KING CRIMSON – The ConstruKCtion of Light

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KING CRIMSON – The ConstruKCtion of Light
(DGM / Virgin)

En 2000, KING CRIMSON revenait avec un nouvel album studio, cinq ans après THRAK, qui avait marqué son retour après plusieurs années de silence. Ce nouveau disque du Roi Cramoisi a laissé perplexes nombres de fans en plus de les diviser, comme jamais un album de « CRIMSO » ne l’avait sans doute fait auparavant. C’est pourquoi plusieurs regards étaient nécessaires. Chauffés à blanc et torturés selon l’art ancestral chinois dans les sous-sols du bunker de TRAVERSES / RYTHMES CROISÉS, ses rédacteurs – du moins ceux qui ont pu survivre à cette séance de torture – avaient ainsi consenti à livrer leurs impressions sur l’objet.

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On aura beau dire sur KING CRIMSON, ce groupe demeure l’un des plus anticonformistes des dinosaures du rock progressif et il nous le prouve encore avec la sortie d’un tout nouvel album studio. Nous avons droit cette fois à du 100 % inédit. Depuis THRAK (sorti tout de même en 1995) Robert FRIPP (j’ose encore signaler au cas où qu’il est depuis toujours le guitariste de KING CRIMSON) a fait exploser son activité d’éditeur en rééditant diverses prestations live disséminées sur trois décennies. Et puis il y a eu aussi les expériences ProjeKcts qui étaient les versions fraKctalisées du line-up de 1995. À propos de ce line-up il était logique de le retrouver aujourd’hui. FRIPP en a décidé autrement. KING CRIMSON est privé de la section rythmique BRUFORD/ LEVIN. Y a-t-il eu des problèmes relationnels ces derniers temps entre FRIPP et BRUFORD ? On en a toujours un peu parlé de toute façons.

Mais l’essentiel n’est pas là. FRIPP a réactivé un nouveau KING CRIMSON bien plus cohérent qu’à l’époque de THRAK. Adrian BELEW (désormais le plus ancien complice de FRIPP) tient la guitare et assure toujours les chants, Trey GUNN la Touch Guitar et Pat MASTELOTTO les percussions. La première chose a laquelle on pense c’est l’inévitable comparaison avec Bill BRUFORD. Force est de constater que malgré le parti pris envers la batterie électronique, MASTELOTTO n’a rien à envier à l’ancien batteur de YES. En règle générale la rythmique est sur The ConstruKction of Light extraordinaire de puissance. MASTELOTTO a un son foudroyant (en particulier sur Into the Frying Pan).

L’autre fait remarquable est l’excellente prestation d’Adrian BELEW qui assure les vocaux avec une maestria époustouflante (sur ProzaKc Blues qui fait figure de tarte à la crème crimsonnienne, il a osé ralentir la vitesse de la piste de sa voix pour un résultat étonnant) et qui prouve encore à travers des solis imparables ses talents de guitariste.

Trey GUNN confirme avec MASTELOTTO sa présence logique dans KING CRIMSON. On pourra noter au passage qu’il était avec FRIPP le seul musicien présent sur l’ensemble des ProjeKcts. La qualité de ses albums solos, ses diverses collaborations (dont GORDIAN KNOT par exemple) et la puissance d’énergie qu’il dégage d’un instrument aussi difficile que la Touch Guitar font de Trey GUNN le véritable bras droit de Robert FRIPP. On a dit que THRAK suivait directement la voie laissée par Red (1974). Celui-ci aussi, mais plus dans le fond que dans la forme. FraKctured en est le parfait exemple.

Les grandes heures de la période 1973-1974 nous reviennent immédiatement en mémoire mais avec une couleur différente. Ici la musique est plus difficile d’accès sur ce dernier album, car KING CRIMSON n’a pas privilégié ici les harmonies. L’esprit est plus progressif encore que sur THRAK. KING CRIMSON a encore la faculté d’étonner. Après les ProjeKcts on aurait pu croire à une poursuite vers la musique expérimentale (comme en témoigne le bonus track de PROJEKCT X, Heaven and Earth). Non, KING CRIMSON reste un groupe rock et sa musique est bel et bien une musique écrite, progressive, complexe et envoûtante.

Patrick Robinet

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Alors voici donc enfin sur nos platines ce nouveau KC si attendu (mais c’est l’habitude avec le groupe)… Première déception : le line-up. Exit la section rythmique Bill BRUFORD et Tony LEVIN pour Pat MASTELOTTO et Trey GUNN, assortis du guitariste-chanteur Adrian BELEW et de l’ineffable Robert FRIPP. Un « double-duo » nous annonce-t-on sans rire (on se fout de qui, là ?), un line-up qui serait donc un mélange de plusieurs ProjeKcts, le 2 et le 3 en l’occurrence. D’ailleurs, le dernier morceau est crédité à PROJEKCT X ! Personnellement, j’ai toujours trouvé le PROJEKCT 3 formidable alors que j’ai bien moins accroché au 2.

Ici, le parti pris annoncé, responsable de la défection de Bill-je-ne-jure-plus-que-par-l’acoustique-BRUFORD, est l’emploi exclusif de percussions électroniques. Tony LEVIN lui serait absent pour cause d’incompatibilité de planning ! Alors que dire de cet opus si ce n’est l’extrême déception aux premières écoutes, heureusement bien vite surpassée aux suivantes par les morceaux les plus réussis. Il faut dire que le groupe n’a pas lésiné sur la provoc’ : l’album démarre ainsi avec une espèce de blues déjanté (ProzaKc Blues, fallait l’inventer celle là !) où la voix trafiquée du sieur BELEW prend la tête en quelques minutes (et ça dure 5’29 minutes en plus !).

Heureusement, la suite-titre (8’39 minutes) est de bien belle facture, condensé réussi du KC des 80’s avec notamment un chant expressif tout bonnement fabuleux. Et tout l’album est comme ça : un morceau chiant pour un morceau intéressant. Au final, trois morceaux sont donc à jeter soit près de 19 minutes (sur un total de 58’15 minutes).

Est-il utile franchement de dire que ces morceaux sont toujours, (suite-titre mise à part), ceux chantés par BELEW, qui nous assomme avec sa voix traficotée ? FraKctured et Larks’ Tongues in Aspic-Part IV, chacun d’une durée de 9 minutes, sont deux pièces étonnantes car très progressives (peut-être ce que KC a fait de plus progressif depuis des lustres !!!). L’album se clôture enfin de fort belle manière par Heaven and Earth crédité donc à PROJEKCT X (pendant agréable de Space Groove et autres THRaKaTTaK…).

Un album au final réussi… s’il durait seulement 40 minutes !!!

Renaud Oualid

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Certains doivent probablement être sceptiques concernant l’intérêt d’un nouvel album de KING CRIMSON, notamment avec Tony LEVIN et Bill BRUFORD manquant à l’appel (au point de rendre incertain l’avenir du groupe ?). En réalité, il faut bien plus que ces deux absences, certes regrettables, pour stopper la machine crimsonienne. Le double trio de THRAK en 1995 laisse la place à un simple quatuor sur The ConstruKction of Light. FRIPP et BELEW entourés des fidèles Trey GUNN et Pat MASTELOTTO n’en ont pas terminé avec le mythique roi cramoisi.

À travers cet album, l’esprit de KING CRIMSON est toujours aussi vivace ; en effet, nous constatons que l’ambiance générale est imprégnée d’une sonorité très « heavy metal » et délaisse le côté plus atmosphérique de The Sheltering Sky ou des ballades de THRAK (Walking on Air, One Time, Inner Garden). Le groupe dérive même vers du blues rock assez énergique avec le premier morceau ProzaKc Blues. La voix d’Adrian BELEW y est totalement méconnaissable et se rapproche ici de celle de Tom WAITS.

La bonne nouvelle est que KING CRIMSON évite de tomber dans la commercialité à la People ou Sex Sleep Eat Drink Dream, en nous offrant un album puissant et accessible (bien loin des PROJEKCTS ou de THRaKaTTaK) avec des titres rock comme Into the Frying Pan, The World’s my Oyster Soup Kitchen Floor Wax Museum ou le très émouvant « symphonique » Coda : I Have a Dream. Mais c’est surtout avec les pièces instrumentales que l’univers du groupe prend toute sa dimension : The ConstruKction of Light, FraKctured, Lark’s Tongues in Aspic Part IV ou même le Heaven and Earth (issu du PROJEKCT X) développent un style propre à KING CRIMSON, métallo-industriel, froid, répétitif, angoissant et légèrement agressif, sans pour autant oublier l’aspect mélodique.

Cependant, ce disque risque de paraître assez fade et décevant par cette impression de déjà entendu et son manque d’originalité. Il est vrai que FRIPP et ses complices ne se sont pas trop foulés en ce qui concerne les titres, souvent référentiels (FraKctured, Lark’s Tongues… IV), et les mélodies, aux références très marquées à Red, Discipline ou THRAK. KING CRIMSON n’a donc pas fini de nous étonner et nous livre, malgré tout, un superbe album où se côtoient merveilleusement bien soundscapes et heavy rock ultra dynamique.

En résumé, c’est du KING CRIMSON pur et dur ; ce qui n’est pas pour nous déplaire.

Cédrick Pesqué

Chroniques originales publiées dans
TRAVERSES n°7 – octobre 2000)

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