Jean-François PAUVROS, 7 Films de Guy GIRARD

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Jean-François PAUVROS, 7 Films de Guy GIRARD
(La Huit)

À la tête d’une belle production cinématographique qui englobe documentaires d’observation sur les institutions, portraits de cinéastes (Aki KAURISMÄKI, David LYNCH) et portraits d’artistes (Jac BERROCAL, Sainkho NAMTCHYLAK), le réalisateur et photographe Guy GIRARD a entretenu une relation privilégiée avec le guitariste, improvisateur et compositeur Jean-François PAUVROS, qu’il a rencontré à l’époque du légendaire groupe CATALOGUE. Il l’a filmé sur scène à plusieurs reprises au fil des décennies, et a conçu des courts et des moyen-métrages qui se trouvent rassemblés dans ce coffret double DVD.

Fer de lance d’une démarche musicale affranchie et sans cesse remisée sur le tapis, en positionnement instable et vibratoire sur une corde raide en constant chavirement, Jean-François PAUVROS traîne sa dégaine « giacomettienne » ou « egon-schielienne » avec une nonchalance et un aplomb qui ne font pas soupçonner le feu et le fiel qu’il est capable de cracher dès lors qu’il est sur scène avec sa guitare chahutée, grattée, caressée, projetée dans des superficies sonores en rupture avec les pratiques convenues.

Le premier DVD contient un film de 66 minutes, Don Pauvros de la Manche, réalisé en 2015, dans lequel on suit PAUVROS à la scène comme à la ville : on le suit, on le scrute, on le cuisine, mais il échappe toujours aux regards trop rationnels.

Plusieurs extraits de performances scéniques de PAUVROS émaillent le propos de Don Pauvros de la Manche, et non des moindres : on le voit battre le fer rouge avec quelques figures emblématiques des débroussailleurs d’idées sonores comme Arto LINDSAY ou Keijo HAINO, se remémorer avec Tony HYMAS quelque thème de Buenaventura Durutti, s’acoquiner avec le musicien-plasticien Xavier BOUSSIRON et la claviériste Marie-Pierre BREBANT, révoquer la poésie sonore au profit des bites de chien et d’un martien avec le poète-récitant Charles PENNEQUIN, rivaliser de grattages avec le plasticien-performeur Vincent FORTEMPS, bref autant d’actions artistiques hors cadres qui déploient les projections du son et en révèlent la nature indomptable.

Mais le film de Guy GIRARD dépasse le cadre du documentaire « live ». Car la démarche musicale de Jean-François PAUVROS est indissociable d’une façon d’être hors scène, au quotidien. Et c’est bien là que le suit la caméra de GIRARD, dans son pied-à-terre du Pas-de-Calais, avec la mer pour tout horizon (d’où le titre en clin d’œil).

Qu’il soit enfermé dans son salon ou qu’il sorte humer le large en bordure de mer, notre défricheur sonique ne cesse de faire triturer son instrument, d’en faire l’écho des vibrations qui l’anime dans l’instant, qu’il cède à l’urgence d’un « instant hendrixien » ou qu’il aille se faire cuire un œuf ou deux. L’inspiration n’attend pas d’être sur scène. Et quand PAUVROS délaisse temporairement sa guitare, c’est pour tapoter sur un synthé Casio en chantonnant, se baigner dans son maillot de bain une pièce, commander sa bouffe à la baraque-à-frites du coin ou pour tailler ses haies, n’importe comment. Seul le geste compte. Il y a du burlesque « buster-keatonien » inné chez Jean-François PAUVROS.

Mais c’est un fait : il secoue souvent sa guitare, lui fait subir tous les châtiments possibles, jusqu’à lui balancer des brassées de sable sur une plage pour continuer à la faire couiner jusqu’à l’extinction extatique. Aussi arrive un moment où elle mérite d’être retapée un poil. « Mais qu’est-ce que tu fais avec ta guitare ? » lui demande un facteur d’instrument. « Je tape avec sur des gens », répond malicieusement PAUVROS. Ce n’est pas loin d’être vrai.

Écouter la guitare de PAUVROS en concert, c’est se prendre une torgnole qui secoue l’intérieur, comme un coup de bâton pas zen. Encore que le silence fasse aussi partie du vocabulaire musical de PAUVROS. Sortir du confortable, irradier ses certitudes, bousculer ses positions sont des étapes nécessaires… Le bruit en est un moteur, le silence peut l’être également.

La construction du film de Guy GIRARD restitue ce contraste dès le début : on voit et on entend PAUVROS, en pénombre, faire rugir sa guitare sans mesure, puis « cut » : le voilà assis, en méditation, cerné par des guitares pendantes. Quand la guitare de PAUVROS ne rugit pas, ce sont les vagues de la mer, les ressacs, les souffles du vent qui alimentent son lien avec le mouvement, la vibration. Le film avance par ruptures de ton sur des images nettes et soignées prises au débotté.

D’une scène à l’autre, le PAUVROS « lonesome cowboy » se met à « socialiser », se confie à quelque connaissance. En l’occurrence c’est le producteur et réalisateur Jean-Marc ROUGET qui fait office d’accoucheur à l’écoute des réflexions de Jean-François PAUVROS. Celui-ci lui parle de musique ascensionnelle, de la recette du welsch, d’accès à la transe, des coquillages écrasés, des sorties de corps, des manières de s’électrocuter sur scène… Écoutes, échanges et charriages font aussi partie du jeu, et tant pis si on ne se souvient plus de la question… L’essentiel est de faire jaillir cette étincelle du spontané, de l’imprévisible, du chaos de l’instant…

Don Pauvros de la Manche n’explique pas, n’analyse pas, il emmène le spectateur sur un chemin de vie et d’être qui se trace au fur et à mesure sans lui dire où il va, et c’est ce qui le rend fascinant.

Le second DVD contient six autres films que Guy GIRARD a réalisés sur une trentaine d’années, de 1984 à 2016, de durées variables, entre 3 à 42 minutes. Jean-François PAUVROS y apparaît dans diverses frasques scéniques en solo, en duo, en trio, en quartette ou en bande. Le plus ancien, Hotel Innova, a la particularité de nous montrer un PAUVROS sans cheveux longs et sans lunettes, jouant de manière presque « classique » dans une chambre d’hôtel avec des images superposées, et cherchant déjà à tutoyer la saturation sonore devant un réceptionniste entièrement acquis à sa cause, mais qui continue à répondre au téléphone avec la guitare à plein volume de PAUVROS juste à côté !

Dans le simili-clip Tué mon amour, on retrouve Charles PENNEQUIN et ses haletants jeux de langage, rythmé par le jeu très rock n’roll punkisant de PAUVROS. Ce dernier retrouve ses anciens complices Jac BERROCAL et Gilbert ARTMAN dans CATALOGUE à Bruxelles lors d’un concert en 2007 filmé au fer rouge. Ça ne dure que trois malheureuses petites minutes, mais tellement denses qu’on y cerne déjà ce qui a rendu cette formation si culte.

Un autre groupe marquant dans le parcours de PAUVROS est MARTEAU ROUGE, qu’il a formé avec Makoto SATO aux futs et Jean-Marc FOUSSAT aux machines, et que l’on retrouve sur scène lors d’une performance au festival Musique-Action de Vandœuvre-lès-Nancy, avec la participation du souffleur américain Joe MCPHEE. Là, on ne rigole pas non plus, c’est de l’improvisation puissante et charpentée genre brute épaisse, fiévreuse, tendue, contrastée, qui décline tous les chemins vers la transe.

Filmé au sein du studio parisien Campus, Vive Campus prend pour sa part la forme d’un manifeste à l’engagement urgent, puisque réalisé à l’époque où ledit studio était menacé d’expropriation. PAUVROS et plusieurs artistes (plus une poule) défilent, performent, musique et théâtre se confondent, s’étreignent, entre fanfare et promotion canapé, et forment un mur de résistance qui a fini par obtenir gain de cause. L’art est une force de frappe, nous rappelle la caméra de Guy GIRARD.

Si tous ces films retracent des instants de spontanéité artistique, il y en a un – le plus long – qui va plus loin et se transforme en fascinant poème visuel : Les Mi-grateurs ont pour point de départ un concert de Jean-François PAUVROS, Keiji HAINO et François CAUSSE sur le Batofar, fameuse péniche amarrée sur les quais de Seine parisiens et réputée pour sa programmation dédiée aux musiques différentes. Des séquences hallucinées de ce concert alternent avec de saisissantes prises de vue sur une mer déchaînée, dont le mouvement des vagues fait écho aux chavirement électriques et vocaux des deux frères de bordée aux guitares tempétueuses. Mais tout cela défile avec une sorte d’évidence aux effluves zen.

En filigrane, le film nous raconte le cheminement de ce bateau-phare grisâtre devenu salle de concert à la carène rouge sang, et Guy GIRARD nous promène dans un « boat-trip » imaginaire. En passant par une Seine en nocturne joliment saturée, on chemine aux extrémités du globe, du Cercle polaire à Yokohama, on croise des ours blancs et des corbeaux japonais. On se faufile également dans les couloirs du métro parisien où l’on retrouve Jean-Marc ROUGET faisant la manche, ou encore on observe des observateurs en attente de la fameuse éclipse de 1999 via lunettes interposées. C’est à une savoureuse et extatique collision d’événements gorgés de vibrations denses que nous convie ces Mi-Grateurs, gardiens de Batofar d’un jour (bien que de nuit), samouraïs de l’extrême pour toujours…

Sept fois PAUVROS, sous tous les angles et sous d’autres coutures, par tous les temps et dans autant d’espaces, cela suffit-t-il à faire le tour de ce personnage ? Peut-être que non ; il y aurait eu tellement d’autres moments « pauvrosiens » à saisir. (On aurait du reste bien aimé voir figurer dans ce coffret le film Entre chien et loup, qui montre PAUVROS et HAINO en duel improvisé scénique, mais il aurait sans doute fait doublon avec les Mi-Grateurs.)

Aux images et aux sons, ce coffret ajoute le texte, puisqu’il contient un livret de 24 pages comprenant, outre de magnifiques photos, une Conversation entre Jean-François PAUVROS, Guy GIRARD, Jean-Marc ROUGET et Bertrand LOUTTE qui éclaire quelques à-côtés de ce qui est donné à voir.

Quoi qu’il en soit, les sept films réunis ici témoignent de la profonde amitié, compréhensive et fascinée, de l’auteur pour son sujet. Outre qu’il révèlent des moments d’histoire du parcours de PAUVROS, ils mettent en relief la convulsive humanité de ce personnage dont l’activisme artistique, forcément politique et foncièrement exploratoire, constitue un moteur essentiel de cette « marge française » en perpétuelle réinvention.

Stéphane Fougère

Label : www.lahuit.com

 

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