Michael CERA : Le Musicien dilettante

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Michael CERA

Le Musicien dilettante

On connaît principalement Michael CERA pour ses rôles souvent décalés dans des films indépendants ou des séries nord-américaines. On le savait également musicien à ses heures mais, pour quelqu’un dont l’activité principale n’est justement pas la musique, True That, l’album qu’il a discrètement sorti sur Bandcamp en 2014, comporte des pièces plus qu’intéressantes, et mérite un petit retour en arrière.

La musique dans la peau

On a tous en mémoire Michael CERA et Ellen PAGE reprenant le titre Anyone Else but You des MOLDY PEACHES dans le film Juno sorti en 2007. Cette même année, avec Clark DUKE, il a aussi sorti plusieurs morceaux folk sous le nom de THE LONG GOODBYE. Il a interprété par deux fois le rôle d’un bassiste de rock indie, dans Nick and Norah’s Infinite Playlist (2008), et surtout dans la comédie fantastique Scott Pilgrim vs The World (2010). Dans ce film, sa version en forme de sérénade du Ramona de BECK soulignait encore son penchant pour les ballades acoustiques délicates. En 2009, il a co-composé avec Charlyne YI la bande originale du film Paper Heart, et a signé le court instrumental I Have a Boyfriend sur le film Youth in Revolt.

En 2010, il a été bassiste sur la tournée du groupe MISTER HEAVENLY, et on a pu découvrir à cette occasion quelques-unes de ses compositions au piano. En 2011, il est invité sur le titre Hang on du groupe WEEZER, et en 2013 il a réalisé le court-métrage Failure et en a composé la musique. Cette même année, il a aussi tenu la guitare au sein du faux groupe MOLLY & THE DAVES, pour une reprise du Bitch de Meredith BROOKS.

En 2015, il a collaboré avec Alden PENNER, et l’a accompagné sur l’ensemble de sa tournée en tant que multi-instrumentiste, guitare, synthé, et bien sûr basse. En 2016, plusieurs extraits de True That font partie de la bande originale du court-métrage Board et, cette même année, Willow SMITH a posé sa voix sur le morceau instrumental 2048 de l’album de CERA. Enfin, en 2017, il est crédité pour la bande originale du film Avenues, mais surtout pour celle du documentaire Dina, où l’on trouve notamment le morceau de pop synthétique Best I Can sur lequel chante Sharon VAN ETTEN.

Il est possible que certaines de ses autres incursions musicales m’aient échappé, mais force est de constater que Michael CERA n’est définitivement pas qu’un simple musicien du dimanche.

Michael CERA & moi

J’ai découvert True That tout à fait par hasard, par le biais d’une chronique sur un blog musical canadien. C’est bien sûr en premier lieu la pure curiosité qui m’a fait cliquer sur le lien, et c’est ensuite le contenu foutraque, mais sensible de l’opus, qui a aiguisé mon intérêt. D’aucuns pourraient me demander pourquoi je me suis lancé dans un article sur ce disque alors que ce n’est pas mon univers musical. En effet, quand le temps n’est pas trop mon ennemi, j’écris en amateur sur certaines musiques expérimentales et post-punk, c’est-à-dire sur des univers musicaux très éloignés de ceux de Michael CERA. Je n’ai en fait aucun intérêt pour la musique indie, exception faite des morceaux de folk les plus neurasthéniques affiliés à ce genre musical. Mais alors : qu’est-ce qui m’a poussé à me pencher sur CERA le musicien, et cet album en particulier ?

En fait, mon intérêt pour lui a plusieurs origines, allant du trivial au bizarre. Il est né à Brampton, ville canadienne de la province d’Ontario et située en banlieue de Toronto. J’ai moi-même habité durant deux années à Toronto, et une partie de mon âme canadienne s’y trouve évidemment encore. J’ai bien sûr traîné dans les lieux de concerts que tout Torontois passionné de musiques alternatives connaît forcément : le Bovine Sex Club, le Sneaky Dee’s ou encore le Lee’s Palace. C’est d’ailleurs dans un Lee’s Palace reconstitué pour les besoins du film Scott Pilgrim vs The World que se joue l’un des concerts du groupe de CERA.

Ensuite, plusieurs concordances étranges m’ont permis de me lancer définitivement dans cette affaire. Tout d’abord, deux connexions singulières liées à JOY DIVISION, groupe phare de ma jeunesse cold-wave, et que je vénère encore. En premier lieu, la marque de basse (Phantom) sur laquelle CERA jouait en concert avec MISTER HEAVENLY en 2010, qui est la même que celle de la fameuse guitare de Ian CURTIS, à la forme pentagonale si distinctive. Puis, le tee-shirt que porte l’un des amis de CERA dans le film Scott Pilgrim vs The World, et qui est celui du premier album de NEW ORDER, Movement. Album de la continuité après le suicide de Ian CURTIS, encore empreint d’un post-punk sombre, et seul disque que j’apprécie de ce groupe.

Mais surtout, et ce n’est pas rien, Michael et moi partageons, avec seize années d’écart, la même date de naissance. Ainsi, j’aurais pu être ce père symbolique qui, comme dans le film Juno, l’aurait eu en pleine adolescence. Cette filiation fictive franco-canadienne fut l’élément ultime et décisif qui complétait cette chaîne de coïncidences me liant à Michael. Mes conjonctures de départ s’étaient ainsi transformées en fatalité, et une forme de destin venait de frapper à ma porte pour m’obliger à enquêter sur True That, afin de l’analyser comme il se doit.

Bizarre, vous avez dit bizarre

Je vais être clair quant à mon intention à travers cet article. Je ne me place pas du côté de ceux qui persistent à considérer Michael CERA comme une caricature de l’indie boy gauche, et dont la version a capella inconfortable du morceau These Eyes du groupe THE GUESS WHO, dans le film Superbad, le définirait à vie. Et même si son parcours musical ne sort pas vraiment des sentiers battus, le contenu de son album, plus atypique qu’il n’y paraît, en fait un opus digne d’intérêt pour tout amateur de curiosités musicales. Alors oui, il y a des imperfections, oui le mixage est un peu négligé sur certains titres, et oui certaines fins de morceaux sont assez abruptes. Mais CERA le reconnaît lui-même : « Je dois assumer que c’est un peu bâclé, que les tempos sont bizarres et que la qualité d’enregistrement est médiocre. Je dois accepter que ces limitations fassent partie de moi-même. »

Dans les quelques interviews qu’il a données suite à la sortie de cet album, la simplicité dont CERA fait preuve pour définir True That est assez désarmante. Il explique qu’il a toujours enregistré des chansons chez lui, et que ce disque est le résultat de morceaux accumulés au fil du temps, rassemblés sans prétention ni dessein particulier, si ce n’est le plaisir de les partager modestement. « J’ai vécu avec ces chansons si longtemps, les gardant pour moi, passant du temps avec et prenant soin d’elles. Pour moi, le but n’est pas d’avoir un produit fini. Je ne considère d’ailleurs pas ces morceaux comme un produit, mais plutôt comme un aboutissement. »

Cette approche dilettante est tellement présente à l’écoute du disque que l’on comprend que le monde musical a peut-être eu du mal à appréhender cette sortie dans un premier temps. Du coup, pour tout chroniqueur aguerri aux visuels léchés et évocateurs, la pochette – qui représente CERA et une petite fille en train de s’amuser – paraît tellement saugrenue qu’une question sur son origine reste périlleuse. Là aussi, CERA répond tout en sobriété. « C’est la fille du petit copain de ma sœur. J’aime beaucoup cette photo d’elle. Un jour on était en train de passer du bon temps ensemble et ma sœur a fait plusieurs photos de nous, et j’ai vraiment aimé celle-ci. C’est si agréable qu’elle m’apprécie autant. Je prends ça tellement personnellement si un enfant ne m’aime pas. Quand j’étais plus jeune j’avais ce petit cousin que j’ai essayé de faire rire une fois. Il y avait cette blague que ma mère faisait parfois, celle quand tu masques ton coude derrière l’encadrement d’une porte et que tu fais semblant de te faire du mal à toi-même en criant ʺÀ l’aide !ʺ. Mon petit cousin m’a fixé et s’est mis à pleurer toutes les larmes de son corps. Ça m’a littéralement brisé le cœur. Alors, cela signifie beaucoup pour moi que cette petite fille soit si heureuse en ma compagnie. »

Vous en conviendrez, on est très loin d’une réponse pompeuse sur le sens cryptique d’une pochette de disque, et le fond de l’album est, en définitive, dans le ton de cette réponse candide et sans faux-semblants.

Concernant le titre de l’opus, là encore CERA privilégie l’honnêteté quant au sens donné à cette réplique marquant l’agrément à une phrase ou à une question, et dont l’adaptation en français pourrait se rapprocher d’une interjection telle que « Carrément » ou « C’est clair ». « Vraiment, je ne sais pas comment expliquer avec quelle désinvolture j’ai pris toutes les décisions impliquées dans la mise sur internet de l’album. C’était, littéralement, je suis sur Bandcamp et il y a un champ pour indiquer le titre. Et cette réplique a été la première chose que j’ai tapée. »

Cassette vs Bandcamp

En fait, cet album pourrait dater d’il y a 30 ans. Les morceaux auraient été enregistrés sur un quatre pistes analogique et diffusés ensuite sur format cassette. Dans les années 1980, les artistes qui s’autoproduisaient ne se préoccupaient pas de promotion au sens où on l’entend actuellement, et la démarche home-recording et désintéressée de CERA est finalement assez proche de celle de cette époque. C’est juste que désormais, Garageband a remplacé les quatre pistes Tascam ou Fostex, et Bandcamp les cassettes Basf ou Maxell.

D’une manière générale, cet album est un recueil de pièces minimalistes, avec quasiment pas de rythmiques. Sur Bandcamp, il y a dix-huit titres en écoute, et s’y rajoutent trois autres morceaux si l’on achète l’album. La majeure partie des titres sont des instrumentaux, dont quatre uniquement au piano. Sur les titres comprenant des paroles, sept sont dans une veine de bedroom folk caractéristique, deux d’entre eux étant des reprises. Mais c’est vraiment au sein de ses instrumentaux, qui tendent vers une expérimentation assez azimutée, que CERA développe des atmosphères moins conformistes. Tous ces morceaux ayant été enregistrés à différents moments, ils s’entremêlent au sein de l’album et créent un patchwork de titres qui ne se répondent pas forcément les uns aux autres : l’aspect « compilation » du projet est totalement assumé. « Je ne vois pas cela comme une sortie officielle. C’est juste quelque chose que j’ai mis sur internet. Je ne le considère d’ailleurs pas comme un album, mais plus comme des efforts musicaux mis sur une page internet et organisés comme un album. »

Il est par ailleurs difficile d’avoir le temps de se lasser des morceaux puisque la moitié d’entre eux n’excèdent pas les deux minutes. Et bien que le côté artisanal puisse rebuter ceux peu adeptes d’enregistrements trop sales, c’est pourtant aussi cet aspect qui fait le charme de cet album singulier. Comme le diable est dans le détail, je propose de céder au plaisir d’un art qui se perd : l’analyse titre par titre. Et ce, non pas dans l’ordre des pistes, mais en fonction des trois catégories principales des morceaux : les instrumentaux mêlant divers instruments, les instrumentaux au piano et les ballades acoustiques.

True That

En guise d’introduction, Uhohtrouble nous propose une discussion improbable entre deux guitares acoustiques : entrée en matière en forme de mise en garde pour l’auditeur qui s’attendrait à une pop trop lisse. Certainement composée au beau milieu de la nuit, la rêverie brumeuse de Too Much, bien qu’agréable, tire tout de même un peu trop en longueur. Humdrummin est un duo de guitares spatialisées, quelques sons de clochettes et une touche de piano s’y rajoutent ; la bizarrerie de cette comptine est accentuée par un son métronomique de bruit de lèvres évoquant un mini ronflement. Une légère boîte à rythmes et des envols de synthés composent la délicate ritournelle cinématographique qu’est 2048. La gracieuse simplicité de Old Grey Whistle est manifeste, où les guitares enveloppent un piano mélancolique et aérien.

Un synthé légèrement swinguant, quelques mélopées de guitare et ensuite des cliquetis rythmiques : CERA ne s’embarrasse pas de structures trop rigoureuses, et Brat en est encore un exemple flagrant. Et puis, il y a ces instrumentaux encore plus improbables, comme Sexy Danger et Smoke Eyes, expérimentant allègrement notes de guitares et de piano, fragments vocaux, samples ou autres éléments non musicaux. Cher Holders est un des bonus tracks, et mon coup de cœur personnel. Une batterie minimaliste, un synthé désinvolte, des instruments jouets et les chœurs d’une fête imaginaire m’emportent dans un manège qui ne choisit pas entre la solitude enfantine et des agapes fraternelles enivrantes. Frustrant car bien trop court : à peine plus d’une minute de félicité que je m’écoute en boucle dès que le ciel s’assombrit.

Michael s’est acheté un piano et aime à le pratiquer en n’écoutant que les errances de ses doigts sur l’instrument. Plus ou moins enjoués, ces instrumentaux sont teintés d’un feeling ragtime (Of a Thursday) ou d’une ambiance plus jazzy (Gershy’s Kiss et Kettle), et suggèrent autant l’atmosphère d’un saloon enfumé que le cadre cosy d’une méditation nocturne. Respirations au charme désuet, ces pièces évoquent immanquablement les vignettes pianistiques des films muets d’antan, et apparaissent comme des ponctuations tout au long de l’album. Attention : l’auditeur trop sensible aux enregistrements en deçà du low-fi doit impérativement passer son chemin à l’approche de Moving In. D’ailleurs, placer l’enregistrement le plus cradingue en premier de ses instrumentaux au piano relève d’une facétie proche de la roublardise.

Si l’on pouvait être dubitatif quant à l’approche faussement négligente des premiers titres, on comprend avec Clay Pigeons que CERA est tout à fait sérieux dans ses affaires. Le rendu de cette reprise, même si elle est à mille lieues de la tessiture du songwriter texan Blaze FOLEY, en témoigne en premier lieu. Guitare acoustique en tête, puis quelques notes de piano, ajoutées aux dédoublements de la voix de CERA, développent l’émotion trouble et envoûtante de ce titre, qui reste un hommage sincère à cet obscur artisan d’une folk à fleur de peau. Gratouillis de guitare et batterie déglinguée encadrent What Gives (… I Can’t Live Like This), où les bribes de voix ne font que renforcer la singularité de ce titre, d’ailleurs le seul pouvant s’apparenter un tant soit peu à un genre de « rock ». En effet, les autres morceaux chantés de l’album épousent le même schéma vaporeux basé sur la sobriété de la guitare acoustique, que CERA agrémente des autres instruments qu’il affectionne tant. Quelques notes de piano se frôlent sur Steady Now, qui a un rendu un peu psychédélique dû à une voix légèrement trafiquée. Sur Ruth, titre folk cotonneux et parsemé de zestes de guitare slide, CERA, crooner modeste, s’égare dans les paroles rêveuses de son étrange poésie.

OhNadine (You Were in My Dream) est un titre assez farfelu du fait d’un mixage un peu excentrique au regard des instruments en présence : notes de synthés, piano, sifflements et guitares éparses. L’espiègle CERA ne retient pas bien longtemps ses désirs d’expérimentations, quand bien même le morceau ne le nécessiterait pas de prime abord. Those Days revient au traditionnel, tout en simplicité de guitare et de piano. Et puis il y a les titres bonus disponibles avec l’achat de l’album. Play it Again est une reprise de Roderick FALCONER, tout en folk atmosphérique, et dont la voix très pitchée rend l’ensemble assez cocasse, sans pour autant que cela ne sonne ridicule. Mais si je ne me retenais pas, je dirais que c’est carrément Alvin des Chipmunks qui se serait mis à la musique folk. Une reprise du coup assez éloignée de l’original, comme si l’on avait besoin d’un ovni sonore supplémentaire pour comprendre que l’étrangeté de CERA n’est pas qu’un rôle au cinéma. Enfin, Silent Struggle (I Was Blind) est un morceau uniquement porté par une guitare acoustique, mais qui met toujours en valeur le chant feutré que CERA délivre immanquablement à chaque souffle.

Outro

Même si quelques-uns des titres instrumentaux sont accompagnés de bribes de voix, seules les ballades folk possèdent des paroles dignes de ce nom, dont certaines sont d’ailleurs reproduites sur le Bandcamp de CERA. Ce qui implique que les comparaisons qui ont pu être faites avec d’autres artistes ne l’ont été que par rapport à ces chansons-là, et en mettant trop souvent de côté les morceaux instrumentaux de True That. À la sortie de l’album, certains ont ainsi évoqué une filiation avec Elliott SMITH mais, si la fragilité respective de leur voix peut les rapprocher, la comparaison paraîtra tout de même abusive à certains. De mon point de vue, la sincérité du propos musical de cet album placerait plutôt Michael CERA entre le fils caché de Daniel JOHNSTON, qui l’aurait initié à ses deux instruments de prédilection, et le frère cadet de Kimya DAWSON qui lui aurait transmis l’envie d’une démarche personnelle et authentique, mais aussi un certain goût pour l’expérimentation.

Quoi qu’il en soit, en ne se situant pas dans le champ des opus classifiables facilement, True That demeure finalement assez insaisissable. Tantôt rêveuse ou trop fantasque, tantôt insolite ou trop candide, la musique de Michael CERA reste tout de même définitivement touchante. Et si l’atmosphère est paisible sur les ballades acoustiques, les autres pièces instrumentales qui composent cet album sont toutes empreintes d’une sensibilité aussi bancale que mystérieuse.

Article réalisé par Cyril Adam
Remerciements à Éric Duboys

Page : https://michaelceramusic.bandcamp.com/

Les citations de Michael CERA sont extraites d’interviews qui proviennent, dans l’ordre de l’article, des sites suivants : Spin (extrait 1, 2 et 4), Stereogum (extrait 3) et Billboard (extrait 5).

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