô.

Ce nouveau CD, présenté en « format livre », s’inscrit dans ce même registre religieux puisqu’il présente un service monastique lié au bouddhisme zen Rinzaï, comprenant des prières et des récitations de sutras accompagnés d’instruments usuels du culte. Pur document ethnomusicologique ? En réalité, il est un peu plus que cela.

Certes, cet enregistrement a été effectué « in situ » à Kyoto, dans une chapelle du temple Daitokuji (connu par avoir été gardé par l’écrivain suisse Nicolas BOUVIER, qui en parle dans sa Chronique japonaise), à l’occasion d’une commémoration pour la paix universelle et en l’honneur du défunt moine fondateur de ladite chapelle. Le CD restitue l’intégralité des douze séquences qui forment cette célébration effectuée par le révérend supérieur Myôhô TAKADA et sept autres moines. On y remarque que la déclamation des sûtra en dokkyo se distingue des mélismes du Shômyô des écoles Tendaï ou Shingon. Ici, la déclamation est psalmodique et chantée sur une note tenue, et la cadence des strophes y est marquée par une formule mélodique interposée.

Mais cet office religieux présente la particularité d’accueillir un invité pour le moins étonnant qui n’est rien moins que le percussionniste Stomu YAMASH’TA, lequel s’est produit très jeune (dès 14 ans) dans des orchestres philharmoniques japonais avant de poursuivre sa carrière aux États-Unis puis en Europe, rencontrant des compositeurs contemporains et des musiciens de jazz. Nous parlons bien du même musicien qui s’est fait connaître en Occident dans les années 1970 avec sa troupe multidisciplinaire le RED BUDDHA THEATER, ses albums solo ou avec ses groupes COME TO THE EDGE, EAST WIND mêlant jazz-rock et influences japonaises (dont certaines pièces se retrouvent dans la bande originale du film L’Homme qui venait d’ailleurs de Nicolas ROEG) et le « supergroupe » de space jazz-rock progressif GO, avec Al DI MEOLA, Steve WINWOOD, Klaus SCHULZE et Michael SHRIEVE.

Mais tout cela est désormais bien loin pour Stomu YAMASH’TA, qui, dès la fin des années 1970, a tourné le dos à cette carrière de star pour effectuer une retraite dans un temple bouddhiste zen. Dès lors, il a dévoué sa musique à l’expression de concepts bouddhistes et, en 1986, a découvert par l’entremise du géologue Hitoshi MAEDA, les vertus sonores de la roche volcanique sanukite, dont il explorera les possibilités dans les vingt années qui suivront. Se présentant sous la forme de pierres oblongues, la sanukite possède une résonance éminemment cristalline. Proche des sons de la nature, la musique émanant de ces pierres est mise en valeur par un lithophone, le hôkyô ; et Stomu YAMASH’TA a étendu la résonance de la sanukite avec le micro-contact et la réverbération.

Ainsi les lithophones de Stomu YAMASH’TA se sont-ils invités dans cet office de la secte Rinzaï, sculptant l’univers sonore aux côtés des instruments traditionnellement utilisés, comme la cloche, la clochette (qui introduisent et clôturent toutes deux la liturgie), le bloc en bois et le petit gong bulbé « dora ».

Au-delà de la curiosité géoculturelle – voire simplement exotique –, l’introduction des sons réverbérés de cette pierre des volcans dans l’environnement vocal et musical d’un office monastique n’est en rien incongru puisqu’elle participe merveilleusement à l’expérience de l’état de « sunyata », ou vacuité, qui est recherchée dans le bouddhisme zen.

L’autre surprise vient de l’introduction d’une flûte shakuhachi (jouée par Genzan MIYOSHI), qui n’est traditionnellement pas utilisée dans cet office. C’est ainsi que ce disque débute avec une Introduction instrumentale de plus de douze minutes, avec cloche, clochette, bloc de bois, gong, lithophone et shakuhachi.

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La liturgie alterne ensuite séquences instrumentales et séquences vocales dans lesquelles un prieur commence en solo avant d’être suivi par des moines, qui récitent des sûtras. Durant ces récitations, YAMASH’TA continue à faire résonner son lithophone, créant un espace sonore inédit dans ce contexte et pourtant idoine.

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D’abord arythmée au début, la percussion structure le temps par une ponctuation dont les stimuli vont crescendo au fur et à mesure que se poursuit la liturgie : la flûte shakuhachi évolue alors dans une tessiture plus aiguë, tandis que la percussion augmente d’intensité et élargit elle aussi sa tessiture – suivant en cela le principe esthétique traditionnel du « jo-ha-kyû ».

La Récitation du Myôhö-rengekyô, où les moines psalmodient en étant accompagnés par le shakuhachi et la sanukite, fait l’objet d’une montée en puissance sonore extraordinairement extatique.

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Ensuite, la dernière Récitation de préceptes et le Postlude instrumental vont plutôt dans le sens d’un évanouissement progressif jusqu’aux portes du silence ; l’univers de la sûnyatâ est pleinement atteint. À nouveau résonnent la cloche et la clochette pour fermer le cercle liturgique.

En fait, ce que ce CD donne à écouter avait auparavant fait l’objet d’une représentation scénique en novembre 2009 lors de la semaine du Zen à Paris, à l’Église Saint-Eustache, avec quasiment les mêmes intervenants, sous le titre Le Chant des pierres. (La veille, Stomu YAMASH’TA avait initié une autre création mondiale, The Void, avec le contre-ténor islandais Sverrir GUDJONSSON.)

Une fois n’est pas coutume, cette production Ocora s’adresse autant à ceux qui s’intéressent aux documents ethnomusicologiques portant sur les pratiques spirituelles en Extrême-Orient qu’aux amateurs de créations inouïes dans lesquelles l’approche contemporaine se fond dans une pratique ancestrale et éternelle. Dans Zen Hôyô, le moderne et l’ancestral conjuguent leurs forces sonores pour atteindre une autre réalité, une autre dimension. Le son et le silence, le plein et le vide, éternellement.

Label : https://www.radiofrance.com/les-editions/collections/ocora

Stéphane Fougère

(Chronique originale publiée dans ETHNOTEMPOS
le 22 octobre 2011 et remaniée en 2019)

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