Martin REV : Du suicide au rêve

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Martin REV

Du suicide au rêve

 

Fiche d’identification : Martin REV, agitateur, explorateur, visionnaire sonique new-yorkais depuis les années 1970 avec Alan VEGA/SUICIDE, et en solo dès 1980.
Genre : Musique électronique en mutation : punk électronique, proto punk, minimalisme industriel, pop synthétique, musique planante, rock électronique, électronico-classique.
Motif : Tournée française mai-juin 2012.
Lieu de rendez-vous : Paris, Le Glazart.

Rencontrer en chair et en os Martin REV, c’est comme atteindre l’inaccessible. À cet instant, notre mémoire se souvient de la première fois où SUICIDE est entré dans nos vies : un court extrait de Rocket USA, la version live de 1981 (Ghost Riders, ROIR) sur une radio, il y a une vingtaine d’années. Martin REV, avec ses éternelles lunettes de soleil, est l’un des derniers représentants de cet esprit punk électro, apparu à New York vers le milieu des seventies. Le duo SUICIDE est une machine de guerre urbaine, avec notamment des boîtes à rythme obsédantes, terrifiantes, à la recherche d’un futur immédiat pour un public qui n’était pas totalement prêt. Avec SUICIDE, ce sont des assauts répétés et sans pitié de sons nouveaux, de mélodies sortant d’un farfisa et de synthés.

Nous devons à Martin et Alan quelques grands moments de rage électronique mais aussi des hymnes de vie et d’amour (Dream Baby Dream, I Surrender) qui auraient certainement convenu à Elvis PRESLEY. Le temps s’est écoulé depuis les guérillas scéniques de 1977-1978, et aujourd’hui REV appartient à cette catégorie de musiciens ayant marqué de son empreinte unique l’histoire de la musique électronique urbaine et d’une pop synthétique malicieuse. Avec SUICIDE ou en solo, il a ciselé une œuvre à part, déconcertante souvent incomprise, mais toujours insoumise. Ses disques sont une succession de peintures sonores flamboyantes dont la muse n’est autre que la ville de New York.

Ses enregistrements instrumentaux, à savoir le premier album
éponyme (intitulé également Marvel, sur la version parue sur DAFT Records), Clouds of Glory et Cheyenne, enregistrés dans la première moitié des années 1980, restent des classiques du genre, où l’esprit frappeur de SUICIDE n’est jamais très loin. Sur Marvel, nous retrouvons ces boîtes à rythme aux influences motorik (Nineteen 86, Asia) parmi des ambiances joyeusement synthétiques (Mari) et des plus lancinantes (Temptation, Jomo).

Clouds of Glory et Cheyenne contiennent par ailleurs des versions instrumentales de quelques pièces majeures du duo, figurant sur le deuxième album et le suivant A Way of Life (Whisper deviendra en 1988 le slow ravageur I Surrender), en plus de morceaux de bravoure qui ne trahissent en rien la vision de SUICIDE (Rodeo, Metatron ou Rocking Horse sur Clouds of Glory).

De cette période, seule la chanson Baby Oh Baby sur son premier disque, nous permet d’apprécier sa voix grave et chaude, très sensuelle lorsqu’il répète les paroles très minimalistes (Baby Oh Baby, Tonight Tonight) sur une musique au rythme hypnotique, motorik et répétitif.

Une nette rupture avec le passé se produit avec les albums suivants, See me Ridin’ (1995) et Strangeworld (2000), incursions originales vers une pop électronique « bubblegum » cartoonesque, et une façon de chanter-parler au style proto doo-wop. Cette voix particulière, douce et joliment enfantine, sortie d’un décor de dessins animés, assez proche d’un Robert WYATT égaré dans un monde de fantaisies électroniques, peut parfois déstabiliser. Elle n’a pas la même allure que celle de VEGA, mais elle ne demande qu’à être écoutée.

Cette distinction vocale et sonore est finalement nécessaire pour REV, qui réalise là une œuvre éloignée de cette tension, de cette violence engendrées par la musique de SUICIDE et la pochette aux lettres ensanglantées du premier disque. Ses pochettes réalisées par MAREV décrivent un tout autre univers : celui du divin, avec ces vitraux mettant en scène de petits anges réconfortants et bienfaisants, certains jouant d’un instrument (voir par exemple, la réédition de Marvel) ; de belles « cover paintings » qui sont en harmonie avec l’esprit de la musique de Martin.

À l’écoute des courtes chansons de See me Ridin’ et de Strangeworld (ou même d’un bonus track comme Daydreams datant de 1991 et figurant à la fin de Marvel), il y a de la naïveté, de l’innocence et beaucoup de tendresse. C’est comme si nous retombions en enfance ! Sa musique n’est alors qu’instants de grâce et mélodies électroniques apaisées et apaisantes : prenons son album de 2008, Les Nymphes avec des titres tels que Narcisse ou le somptueux Dragonfly avec cet émouvant piano, rappelant Richard PINHAS au temps de East/West et de L’Éthique. Et que dire de ces envolées planantes, presque schulziennes, et lumineuses, perceptibles sur quelques titres disséminés ici et là : Island (1987) sur Clouds of Glory, Wings of the Wind et Little Rock (1990) sur Cheyenne.

Mais, avec toujours à l’esprit la volonté de surprendre, REV aime se rendre là où nous ne l’attendons pas. To Live en 2003 témoigne d’une énergie rageuse intacte (In Your Arms), avec cet album de rock-heavy électronique.

Plus près de nous, en 2009, son dernier album en date, Stigmata, n’est à l’évidence pas le plus facile d’accès. Avec ses titres en latin et ses références religieuses marquées, il a concocté une bien étrange symphonie moderne de musique électronico-classique, parsemée de temps en temps de sa voix d’enfant éploré… Stigmata est un disque d’amour, façonné dans les larmes.

La musique de Martin REV, d’abord menaçante pleine de tensions et de psychoses urbaines devient insouciante, amoureuse, nostalgique et mélancolique. Elle peut même faire penser à de petites comptines pour enfants en manque de rock’n’roll et épris de visions angéliques. Et c’est bien ce genre de spécimen qui s’est retrouvé au Glazart de Paris le 9 juin dernier, pour un concert explosif de REV. Ce passage dans la capitale venait clôturer une tournée française de cinq dates, débutée le 16 mai à Poitiers (dans le cadre du festival Less Playboy Is More Cowboy), et passant dans les villes de Marseille (19 mai), Strasbourg (festival Contre-Temps, le 7 juin), et Nancy (le 8 juin).

Sur scène, il est authentiquement lui-même : cool, lunettes noires et teeshirt original ! Il arrive sur scène, allume ses machines et exécute pendant un peu plus d’une heure une performance étonnante et soniquement variée de rock électronique. Martin REV en live est tour à tour hypnotique, dansant, émouvant ou parfois franchement terrifiant.

La set-list proposait des titres récents de son répertoire, quelques inédits et des reprises de SUICIDE : nous avons pu apprécier la musique électro dansante de White Man, les rythmes urbains de Wrong Decisions (American Supreme) et la mélodie pleine de tendresse de I Surrender. Deux titres de 1977 ont confirmé que leur premier disque studio est resté un monument : le Glazart a vibré entre la lenteur lancinante de Girl et la version tsunamique de Rocket USA en guise de final. Certes, la voix de REV n’a pas la puissance de celle de VEGA. Mais le voir bidouiller ses machines, exceller dans l’art de détourner les sons et improviser sur le clavier tel un sorcier en transe, fut un moment exceptionnel. REV est aussi enthousiaste et ravi qu’un enfant devant un nouveau jouet.

Avec ses fameuses lunettes qui s’allument de bleu, dans la deuxième partie du concert, il ressemble à un « alien » sortant de sa navette spatiale et venant raconter ses aventures. Jamais nous n’oublierons cette image de REV, debout se tenant près du micro, un bras tendu vers son clavier, expédiant ses chansons rock-heavy électroniques post-apocalyptiques, sur fond de boîtes à rythme et de séquences préenregistrées.

Ce concert fut pour nous l’occasion de provoquer une rencontre (Merci à Benjamin DIERSTEIN du Glazart !) et de réaliser enfin à une interview avec Martin REV, en backstage et aussi par mail. Puis, est venue cette drôle d’idée de faire intervenir deux invités de marque. Merci donc également à Liz LAMERE, Madame Alan VEGA, et à Marc HURTADO, d’avoir accepté de participer à cet article, en répondant à quelques questions toutes simples, manière de cerner un peu plus ce personnage décalé, génial et jusque-là toujours inégalé.

● Entretien avec Martin REV

Martin REV : J’ai accepté de faire une interview parce que c’est plutôt rare !

Tu as le bonjour de Marc HURTADO !

MR : Ah oui, merci !

Parlons de cette tournée française. Comment s’est-elle passée ?

MR : Cette tournée s’est bien passée. C’était super. En plus de la France, je suis allé en Angleterre. J’ai fait trois concerts là-bas, entre les dates françaises. Je suis ensuite retourné en France et je suis allé à Strasbourg et pour la première fois à Nancy. Puis, Paris ; j’aime beaucoup jouer ici. J’ai pris beaucoup de plaisir pendant cette tournée. Le public a été réceptif partout. Certes, parfois, ils sont surpris. Mais, cela s’est bien passé et j’ai partagé de bons moments avec le public.

Peux-tu nous parler un peu de la set-list ?

MR : La set-list varie un peu et surtout peut changer par le fait d’inclure un mix différent des titres. Les morceaux interprétés lors de cette tournée sont un mélange de mes albums To Live et Les Nymphes. Le reste comprend des titres encore non-enregistrés, et quelques reprises de SUICIDE. À propos du titre inédit très latino, il n’y a pas de titre définitif, mais nous pourrions l’intituler Tell Me Now. L’autre morceau à l’atmosphère très 50’s/doo-wop s’appelle That You’re Gone.

Le public aujourd’hui aime les chansons de SUICIDE.

MR : Oui ! Bien sûr, à l’époque, il n’y avait pas beaucoup de formations électroniques. Il y avait généralement des groupes, avec de la guitare, de la basse et de la batterie. Puis, avec les années 80-90, les gens ont commencé à voir des groupes, des musiciens, sans guitare, avec de l’électronique et du digital. Le goût du public a évolué.

Comment expliquer le fait que SUICIDE a connu un peu plus de succès en Europe que dans son propre pays ?

MR : La reconnaissance de SUICIDE en Europe a des précédents avec d’autres musiques en d’autres périodes. C’est quelque chose d’historique. Peut être que c’est finalement la meilleure façon de l’expliquer.

Est-ce que parmi tes influences, il y a les groupes Krautrock, ou des musiciens comme Brian ENO, voire des compositeurs minimalistes tels que Philip GLASS ?

MR : En même temps que SUICIDE, il y avait en Europe des groupes allemands qui faisaient de l’électronique : CAN, KRAFTWERK. Mais je n’en écoutais aucun, à cette époque. Mon attention pour Brian ENO est venue avec ROXY MUSIC. Les minimalistes n’ont pas été d’une grande influence. J’ai vu qu’il y avait de grands albums classiques de GLASS, du genre des symphonies pour orgue, et je peux comprendre ce type de musique, mais cela ne m’a pas influencé. J’étais trop profondément enraciné dans mon propre développement à l’époque où j’ai entendu GLASS, et même si je le considérais comme contemporain, il n’y avait pas là le genre d’information qui m’aurait directement influencé pour changer rigoureusement quoi que ce soit dans mon travail.

Je suppose que tes influences viennent de la musique de ton enfance.

MR : Oui, absolument ; ton enfance et ton environnement immédiat te suivent toujours de très près. Mais, parler de ma musique, tenter de décrire mes compositions, ce n’est pas mon fort. Je les laisse parler d’elles-mêmes. Pour être honnête, même si la musique électronique actuelle m’intéresse, je n’écoute pas trop de musique similaire à mon travail, à mon univers. Comme je l’ai dit, mon environnement immédiat est ma nourriture. La musique demande beaucoup de discipline et j’apprends toujours. Je n’arrête jamais. La vie est un apprentissage. C’est comme la peinture : tu travailles sur une toile, et le lendemain, tu dois continuer pour gagner ta vie. C’est une aventure. C’est la même chose pour la musique. Demain, je dois travailler, creuser encore plus profond, parce que c’est la vie. Actuellement, je suis en train d’enregistrer.

Tu as toujours en toi cet esprit punk, n’est-ce pas ? Tu explores sans cesse, lorsque tu joues sur scène. Certaines versions de SUICIDE sont souvent revisitées, parfois même méconnaissables.

MR : Je suis punk. C’est juste dans ma nature de vouloir trouver de nouvelles idées et de les exprimer.

Et au niveau de la voix, quelles sont tes influences ?

MR : Chaque grande voix que j’ai pu entendre dans une chanson ou dans un autre contexte est pour moi une influence.

Et pourquoi avoir mis du chant dans ta musique ?

MR : La qualité de la voix comme un instrument d’une couleur unique et personnelle en fait un ingrédient indispensable.

Utilises-tu le même équipement que pour SUICIDE ?

MR : C’est assez proche du même matériel, avec bien entendu des additions et des substitutions. J’utilise des synthétiseurs Triton.

Quel est ton avis sur le futur de la musique électronique ? Est-ce que pour toi, tout a été dit ? Et parmi la nouvelle génération, vois-tu un nouveau SUICIDE ?

MR : Tout n’a pas encore été dit. Il y a toujours le potentiel pour de nouvelles formes et de nouvelles combinaisons, c’est mon avis. Peut être qu’il y a des centaines de nouveaux SUICIDE ou pas. Ce n’est pas une chose à laquelle je cherche une réponse.

Que penses-tu d’un outil comme internet qui semble bénéfique pour les musiciens qui veulent se faire connaître ? Est-ce que selon toi un artiste peut vivre aujourd’hui plus facilement de son art ? Lorsque tu as commencé à faire de la musique avec Alan VEGA, est-ce que tu ne regrettes pas de ne pas avoir bénéficié des multiples opportunités offertes par un tel outil de communication ?

MR : L’internet est un instrument important qui a des avantages, mais pas dans tous les cas ; il a permis à certains artistes de mieux vivre de leur art, mais il a aussi modifié le rapport aux droits d’auteur, les limitant du moins pour un temps et surtout substantiellement, comparé à ce qu’ils étaient. Je n’ai pas de regrets à cet égard. J’ai fait l’expérience des hauts et des bas de chacune des périodes, et je ne voudrais pas changer mon environnement de base qui a été essentiel pour ce que j’ai créé à l’époque.

● Entretien avec Liz LAMERE et Marc HURTADO

Pouvez-vous me parler de Martin REV ? Qu’est-ce qu’il représente pour vous ?

Marc HURTADO : Martin REV est un génie, que ce soit avec SUICIDE ou en solo ; son travail est unique et révolutionnaire. Il a toujours eu des années d’avance sur la musique de son époque, il maîtrise à mes yeux le mieux un art minimaliste dans ses moyens mais maximal dans son effet. Martin REV est celui qui avec le premier album de SUICIDE m’a donné une des plus belles gifles de ma vie. J’ai encore en tête l’effet que m’a produit l’écoute de Ghost Rider en 1977 ; j’avais l’impression d’entendre une musique venue d’une autre planète et depuis jamais Martin REV ne m’a déçu. Il se renouvelle sans cesse, il est totalement libre.

Liz LAMERE : Martin REV représente la famille. Un virtuose musical qui joue avec une grande intensité et de la passion. Seul, il peut amadouer plus de sons sortant de ses machines que la plupart des ensembles. Il est un innovateur qui a inspiré de nombreux musiciens depuis les quatre dernières décennies.

Quand avez-vous découvert sa musique ? Je suppose que ce fut d’abord par SUICIDE ?

MH : Oui, j’ai découvert SUICIDE en 1977 et ce fut une libération extraordinaire de pouvoir entendre une musique violente, révoltée, fine, intelligente et surtout moderne. L’électronique que j’écoutais comme Giorgio MORODER ou KRAFTWERK était dénuée de toute violence et de saleté et SUICIDE a amené tout cela et bien plus encore avec un clavier à 40 $ et un Elvis/VEGA plus violent et plus extrême que le plus punk des punks. À l’image de CHROME, MARS, DNA, TEENAGE JESUS, THROBBING GRISTLE ou NON, SUICIDE partait dans une direction nouvelle face à une musique punk sans âme engluée dans la mode et des ambitions uniquement mercantiles et des groupes rock en manque d’inspiration, à bout de souffle.

LL : Je n’avais jamais écouté la musique de REV ou de SUICIDE avant ma rencontre avec Alan VEGA qui remonte à la fin de l’année 1985. Alan avait terminé son temps avec Elektra Records et vivait au Gramercy Park Hotel, travaillant sur sa musique et recouvrant ses murs de ses sculptures de lumière. Ayant perdu une partie de lui-même dans l’engrenage d’un grand label de producteurs lisses et de sessions avec des musiciens, Alan expérimentait avec le son et redécouvrait ses racines. Son plancher était couvert de boîtes à effets pour guitare, reliées ensemble et émettant des sons violents à l’aspect primitif, viscéral. 

À la fin de l’année 1987, Alan et moi avons commencé à enregistrer en studio, expérimentant avec la nouvelle génération de machines à effets, accumulant des sons pour l’élaboration de ce qui allait devenir Deuce Avenue. J’ai joué de la batterie dès les premières années de mon adolescence dans quelques groupes lorsque je vivais à Boston, et il pensait que j’avais le bon feeling pour utiliser ces machines. À cette époque, Alan et Marty ont été appelés pour faire un show à New York. Je n’avais jamais vu SUICIDE avant, mais j’avais écouté les deux premiers albums. Bien qu’ils n’avaient pas joué ensemble depuis des années (et qu’ils n’avaient rien répété pour le show), c’était comme s’ils n’avaient jamais arrêté. Ce fut une performance incroyablement inspirante, comme jamais je n’en avais vue auparavant. Très vite, il y eut des discussions pour enregistrer un nouvel album.

A Way of Life, produit par Ric OCASEK, est sorti en 1988. Marty a envoyé à Alan des idées de chansons et Alan lui a fait savoir avec quelles chansons il se sentait le plus en connexion, puis ils se sont retrouvés au studio d’enregistrement. Je me rappelle de Ric arrivant un peu en retard le premier jour de l’enregistrement ; au moment où il était là, Marty et Alan avaient déjà établi la plupart des chansons. Ils ont littéralement enregistré la plupart de l’album en live et en une seule prise. Ric passait beaucoup de temps au mixage et ils ont rajouté quelques titres, mais l’essentiel était fait lors de la performance live. Marty était si cohérent dans son jeu et Alan si spontané sur le plan vocal. C’était vraiment magique.

Quel est votre avis sur sa carrière solo qui est variée soniquement ? Que pensez-vous par exemple de ses albums See me Ridin’/Strangeworld, de cette incursion dans une pop électronique assez fantaisiste, cartoonesque avec ce chant proto doo-wop, alors que son dernier CD, Stigmata, est comme une symphonie de musique électro-sacrée fortement imprégnée d’atmosphère religieuse et de nostalgie ?

MH : J’aime tout de Martin REV; dans tous les styles qu’il aborde, il apporte sa patte et on reconnaît immédiatement du Martin REV : l’esprit léger, délicat, nonchalant et en même temps extrême de cet artiste est toujours emprunt de mysticisme. On sent chez lui cette imprégnation profonde du sacré. Tous ses sons et ses boucles sont en liaison directe avec l’espace et une certaine approche du divin à travers les méandres de sa musique « labyrinthique ».

LL : Stigmata est un bel exemple montrant comment le genre ne change pas l’essence de la musique de REV. Cet album est un chef-d’œuvre transcendant… L’ultime hommage à une âme sœur bien aimée. Il est spirituel, mystique, éthéré, paisible et majestueux ; c’est une messe de requiem symphonique électronico-classique qui sonne comme rien de ce qu’a pu faire auparavant Martin REV, et qui possède entièrement son empreinte.

Quel fut l’impact de sa musique sur votre travail respectif ?

MH : Je ne me sens pas inspiré par un artiste en particulier. J’ai fondé ÉTANT DONNES en 1977 et pendant plus de vingt ans, je n’ai utilisé aucun instrument, travaillant uniquement sur des sons naturels. En 1998, j’ai touché pour la première fois de ma vie un instrument électronique et bien sûr ma première envie a été de rendre hommage à ceux qui ’avaient nourri depuis toujours en réalisant Re-Up avec Lydia LUNCH, Genesis P-ORRIDGE et Alan VEGA. Le premier morceau électronique que j’ai réalisé était une nouvelle version de Ghost Rider avec Alan VEGA sur l’album Re-Up.

L’impact de Martin REV sur ma musique est cérébral. La musique de Martin palpite et vibre continuellement dans un recoin de mon cerveau, mais elle n’est pas la seule et je ne peux pas parler d’impact sur mon travail mais plutôt de rapprochement spirituel. J’ai peut-être gardé de Martin l’enseignement d’un certain minimalisme sonore et surtout celui d’une liberté totale dans la composition et l’interprétation : aller de l’avant en tentant d’innover sans cesse et ne jamais se répéter, tout en ayant la sensation d’aller vraiment au bout des choses.

LL : Les nombreux points de référence dans la musique de Marty vont du doo-wop, du rock’n’roll des années 1950 à l’industriel, la pop synthétique et l’électronique techno. Jusqu’à présent, rien d’autre ne sonne complétement comme du Martin REV. Tout ce qu’il fait possède cette empreinte unique. Le style peut changer, mais l’essence reste. Je pense que son influence principale sur moi est cette approche de créer de la musique avec une vision unique. C’est un appel à la découverte du son.

Ma vision musicale a une connexion avec mes racines dans le hard rock, le punk et le hip hop, tout en utilisant des machines en remplaçant les guitares, la basse et les rythmes de rue. La vision musicale de VEGA est devenue plus réduite, dépouillée et brutale et moins mélodique que celle de REV. Ma propre sensibilité et mon goût personnel sont davantage une combinaison d’un son dur, acéré, tranchant avec de fortes accroches mélodiques. Comme VEGA s’est éloigné de plus en plus d’une mélodie évidente, j’ai travaillé sur mes propres compositions. Cela me permet de produire les disques de VEGA… ce dernier conservant le vrai son de sa vision. SUICIDE est une démocratie. Marty et Alan ont une approche égale dans le son. Le travail solo de VEGA correspond à la vision d’Alan. Même avec les chansons que j’ai coécrites, j’ai essayé de rester fidèle à ma perception de cette vision.

Marc, peux-tu me dire quand tu as rencontré Martin pour la première fois ?

MH : J’ai croisé Martin en 1989, sur un passage piéton à New York. J’étais venu faire un concert d’ETANT DONNES à la Kitchen. Martin avait des journaux français sous le bras qu’il venait de chercher à la poste qui commentaient des concerts de SUICIDE et quand Martin a vu l’article que nous avions ce jour-là sur le Village Voice, il me dit en riant que ce journal new-yorkais n’avait jamais écrit une ligne sur SUICIDE. Deux mois après, j’ai rencontré Alan VEGA à Göteborg où nous étions venus faire un concert d’ÉTANT DONNES et depuis une relation d’amitié très forte s’est installée entre nous.

Parlons maintenant de cet événement à Poitiers le 16 mai dernier ! Pour quelle raison y es-tu allé ?

MH : Je me suis rendu à Poitiers pour le vernissage de l’exposition « Le Confort Moderne» au Confort Moderne qui contenait une de mes toiles en grand format, CRUX 1. Il y avait de nombreux autres artistes exposés dont Alan VEGA qui avait trois toiles présentes et un film ; et comme en résonance aux œuvres d’Alan VEGA, Martin REV a fait un concert extraordinaire dans la salle mitoyenne de la salle d’exposition. Ma peinture se compose de  quatre toiles jointes entre elles. C’est un monochrome noir uniquement constitué de croix. Elle fait partie d’une série de quatre tableaux monochromes (noir, blanc, rouge, or) qui s’appelle CRUX. C’est un travail sur l’alchimie et le rapport à l’éternité, la croix étant le premier geste qui me vient naturellement dans le combat avec la toile. Je suis obsédé par la croix et par le 4 depuis que je suis enfant et dans mes forêts de croix, je vois l’espace, une étoile, un cœur, les quatre directions de l’espace… La croix c’est le 4, quatre sens, avec en son centre un cinquième sens, invisible celui-ci, car directement relié du cœur à l’étoile ; c’est le sens
positif, le + Ultra.

Tu as assisté au concert de Martin. Peux-tu me dire tes impressions sur sa performance ? On assiste à un show électro rock assez dévastateur. Il y a toujours en lui, cet esprit d’explorateur, d’homme LIBRE, avec cette volonté de construire, reconstruire, détourner les sons en proposant comme à son habitude des versions différentes, revisitées. Cela paraît chaotique, mais c’est aussi très travaillé, très réfléchi.

MH : Avec Martin REV sur scène, on est beaucoup plus loin qu’un simple concert, on est dans un film, dans une pièce de théâtre, dans la rue. On est face à une sculpture, face à une peinture. Les constructions complexes et totalement libres de sa musique sont des moments magiques, car Martin façonne sa musique avec ses mains : il touche son piano à la façon d’un sculpteur, frappant ou caressant son clavier et bâtissant une sorte de sculpture invisible qui s’écroule au coup de butoir final qu’il assène à la fin de chaque morceau avant d’en construire une nouvelle. Martin REV ramène la rue dans une salle.

Les sons des différentes musiques qui constituent l’histoire de l’Amérique et plus particulièrement de New York tournent en boucle, et dessus il impulse avec ses poings des ondes de choc qui transcrivent sa vision spirituelle directe et actuelle du monde. Il est totalement fermé sur lui-même au moment où il joue et en même temps totalement ouvert, jouant de côté de son clavier comme essayant de s’arracher de celui-ci ; il se place face à nous, cherchant à communier avec le public et trouver des espaces lumineux qui s’infiltreraient dans les ondes kaléidoscopiques de ses feux d’artifices sonores.

On en vient ici à parler de la discipline nécessaire au musicien, à l’ARTISTE LUMINISTE qui inonde le monde de son art. Est-ce que tu ne trouves pas parfois que Martin et aussi Alan VEGA n’ont pas été assez pris au sérieux durant leur carrière, qu’ils ont été incompris surtout dans leur pays ? Mais peut être est-ce là la malédiction propre aux génies, aux précurseurs ?

Artiste Luministe est une juste référence, car Martin est extrêmement intéressé par la lumière, la couleur ; sa musique peut être symbolisée par une lumière colorée, différente pour chaque album et avec SUICIDE, c’est encore plus frappant. C’est le même cas avec Alan VEGA, qui expose aux quatre coins du monde ses sculptures de lumière depuis plus de 40 ans. Martin porte actuellement ces drôles de lunettes lumineuses sur scène, qui se vendent dans les rues de toutes les grandes villes. Encore une fois, je crois que c’est cet intérêt mystique pour la lumière qui le motive, mais aussi l’attrait pour un simple objet enfantin qui pourrait paraître grotesque sur un autre, mais porté par Martin dans le cadre de son spectacle, n’est jamais ridicule.

Je pense que Martin REV et Alan VEGA sont très intéressés par ces questions de lumière et pourtant ils ne se préoccupent jamais des jeux de lumière sur scène, cette lumière-là ne les intéresse pas ; celle qui les intéresse est la lumière intérieure, celle que dégagent les ondes du son et de la voix dans le cerveau. Leur travail est en effet en expansion continue ; à l’image d’une boule de neige, ils ont donné une impulsion et maintenant la boule grossie chaque jour indépendamment de leur volonté. Martin et Alan ne sont pas reconnus par la grande masse, mais est-ce là un véritable problème ? Je vois plutôt cela comme gratifiant quand on entend ce qu’aime la grande masse des gens…

Martin et Alan ne font que ce qu’ils ont envie sans aucune compromission et en totale liberté. J’ai toujours pensé qu’une œuvre vraie comme la leur finira par être appréciée par beaucoup de monde à l’image des CARAVAGE, PICASSO ou plus proche de nous, Lou REED ou Iggy POP. Mais il faudra du temps, car le travail de REV et VEGA est en avance sur son époque et ce décalage est sûrement la cause de leur reconnaissance actuelle assez étroite.

Article et entretien : Cédrick Pesqué
Photos : Marie-Christine Pesqué (interview)
et Cédrick Pesqué (concert)

(Article original publié dans TRAVERSES n°32 – septembre 2012)

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