Pandit Shiv Kumar SHARMA – Sampradaya

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Pandit Shiv Kumar SHARMA – Sampradaya
(Real World)

Quand le label Real World s’autorise une virée dans l’univers éblouissant de la musique savante indienne, il a le chic de dénicher de singuliers et délicieux trésors. Car s’il est courant d’entendre des ragas joués au sitar, au sarod ou à la flûte bansuri, il est peut-être moins commun d’en entendre à la mandoline électrique (cf. l’album de U. SRINIVAS, Rama Sreerama) ; de même de savourer un raga visité par deux instruments solistes, le sarod et le violon (cf. l’album de K. SRIDHAR et K. SHIVAKUMAR, Shringar), est une chose peu répandue, quand bien même la formule du « jugalbandi » (duo) en musique indienne remonte à plusieurs siècles. À son tour, Sampradaya combine les particularités spécifiques aux albums précités.

D’abord, l’instrument-vedette, le santour, équivalent de notre cymbalum ou dulcimer européen, n’a que très récemment été introduit dans le cercle très exigeant de la musique classique indienne en tant qu’instrument soliste. Il faut en remercier le « pandit » (maître) Shiv Kumar SHARMA, dont l’érudition lyrique (il maîtrise le chant) et l’apprentissage rythmique (il a étudié le tabla) lui ont permis de perfectionner la technique de cet instrument emblématique du Cachemire, mais d’origine persane, qui était surtout usité dans la musique populaire, et dont on joue avec deux fines baguettes recourbées d’un côté. En modifiant la physionomie de l’instrument (il lui a adjoint seize cordes alors qu’il en avait déjà cent!), Shiv Kumar SHARMA est parvenu à restituer au santour toutes les envoûtantes diaphanéités particulières aux ragas indiens, tels les « gamak » (oscillations) et les « meend » (glissando d’une note à l’autre).

Depuis 1960, notre virtuose du santour a enregistré quantité de ragas en LP, cassettes et CD ; on se souvient notamment du magnifique Call of the Valley, avec le guitariste Brij Bhushan KABRA et le flûtiste Hari Prasad CHAURASIA. Ces dernières années, Pandit (maître) Shiv Kumar SHARMA se produit sur scène en compagnie de son disciple et néanmoins fils, Rahul SHARMA. Sampradaya a du reste été enregistré suite à leur prestation au festival Womad. Et c’est bien ce qui constitue la seconde surprise de ce disque : le santour n’est déjà pas un instrument de première ligne dans la tradition indienne savante, mais il est encore plus rare d’écouter un jugalbandi avec deux santours ! De plus, loin de se contenter de répéter plus ou moins habilement ce que fait son père, le fiston sait aussi prendre de pertinentes initiatives tant mélodiques que rythmiques pour relancer le dialogue.

Quant au joueur de tablas, Shafaat Ahmeed KHAN, il semble n’avoir aucune peine à s’immiscer dans l’intimité musicale et spirituelle du père et du fils. Son jeu dynamique et raffiné en fait un complice idéal pour explorer les fluctuations du Raga Janasammohini, raga carnatique (de l’Inde du Sud) empreint de sérénité joyeuse qui s’étale ici sur plus d’une heure, avec un langoureux « alap » (introduction arythmique) suivi de trois compositions, la dernière s’achevant sur une pluie de notes affolées et une apothéose proche de la trance techno (!) quand Shiv Kumar SHARMA se met à pincer les cordes avec ses doigts.

Sampradaya, ou quand méditation rime avec sensation.

Stéphane Fougère

Page label : https://realworldrecords.com/releases/sampradaya/

(Chronique originale publiée dans
ETHNOTEMPOS n°4 – avril 1999
et remaniée en 2022)

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