John CALE – Mercy

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John CALE – Mercy
(Double Six/Domino Records)

Ah ! John CALE ! Si, mais si, vous savez bien, celui que vous rangez entre John CAGE, CAN et Nick CAVE dans vos collections de disques :  un peu loin du VELVET UNDERGROUND et de Lou REED qui lui ont fait des misères, plus proche toutefois de NICO (moon goddess, sister complice, fâchée) et de ENO (magic brother fureteur)? mais pas trop près non plus de Kevin AYERS (un peu alangui paresseux) ; ces deux-là étant restés en froid pour des histoires de mâles jaloux. John CALE, ça y est, vous l’avez retrouvé, vous l’avez enfin reconnu, vous ne connaissiez que lui, vous connaissez sa carrière sur le bout des doigts, ses périodes de colères et de hurlements sur scène (période Island foutraque) et ses musiques de films pour Philippe GARREL, ses ballets (période Disques du Crépuscule) ses concerts au piano, et même ses productions pour la scène des post-RIMBAUD d’avant les punks (cherchez, vous trouverez). John CALE, oui bien entendu, et vous le classez aussi parmi les survivants, car autour de lui il n’y a plus grand-monde, en tous cas plus beaucoup en activité (musicale s’entend), les nommés ci-dessus étant tous et toutes disparus sauf ENO qui, il est vrai, « est beaucoup plus jeune » !!! 

Tout cela pour dire qu’à bientôt 81 ans, le Gallois taciturne, raffiné, inquiétant, intrépide et revenu de tout, demande pardon (Mercy), miséricorde et avec beaucoup d’humilité produit un album de 72 minutes, 12 chansons qui nous réconcilient avec le demi ratage de son dernier opus (2012) dont on a oublié le nom et qu’il a bien enterré avec la re-sortie de Music For a new Society (augmenté) l’année suivante ainsi que Fragment of a Rainy Season en double album seul sur scène au piano et à la guitare. 

Un silence de presque 10 ans donc et cette rumeur, cousue et recousue lors des concerts hommages donnés à Londres et à Paris, diffusés mais uniquement en vidéo (la Philharmonie de Paris/Arte le 3 avril 2016), John CALE continue et enregistre (ce qu’il fait tous les jours dit-il) et s’entoure de musiciens d’autres générations pour amasser des morceaux et les polir et peaufiner jusqu’à sa perfection à lui. 

John CALE à la fête avec lui-même, en déglingue étudiée (collier de perles, jupe tire-bouchon), toujours un peu hirsute, profil d’aigle et pas l’air bien aimable, on ne change pas. Pas de photos (pas plus sur les trois derniers albums) des lyrics et la liste des musiciens et des chœurs (on voit bien que c’est lui qui fait tout, même s’il invite des gentilles petites stars autour de lui pour montrer à tout le monde qu’il en connait du monde sans en faire trop, bien entendu). 

Le miracle de ces retrouvailles est qu’il n’a pas du tout perdu sa voix, miraculeusement préservée, toujours au-dessus des autres choristes et au plus près des émotions qu’il distille le long des chansons tristes, lentes et sobres, dans un ensemble parfait (les morceaux font tous autour de six minutes et s’installent majestueusement sans jamais perdre ce pourquoi ils sont là). Des haikus : les jambes de Marylin MONROE – Beauty Elsewhere, et surtout Moonstruck (rêveuse, somnambule, lunaire) pour NICO, quelques mots suffisent : « You’re a moonstruck junkie lady. Staring at your feet. Breathing words into an envelope. To be opened at your death So afraid of your own Shadow » avec une floppée de violons pour envelopper et hypnotiser la tristesse au bord des larmes : « Please console me, yes, please hold me ». 

Mercy veut dire tout à la fois : Pardon, pitié clémence, indulgence, miséricorde, tout le contraire d’un testament, plutôt un jalon après 1973 et Paris 1919 (happy 50th birthday), luxueux tableaux d’une violence rentrée et distanciée, arrangements savants et claviers liquides ave orchestrations sépulcrales à la limite de la pop et après 1982 et Music for A New Society, nouvelle borne indépassable faite de musiques saccagées, menaçantes et de batailles contre les démons de l’époque du chanteur désabusé et à bout de forces. 

Mercy est comme un maelström de souvenirs, de regrets, d’hommages de ce solitaire (pas trop mal) entouré, s’adressant à des fantômes (les siens, ceux qui l’accompagnent). Des fantômes nombreux et formant des ombres silencieuses et peut-être apaisantes. John CALE les convoque, mais pas directement, avec toujours cette distanciation fantasmagorique pour conjurer les images blafardes avec tous ces violons à l’unisson qui emportent les morceaux jusqu’à une maîtrise implacable. On sent que notre musicien irréductible aime encore se mettre en danger et n’oublie jamais qu’il a un public et que ces chansons sont avant tout pour lui.

Les morceaux pourraient être comme des petites chroniques lentes et influencées par les musiques de maintenant, mais tellement digérées, comme un dépassement magnifique de l’idée d’épuisement créatif et de retour à soi. Ecoutez pour vous en convaincre les chansons dans l’ordre jusqu’à Out Your Window, en joli clin d’œil à Paris 1919, : « If you jump, I will break your fall » (en fait John CALE ne veut pas nous empêcher de nous précipiter dans le vide, il veut « briser » notre chute, comme un sauveur inattendu), cette ultime splendeur qui fait écho à toutes les chansons tordues et distordues de ses seize albums solo à la mélancolie envahissante mais jamais étouffante.

Merci John CALE pour ce moment, merci d’être si cohérent et d’être plein de cette vigueur nonchalante qui est le propre des grands musiciens emplis d’une œuvre jamais finie. Merci pour ces morceaux qui défilent sans à-coups et deviennent une sorte de berceuse lancinante ; merci de nous faire espérer du monde et nous faire entrevoir un avenir encore à explorer, même au cas où la suite devrait nous faire attendre encore quelques années.  

Mercy veut également dire grâce, et il est également une des clés à garder pour cet album empreint d’une sorte de béatitude bien rare, comme un mélange de tensions et d’extase, laissant derrière les dissonances et les contours étranges des morceaux, un parfum décalé, dépouillé et vivace, une image parfaite à l’instar de la chanson finale et définitive de l’album avec pour paroles :

«Don’t you be jumping out, Your window

 If you’re wanting to go, take me with you  

 Please, please come home. »

 Xavier Béal 

Site : www.john-cale.com/

Label : www.dominomusic.com/releases/john-cale/mercy/

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