Park JIHA – Communion

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Park JIHA – Communion
(Tak:til / Glitterbeat)

La nuit, même dans un endroit familier, les sons se métamorphosent, deviennent fantomatiques, inquiétants. La nuit, un souffle d’abord enveloppant peut se faire lancinant, larmoyant ; une caresse peut muter en une frappe sèche, un embrasement. C’est ce que donne à écouter cet album nommé Communion, un titre suffisamment polysémique pour stimuler l’imagination en tous sens, et stimuler les sens à prendre la voie de l’imaginaire. Les sons et les notes qui se livrent ici proviendraient, sur un sol occidental, d’un saxophone, d’un dulcimer, d’une flûte. Mais ces sons nous proviennent de Corée du Sud, et les instruments qui les génèrent se nomment piri, saengwhang, yanggeum. Leur écriture comme leur prononciation nous projettent déjà dans un autre espace-temps. Leur écoute semble nous dévoiler la face cachée d’un monde lunaire. Rien d’étonnant, c’est une femme qui joue de ces instruments, et elle s’appelle Park JIHA.

Oui, tous les instruments dont elle joue sont traditionnels. Mais Communion n’est pas un traité d’ethnomusicologie coréenne. On ne trouvera pas de livret présentant les origines, les secrets de fabrication, les techniques de jeu et des analyses de structures musicales, ce n’est pas le propos de Park JIHA, bien qu’elle ait suivi un cursus universitaire en musique traditionnelle ponctué de diplômes. Sa démarche artistique, auparavant aguerrie au sein du duo [su:m], auteur de deux albums, et d’un EP conçu comme la bande-son d’une exposition (A Record of Autobiographical Sounds), s’est affranchie des codes de la musique traditionnelle pour se nourrir également du vocabulaire des minimalistes occidentaux type REICH ou RILEY voire de certaines couleurs et effluves jazzistiques et bluesy.

C’est cette forme hybride que déploie Communion. Les textures et les ambiances générées par la combinaison du piri (hautbois de bambou), du yanggeum (dulcimer à cordes frappées) et du saenghwang (orgue à bouche) avec un saxophone ténor, une clarinette basse (Kim OKI), un vibraphone (John BELL) et des percussions (Kang TEKHYUN) conjuguent toutes les nuances de cette « communion » qui vise une transcendance intimiste.

Alliant méditation et sensualité sur des rythmes downtempo vaporeux, la musique de Park JIHA mise sur un dépouillement de facade qui cultive en fait une force vibratoire apte à bouleverser les corps comme les âmes. Le frisson et l’étincelle y sont traqués dans la moindre note, l’ébullition s’y fait graduelle et prend bien soin de ne jamais exploser complètement, privilégiant une retenue toute tantrique qui augmente les potentialités des inflexions voluptueuses vers toujours plus d’ivresse.

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Le mystère lunaire de Communion, fait d’épures et de circonvolutions, distille toutes les nuances fluidiques de la mélancolie volatile, de la rêverie moirée, traduit les manifestations subtiles d’une étrangeté troublée, d’une sérénité effarouchée, d’un apaisement flouté, et s’épanouit en un mouvement d’ascension spiralée.

Pour affermir encore davantage cette sensation de flotter dans une dimension extra-terrestre, l’édition occidentale de Communion a fait l’impasse sur le seul morceau chanté qui figurait dans la version autoproduite originelle du disque (disponible sur le site de l’artiste). Le choix est certes cohérent, mais nous prive du grain vocal et des accents spécifiques de la langue coréenne de Park JIHA qui avaient toutefois les qualités requises pour nous transporter vers un ailleurs spatial. Mais soit.

Laissez donc les bois, les cordes et les peaux de Park JIHA et de ses complices pourfendre vos carapaces de dureté de leurs flots denses, de leurs vagues sinueuses, de leurs houles diffractées, de leurs marées suaves et turbulentes, vous y ferez l’expérience d’une absolution autrement régénérante.

Stéphane Fougère

Site : www.parkjiha.com

Label : www.glitterbeat.com

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