Music of Southern and Northern Laos

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Music of Southern and Northern Laos
(Akuphone)

Ce CD est la seconde réalisation de l’ethnomusicologue autodidacte et buissonnier Laurent JEANNEAU pour le vaillant label français Akuphone ; le premier étant Tibetan Buddhism Trip, crédité à son « double artistique », KINK GONG. Celui-ci est consacré à une autre partie du monde extrême-oriental qui constitue en quelque sorte la marotte de prédilection de de Laurent JEANNEAU, à savoir l’Asie du Sud-Est, et plus précisément le Laos. Ayant vécu au Cambodge de 2003 à 2006, puis dans le sud de la Chine jusqu’en 2013, Laurent JEANNEAU a eu l’opportunité d’approcher et de rencontrer nombre d’ethnies minoritaires dont il a dument enregistré les musiques, accumulant des heures d’archives sonores au point de devenir un spécialiste de leurs cultures. Il avait du reste déjà réalisé un CD pour le label américain Sublime Frequencies, Ethnic Minority Music of Southern Laos, paru en 2007. Étant loin d’avoir tout exposé, il récidive cette fois avec cet album, en étendant son périmètre de représentation au Nord du Laos.

Entouré par le Myanmar (Birmanie), la Thaïlande, le Cambodge, le Viêt Nam et la République populaire de Chine, le Laos est le seul pays d’Asie du Sud-Est à ne pas avoir accès à la mer. En revanche, montagnes et plateaux y occupent les trois quarts de sa superficie. Et quand bien même le Laos est le pays le moins peuplé de l’Asie du Sud-Est, il est constitué d’une quantité d’ethnies que l’on estime officiellement à 48, mais en comptant les sous-ethnies, le chiffre s’élève facilement à 130 ethnies !

Dans un souci d’accéder à un hypothétique unité nationale, le gouvernement laotien avait procédé dans les années 1960 à une classification de cet ample éventail ethnique en se fondant sur l’altitude de leur lieux supposés d’habitation. Trois groupes ont ainsi été distingués : les Lao des plaines (Lao Loum) ; les Lao des plateaux et collines (Lao Theung) et les Lao des montagenes (Lao Soung). Mais dans la mesure où une bonne partie de ces ethnies ont été aimablement (ou non) invitées à quitter leurs hauteurs pour s’installer dans les plaines (plus pratiques à contrôler), cette classification ne correspondait pas vraiment à la réalité de la situation. Plusieurs linguistes et ethnologues lui ont donc substitué une classification d’ordre ethno-linguistique en quatre groupes : les Tai-Kadai, ou Lao-Thaï (qui représentent un peu plus de la moitié de la population) ; les Austro-Asiatiques, ou Môn-Khmers (environ 30% de la population) ; les Hmong-Mien, ou Mia-Yao (10%), et les Sino-Tibétains (5%).

Quelque classification que l’on adopte, la mosaïque ethnique laotienne se révèle fort complexe, puisque, sur le plan géographique, la population dominante du pays, les Lao, n’occupe que le quart du territoire, alors que les groupes minoritaires, dans leur totalité, forment la majorité de la population. Et d’un point de vue linguistique, le lao n’est parlé que par quelque trois millions de personnes au Laos même, ce qui en fait une langue minoritaire (au contraire de l’Issan, en ThaÏlande, où elle est parlée par près de vingt millions de locuteurs). Cela n’empêche pas de faire des Lao l’ethnie dominante, dans laquelle les ethnies minoritaires sont tenues de se fondre…

Cela implique évidemment d’abandonner leurs particularismes linguistiques et culturels. C’est pourquoi Laurent JEANNEAU, en bon Don Quichotte des opprimés, a tenu à faire entendre leur parole, tant vocale que musicale, avant qu’il ne soit trop tard. Les ethnies minoritaires laotiennes possèdent en effet des expressions musicales distinctes des musiques de cour et de leurs ensembles percussifs, sans doute plus connues du public occidental.

Joué depuis plusieurs siècles, le « khène » est l’instrument typique de la musique laotienne, et même un « identifiant culturel » de la nation laotienne. Il peut être considéré, via le sheng chinois, comme l’ancêtre de tous les instruments à anches libres joués en Occident (l’harmonium, l’accordéon, le bandonéon, l’harmonica). D’une grande richesse harmonique, cet orgue à bouche est composé de tubes en bambou de longueur variable comportant chacun une anche métallique.

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L’autre forme d’expression caractéristique de l’identité culturelle laotienne est ce chant alterné (appel/réponse) largement ouvert à l’improvisation, dénommé « lam » (ou « khap »). Faisant intervenir le plus souvent un chanteur (« molam ») et une chanteuse (« motop »), cette véritable joute poétique est systématiquement accompagnée par des joueurs de khène (les « mokhènes »). Le chant lam s’est décliné en une multitude de styles, qu’ils soient traditionnels et acoustiques ou modernes et électriques, et chaque région a son style de lam. Le plus populaire est assurément le Lam Saravane, mais c’est l’arbre qui cache la forêt. Les captations de Laurent JEANNEAU sont là pour nous en convaincre dans ce CD qui réunit en fait les contenus de deux LP sont parus également sur Akuphone, disponibles séparément : Music of Southern Laos et Music of Northern Laos.

Les musiques du Sud Laos ont été captées dans les provinces de Champasak, Attapeu, Sekong et Saravan. Elles permettent de découvrir un lam de l’ethnie To Oy, un chant d’une femme de l’ethnie Katu, un chant d’un homme de l’ethnie Pacoh, un duo lam-khène de l’ethnie Oi, un lam de l’ethnie Alak, ou encore un duo masculin accompagnés par un joueur de khène et un joueur de gong de l’ethnie Nyaheun. Des pièces purement instrumentales sont aussi au programme, dont une jouée sur des gongs et un tambour par des hommes de l’ethnie Brao, une autre par cinq hommes jouant chacun avec un tube de bambou, une autre encore jouée sur des gongs de l’ethnie Alak. On entend aussi le « queej » d’un Hmong blanc. Toutes ces ethnies – à l’exception des Hmong – relèvent du groupe austro-asiatique.

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Les musiques du Nord, enregistrées dans les provinces de Luang Namtha et de Phongsaly, révèlent d’autres trésors : un chant de femmes Lantene (Hmong-Mien), un chant pour le Nouvel An et un chant chamanique de l’ethnie Akha (Sino-Tibétain), un chant récitatif pour une cérémonie chamanique des Yao, un duo lam-khène de l’ethnie Bit, un chant de femmes Khmu qui souffle simultanément dans un tube de bambou, un « pi » (instrument à anche de bambou) et un « jiakoot » (tube de bambou vert) provenant encore de l’ethnie Khmu (austro-asiatique).

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Ces dix-neuf pistes sélectionnées font montre d’une ample richesse et diversité musicales qui nous étaient en grande partie inconnues et qui, comme Laurent JEANNEAU le signale, sont en voie de disparition, du fait de l’assimilation forcée à la culture dominante dont sont victimes ces minorités ethniques. La diffusion de ces voix et de ces sons relève donc d’un acte de résistance qui fait écho à ceux des groupes ethniques du Nord Laos qui refusent l’autorité de l’État et tâchent de préserver une certaine autonomie politique en préservant leur mode de vie agricole et leurs traditions. (Ce phénomène social caractérise tous les peuples des territoires des « hautes terres » du Sud-Est asiatique englobés sous l’apellation géographique la Zomia.)

Écouter ces musiques, c’est aussi découvrir un autre mode de penser, d’être, d’agir…

Stéphane Fougère

Label : akuphone.com

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