NIRMĀAN : L’Hindi Rock à dos de chameau

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NIRMĀAN

L’Hindi Rock à dos de chameau

En Inde, c’est bien connu, prendre le train est une expérience aussi pittoresque qu’aléatoire, digne de la cour des miracles. Il arrive aussi qu’après un interminable trajet, on s’arrête durablement dans de bien curieuses gares. En voici une qui a la particularité d’être électrique, et elle s’appelle NIRMĀAN. Cette « Indian Electric Station » est dirigée par un quintet fort singulier, constitué d’une chanteuse indo-bretonne et de musiciens bretons.

Leur improbable rencontre a débouché non pas exactement sur un métissage indo-breton, comme on pouvait s’y attendre, mais sur un son original et atypique où le chant classique hindoustani (Nord de l’Inde) et folklorique rajasthanais de Parveen Sabrina KHAN se retrouve au cœur d’une mixture amplifiée concoctée par un violoniste (Pierre DROUAL), un guitariste (Antoine LAHAY), un clarinettiste (Étienne CABARET), tous trois échappés du groupe DIÈSE, et par un percussionniste aux multiples couleurs (Jean-Marie NIVAIGNE).

Cultivant un son rock aussi alternatif que progressif, NIRMĀAN a d’abord distillé son envoûtement sur les scènes bretonnes avant de commencer à se répandre ponctuellement dans d’autres régions, et même jusqu’en Inde. Cinq ans et un EP en poche plus tard, NIRMĀAN est revenu à l’été 2017 diffuser ses insolites parfums d’ici et d’ailleurs dans plusieurs festivals de Bretagne. Entre la méditation et la griserie sonique, entre la dévotion et la tension, entre la félicité de l’âme et la frénésie des corps, entre la résonance ancestrale et la projection moderniste, NIRMĀAN n’a pas voulu choisir et combine les extrêmes avec une inspiration en constante mutation, donnant naissance à un hindi-rock aux déhanchements bien grisants.

RYTHMES CROISÉS a traversé plus d’une fois la route de NIRMĀAN et a finalement pris le temps de faire plus ample connaissance avec lui. Voici donc sa genèse et son histoire, racontée par deux de ses protagonistes.

Entretien avec Parveen KHAN et Pierre DROUAL de NIRMĀAN

Vous fêtez en quelque sorte un anniversaire cette année au festival Kann al Loar de Landerneau, vu que vous y avez fait vos débuts il y a quatre ans, je crois ?

Parveen Sabrina KHAN : Oui. J’avais rencontré Antoine LAHAY et Étienne CABARET, respectivement le guitariste et le basse-clarinettiste, quand ils sont venus en Inde. Ils me connaissaient via mon père, Hameed KHAN, qui a joué avec Erik MARCHAND il y a longtemps (Ndlr : sur l’album An Tri Breur). Ils se sont passés le mot comme quoi il y avait une chanteuse en Inde, et ils ont atterri chez moi. On a commencé à jouer ensemble, et on a enregistré une émission web-TV qui m’a donné carte blanche pour inviter les personnes que je voulais. Comme ils étaient là, on a fait un morceau de chant très calme avec Ilyas, mon petit frère au tabla. Ça, c’était le début. On pensait alors que ce n’était qu’un « one shot ». Ils sont revenus en France, et les festivals Kann al Loar et de Cornouailles leur ont donné carte blanche pour inviter qui ils voulaient. Ç’aurait très bien pu être une chanteuse bretonne ou un trompettiste, mais ils m’ont demandé si ça m’intéressait. Je venais tous les étés en Bretagne, puisque ma mère est bretonne, alors j’ai dit OK.

On devait créer un répertoire, et en deux mois on a créé un set. On est allés s’isoler dans les Pyrénées pendant une semaine dans une maison, et on a à peu près écrit tous les morceaux. On les a retravaillés un peu ensuite. Notre première date a donc été à ce festival Kann al Loar, où on a été présentés comme une création. Du reste, NIRMĀAN veut dire « création » en hindi.

Au début, ce n’était pas censé être un groupe. Mais quand on a commencé à jouer ensemble, on s’est dit que c’était super, alors on a continué et on ne s’est toujours pas arrêtés ! (rires )

Aviez-vous dès le départ pris le parti de faire une musique électrique ?

Parveen : Alors ça c’est curieux parce que ça aurait très bien être un groupe de musique assise, très traditionnelle, acoustique. Or, quand on a commencé à jouer, c’est ça qui est sorti. Mais ç’aurait pu être une tout autre musique.

En dehors de NIRMĀAN, vous avez une carrière de chanteuse traditionnelle ?

Parveen : Ma mère est bretonne et mon père indien, mais moi j’ai grandi en Inde. Je parle français grâce à cela. J’ai été formée au chant traditionnel indien, et c’est tout ce que je sais faire en chant ! (rires)

Vous n’aviez donc pas été habituée à jouer avec une formation amplifiée ?

Parveen : Pas trop, non. Pas du tout, même ! Du reste, je crois que c’est la première fois que je chantais debout, par exemple. Pour comprendre à quel point ça peut être très fort sur scène, c’est des choses que je ne connaissais pas, et je crois qu’avec ce groupe je suis tombée sur le summum ! (rires)

Pierre DROUAL : Il y a pire…

Parveen : Un jour, peut-être…

Comment s’est constitué le répertoire ? Chaque morceau est composé par le groupe ?

Pierre : En fait, c’est parti sur des bœufs, on a joué ensemble à partir de thèmes du répertoire classique indien, des chants rajasthani aussi. Et à partir de ça, Jean-Marie NIVAIGNE, le batteur, a composé des morceaux.

Parveen : Il y a des morceaux traditionnels qu’une personne a créé, d’autres sont des petits bouts de tout, une mélodie de basse… Tous les morceaux ont une histoire différente : il y en a un inspiré d’un chant breton. Jean-Marie avait retrouvé un enregistrement de son arrière grand-mère qui chantait. Étienne, qui parle breton, nous a traduit les paroles qu’on a chantées en hindi, on a gardé la mélodie… D’autres sont des « raags » de la musique classique indienne et des morceaux populaires du Rajasthan.

Certains textes ont donc été traduits en hindi ?

Parveen : Oui, certains. La première chanson qu’on a joué ensemble, Har ek pal, est une histoire de « chaque moment » parce qu’on venait juste de se rencontrer et on était très contents. Ça dépend des morceaux…

Vous aviez des thèmes de prédilection pour les chansons ?

Parveen : Pour celles que nous avons écrites, oui. Ceux qui sont traditionnels sont… traditionnels !

De quoi parle les chansons ?

Parveen : Les chansons classiques indiennes ont un contenu très philosophique, d’autres sont des chansons d’amour bien sûr. Une chanson parle de l’instant présent, il y a un traditionnel qui est un chant de la mousson. En Inde, c’est un moment assez important.

Y a-t-il des chants dévotionnels, voire spirituels ?

Parveen : Oui. La première chanson calme qu’on a chanté est une ode à une déesse indienne, pour la remercier d’avoir créé la musique.

Vous avez principalement tourné en Bretagne, mais je crois savoir qu’à un moment donné vous avez été jouer en Inde…

Pierre : Oui, il y a deux ans et demi, en février 2014. On a été trois semaines en Inde, on a tourné un clip sur Camel Steps et on a donné quelques concerts là-bas.

Comment le public indien a-t-il réagi ?

Pierre : En fait on a joué devant pas mal de Français, donc ça a été !

Parveen : Au début, c’était une tournée organisée par l’Institut français, on a joué dans des universités. En fait, la différence dans les réactions, c’est qu’ici c’est moi l’exotique ; alors qu’en Inde c’est eux. Les rôles sont inversés. (rires)

Pierre : On a joué devant une foule d’étudiants en folie. Pour eux, c’était nous les énergumènes. (rires)

Ils n’étaient pas habitués à écouter pareille musique ?

Parveen : Ça existe quand même, mais il y a un mélange d’instruments qui ne leur est pas familier.

Pierre : On ne fait pas du banghra, ni du Bollywod, mais ils sont habitués aux batteries, aux synthés, etc.

Parveen : C’est quand même rare de voir une chanteuse indienne avec quatre gars derrière ! Enfin, quatre Occidentaux, quoi ! (rires)

Vous avez enregistré un EP…

Pierre : Oui, on l’a enregistré en Bretagne, à Saint-Cadou, dans les Monts d’Arrée.

Y a-t-il eu d’autres morceaux composés depuis ?

Pierre : En fait, on tourne avec ce répertoire depuis bientôt quatre ans, avec des évolutions. On a beaucoup travaillé la scène aussi. Autour de ce répertoire-là on a continué à travailler, mais plus sur scène. On a affiné les morceaux, trouvé le son. Et on a créé de nouveaux morceaux, on est en train de constituer un nouveau répertoire. Le premier jet a été fait peut-être pas dans l’urgence, mais on avait une échéance assez rapide, donc on s’y est mis. Et là, c’est toujours un peu compliqué de construire un second répertoire, il y a le « premier jet » et après il faut assimiler tout ça pour faire autre chose. Mais on est en train d’y travailler ! Sereinement.

Un second album est donc prévu ?

Pierre : Oui, mais il ne sortira pas avant l’année prochaine, avant l’été ou après l’été…

Parveen : L’idée, c’est non seulement d’écrire de nouveaux morceaux, mais aussi de jouer. On est quand même des musiciens de scène (pas que), et on aimerait explorer d’autres scènes, d’autres régions.

Pierre : Pour l’instant, chaque fois qu’on joue quelque part, des gens nous découvrent. Donc notre répertoire n’est pas encore périmé !

Vous avez surtout joué en Bretagne pour l’instant ?

Parveen : Là on revient d’une tournée dans le Sud de la France. On a joué à Marseille, Sète, Montpellier, Valence, Carsan, Poitiers, Cholet… Donc là, personne ne nous connaissait !

Avez-vous joué aussi dans d’autres pays ?

Pierre : On n’a pas encore trop essayé… Ce serait super.

Parveen : C’est quelque chose qu’on compte faire dans un proche futur, sortir un peu de la France…

Pourquoi pas au festival Rainforest, en Malaisie ?…

Parveen : Oui je connais, c’est super là-bas ! Ça marcherait bien.

Sur quel genre de scènes avez-vous joué jusqu’à présent ? Plutôt world music ?

Pierre : Sur des scènes assez variées. Notre projet à la base a été créé avec le festival Kann al Loar et le festival de Cornouailles qui l’avait « pré-acheté » à l’aveugle. Ils nous ont fait confiance, ce qui est vraiment super parce que ça a lancé quelque chose. Donc de fil en aiguille, on a joué dans des festivals bretons comme le festival Fisel, les Vieilles Charrues (sur la scène Gwernig), tout un réseau. L’année dernière, on a commencé à jouer dans des petits festivals bretons qui n’ont rien à voir avec la musique bretonne.

Parveen : Et aussi dans des SMAC, scènes de musiques actuelles, et là un peu sur des festivals de musiques du monde, mais pas que. Vu qu’on colle à beaucoup de styles et que les gens n’arrivent pas à nous faire entrer dans une case, en un sens ça nous arrange parce qu’on peut jouer un peu partout ! (rires)

Est-ce que les musiciens du groupe avaient déjà été confrontés à la musique indienne ou au chant indien avant de rencontrer Parveen ?

Pierre : Jean-Marie, notre batteur, avait étudié les tablas en Inde, même s’il n’en joue pas vraiment dans NIRMĀAN.

Parveen : C’est pour ça que vous avez décidé de m’inviter avec Jean-Marie, puisqu’il connaissait la musique indienne, pour créer un pont…

Pierre : Et en ce qui me concerne, je connaissais assez peu. Bon, j’ai écouté de la musique indienne, mais j’en découvre encore tous les jours beaucoup.

Parveen : C’est ce qui fait la richesse de NIRMĀAN : des univers entièrement différents se sont rassemblés pour créer quelque chose que quelqu’un qui connaît juste la musique indienne ne ferait pas forcément.

Quelles sont vos influences ?

Pierre : Des influences en commun, on en a plein. On en a aussi plein chacun de notre côté. La première fois qu’on s’est vus avec NIRMĀAN, je revenais d’un stage en Grèce, avec un musicien local. Alors je ne joue pas de musique grecque dans NIRMĀAN, mais il y a des touches un peu arabes. Après, des influences, on peut en nommer beaucoup parce qu’on écoute chacun plein de musiques différentes, de la musique pop, du rock, des musiques traditionnelles, de l’électro, du trip hop… il y a beaucoup de choses… On essaie en tout cas de ne pas se donner un cadre, de carrer des choses.

Envisagez-vous d’élargir votre formule instrumentale par des collaborations avec d’autres musiciens ?

Pierre : C’est une bonne question… On ne sait pas trop, on n’a pas encore creusé la question. Pour l’instant, ça marche bien comme ça, avec l’instrumentation qu’on a. Il y a déjà beaucoup de possibilités, on a défini un cadre qui nous convient. Après, il y a déjà des expériences, notamment avec Sylvain BAROU à la flûte, avec Ilyas, le frère de Parveen. C’est tout pour l’instant. Mais l’idée prochaine est de composer de nouveaux morceaux.

Entretien réalisé au festival Kann al Loar, à Landerneau, le 14 juillet 2017

Article et Photos : Stéphane Fougère et Sylvie Hamon
Photos : Festival Kann al Loar à Landerneau et Festival du Chant de Marin à Paimpol

Site : www.nirmaan.fr

Lire la chronique du CD Indian Electric Station

 

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