SERENDOU : Des vents dans les chemins de terre et de sable

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SERENDOU

Des vents dans les chemins de terre et de sable

 

Une tentative d’espionnage dans un stage, un concert de Bretons dans un festival africain qui a failli passer au karcher… les débuts de l’histoire de SERENDOU pourraient laisser penser que ce projet de musique métissée avait tout d’une gageure. Mais c’est pourtant bel et bien une histoire de complicité, d’écoute mutuelle, de partage, d’amour entre deux flûtes qui est à l’origine de cette aventure musicale rodée depuis maintenant treize ans.

La flûte traversière de Jean-Luc THOMAS, musicien-voyageur trégorrois co-fondateur du label Hirustica, et les flûtes peuhl de Yacouba MOUMOUNI, fondateur du groupe MAMAR KASSEY, ont fait danser leurs souffles sur les sentiers buissonniers qui relient la Bretagne au Niger, secondés par la calebasse puissante et claquante de Boubacar SOULEYMANE. L’alchimie à l’œuvre dans SERENDOU est de celle qui métamorphose les chemins de terre en chemins de sable, les rochers en dunes, les hanter-dro en danse de possession…

Des vents qui brouillent les pistes, des rythmes malléables et modulables, des boucles informatisées, des images qui engendrent des notes, des mélodies qui donnent des visions, des complices récupérés sur la route le temps d’une étape ou deux, SERENDOU a tout du miracle hérétique provoqué par une forte entente humaine.

Seulement deux albums ont servi de marqueurs sur la route de SERENDOU : Avel an Douar en 2011, et Zinder en 2017, tous deux parus sur Hirustica, le label breton à l’écoute des sons et des cultures d’ailleurs. À l’occasion des dix ans de ce dernier, SERENDOU est venu souffler les bougies au Studio de l’Ermitage, à Paris. RYTHMES CROISES en a profité pour se faire conter l’histoire de SERENDOU et s’initier à ses arcanes musicales.

Entretien avec SERENDOU

Comment a commencé SERENDOU ?

Jean-Luc THOMAS : Ça a commencé il y a treize ans, en Bretagne, à Langonnet, avec un atelier, un stage, qu’animait Yacouba MOUMOUNI. À cette époque, son groupe MAMAR KASSEY était en tournée, et ma compagne de l’époque travaillait dans le lieu où ça se passait. Elle connaissait mon intérêt pour tous les types de flûtes, et elle m’a dit qu’il y avait là un flûtiste qu’il pourrait m’intéresser d’écouter, au moins ! Je suis donc allé à cet atelier animé par Yacouba. Je ne sais pas combien de temps ça a duré… Deux heures ? Trois heures ? En tout cas, on m’a chassé de l’atelier… Hein, Yacouba ?

Yacouba MOUMOUNI : Oui. Pour moi, c’était un espion ! (rires) On a commencé le matin, il voulait tout savoir. Et le soir, je l’ai viré et je lui ai dit : « Tu n’a pas besoin de faire ça. » Plus tard j’ai joué dans un groupe, et il y avait un musicien, qui joue le baryton, qui n’était pas disponible ; il a été remplacé par Jean-Luc. On a fait une improvisation ensemble, et à partir de là nos flûtes sont tombées amoureuses.

Couleurs d’Afrique

JLT : Parallèlement, je suis parti au Mali avec un trio, KEJ, qui comprend deux musiciens de jazz, un contrebassiste et un guitariste, et on a fait un disque suite à ce voyage qui s’appelle Namou. Ce disque a atterri sur le bureau du directeur du festival Africolor, Philip CONRATH. Il m’a appelé et m’a demandé si cette musique était jouable sur scène. Il y avait sur le disque pas mal de prises de sons extérieures, des bruits d’enfants, de voitures, des poules, plein de sons qu’on avait pris à droite, à gauche… Je lui ai répondu oui, et il m’a demandé si je voulais jouer à Africolor. Je lui ai alors dit non, parce qu’Africolor est un festival de musiques africaines pour les Africains, et qu’on n’allait pas jouer à quatre Bretons, ça n’aurait pas de sens.

On a cependant discuté sur la possibilité d’avoir des invités. Amadou DIALLO est un grand joueur de dousoun’goni de Bamako, on l’a invité tout de suite. Et j’ai dit que j’avais rencontré un musicien que je trouvais merveilleux, et qu’il s’était passé quelque chose entre nos deux flûtes, et que j’aimerais bien l’inviter. Quand j’ai prononcé le nom de Yacouba MOUMOUNI, Philip CONRATH m’a dit : « Hola, attention ! Ce n’est pas n’importe qui ! » Moi, je ne connaissais pas la notoriété de Yacouba.

C’était en 2004, et on a fini par jouer au festival, à Stains. Or, c’était un peu la guerre civile à ce moment-là ; un ministre de l’époque avait parlé de « karcher » et de choses comme ça… Et dans ce contexte-là, on a fait un très beau concert, ça s’est très bien passé et, à la fin, Philip CONRATH est venu nous voir et nous a dit : « Bravo pour ce concert, c’était très émouvant. Mais j’ai vu quelque chose avec vos flûtes, et j’aimerai voir plus. Alors réfléchissez à quelque chose pour l’année prochaine… »

Et là, on a convié Boubacar SOULEYMANE, et SERENDOU est né à ce moment-là, en décembre 2005.

Comment s’est constitué le répertoire ? Vous avez improvisé, ou chacun a amené des thèmes ?

JLT : On a trouvé ce qui pouvait fonctionner très vite. C’était une création, on n’avait pas beaucoup de temps pour se voir… J’ai composé des morceaux bretons par rapport au mode pentatonique de la flûte peuhl de Yacouba. Et ce qui m’intéressait, pour apprendre en fait, c’était d’être en situation de disciple et de comprendre comment il pense l’ornementation, les phrasés sur cette flûte…

Je lui ai donc demandé qu’il me donne des morceaux un peu plus compliqués… On a échangé sur des thèmes de danses. Je lui disais « ça, tu vois, c’est un hanter dro ! » et il me répondait : « Non, ça, c’est une danse de possession ! » « D’accord, OK, alors allons-y !… » Et bien sûr, il y a eu de l’improvisation… C’est quelque chose qui est très important pour nous, d’improviser. C’est pour ça qu’on est là.

Donc, dès le début, vous vous êtes dits que deux flûtes et une calebasse, c’était suffisant…

JLT : C’était notre désir. Après coup, on s’est dit qu’on n’avait peut-être pas bien penser les choses en termes de marketing (rires), mais on était très heureux de cette combinaison. On a passé du temps ensemble, le courant est passé, c’est important. On a des cultures différentes, des modes de vie différents, des réalités différentes…

Après, l’histoire s’est enrichie avec Michel GODARD, quelques temps après, mais on a fait notre petit bonhomme de chemin.

Michel GODARD et toi aviez fait une création ensemble ?

Oui, on s’était rencontrés et on avait joué ensemble pour la première fois en 2009, et pour une autre édition du festival Africolor, on avait invité Michel à se joindre à nous ; ça devait être en 2011 ou 2012.

Des images sur des notes

En termes de répertoire, Yacouba, tu as apporté des thèmes de danses, mais aussi des chants…

Yacouba MOUMOUNI : Oui, il y a mes propres compositions, et des thèmes de musique nigérienne pré-existants. Moi, au départ, je suis un musicien traditionnel, et je suis venu dans le néo-trad’, et la musique moderne. J’ai fait quatre ans de formation. J’apporte beaucoup de mélodies nigériennes. Il n’y a pas une mélodie nigérienne conçue pour le violon ou autre chose que je ne peux pas jouer, donc ça fait que j’ai conçu une bibliothèque sans le savoir. Des fois j’oublie des thèmes, et ça me revient dans la tête.

Jean-Luc m’amène aussi des choses, et du coup il y a vraiment un mélange. Chacun a pris la culture de l’autre. On ne s’est pas contentés de faire des improvisations pour dire « voilà, on a fait une résidence ». Non ; ensemble, on a creusé très profondément pour connaître d’abord l’histoire de nos musiques. Quand on joue une musique, il faut en connaître l’histoire. Pourquoi on la joue ? Pourquoi on a composé ça ? Ça te donne une image de ce que tu joues, et quand tu joues, c’est comme si tu étais en train de voyager. Mais quand on joue sans connaître l’histoire, c’est autre chose. Tu flottes comme du pétrole versé sur l’eau, tu vois ? (rires)

Pour beaucoup de morceaux que Jean-Luc me donne, il y a une mélodie qui sort, il y a l’image qui est dans ma tête. Pour chaque note, chaque changement, j’ai une image qui me vient en tête. Elle me permet de ne pas oublier le morceau. Par exemple, sur une note, j’ai l’image d’un cheval, sur la prochaine, je vois un passage de bœufs, là je vois un mouton, pour la suivante, je vois une girafe. C’est comme ça que je construis des trucs dans ma tête parce que je ne sais pas lire ni écrire. Depuis mon enfance, c’est ainsi que je construis la musique dans ma tête. Et je garde tout en tête avec des images qui me permettent d’avancer.

Si Jean-Luc m’explique un morceau, dans mon cœur je fais l’installation, le « calage », mais personne dans le groupe ne sait comment je procède. C’est aujourd’hui que je le révèle… (rires)

Il y a donc des visions, et les paysages des morceaux peuvent changer. On est sur la route dans le désert vers Agadez, et soudain on disparaît pour se retrouver en pleine Bretagne. On n’est pas sur une vraie route. La musique, c’est du voyage, du tourisme. Dans la musique, on reste jamais sur un seul pays. On change de pays comme on voyage. Des fois on n’a pas de route pré-tracée.

La première des choses, c’est l’espérance en nous, d’abord. Quand tu travailles sur la culture de l’autre, si tu ne t’immerges pas en elle, tu ne peux pas apprendre.

Moi, j’aimerais bien jouer comme un Breton. Et Jean-Luc voudrait jouer comme un Nigérien. Donc ça veut dire qu’on y arrivera. Et quand il y a des notes qui ne vont pas, on prend le temps de répéter, de revenir dessus pour avoir exactement les bonnes notes. Par exemple, je parle français, mais je ne le parle pas comme un Français. On sait que c’est un Africain qui parle. Mais vous comprenez quand même. C’est exactement la même chose.

Frères de rythme

Boubacar, en tant que joueur de calebasse, quel est ton rôle dans cette musique de flûtes ?

Boubacar SOULEYMANE : Depuis la formation de MAMAR KASSEY, on a choisi de ne pas laisser mourir la tradition, de la défendre. On a voulu valoriser les instruments traditionnels. Voilà pourquoi, au sein de MAMAR KASSEY, à la place de la batterie, que nous trouvons encombrante (rires), on a pris la calebasse et le kalenbou (tambour du Sahel) comme percussions pour accompagner la flûte et le molo. Pour donner un goût à tout cela encore, on a ajouté deux instruments modernes, la guitare électrique et la guitare basse. C’est cette tradition que nous avons apporté vers SERENDOU, à travers les instruments et à travers les chansons. Nous puisons dans la tradition nigérienne pour aboutir à quelque chose dans SERENDOU.

Sur le plan rythmique, est-ce que ça a été facile de s’intégrer aux thèmes bretons ?

BS : La musique bretonne, c’est une nouveauté pour moi. Ça m’aide à me perfectionner dans mon jeu, ça l’enrichit, bien que je le trouve toujours « à côté ». Des fois j’ai des problèmes, et il faut que Jean-Luc me tape sur les orteils pour que je puisse vraiment être dans le rythme. Ça me plaît beaucoup, car ce sont des rythmes que je ne connais pas et que je découvre. Mais des fois, je trouve les rythmes bretons très proches de nos rythmes nigériens.

Donc, tout le monde finit par s’y retrouver ?!

JLT : Oui parce qu’il y a un cadre, mais on laisse quand même beaucoup de liberté à chacun. C’est quand même l’idée… Je suggère des choses à Boubacar, mais si je lui dis de jouer comme ça et comme ça, il y a un moment où je vais l’emprisonner, et ce n’est pas le but. Parce que c’est quelqu’un qui a une richesse magnifique. Alors il vaut mieux qu’il s’imprègne, qu’il s’approprie, qu’il transforme, et que ça avance en même temps.

Ça signifie que chaque morceau est malléable, qu’on peut se permettre de changer des choses ?

JLT : À des endroits, oui. Il y a des moments où on a prévu des unissons, des codes de musique occidentale, des mises en place, etc., et des endroits, notamment au niveau rythmique, où Boubacar est complètement libre. Il sait comment ça avance, et on a la chance d’avoir plein de couleurs différentes à chaque concert.

Une famille sur la route

Zinder est votre second album. Il s’inscrit dans la continuité du premier, mais il a pour particularité d’avoir des invités, comme Michel GODARD entre autres. Vous avez donc souhaité vous ouvrir à d’« autres voix » ?

JLT : On a fait du chemin ! Le premier disque était très « brut », on l’a enregistré en très peu de temps avec la matière qu’on avait. Pour le second, on a pris plus de temps. On s’est dit qu’il fallait garder l’idée principale, autour des deux flûtes et de la calebasse, mais qu’en même temps on puisse aller fouiller plus loin dans les chants, dans le répertoire, mais aussi dans les traitements numériques que j’utilise.

Et puis on a eu la chance sur notre route de faire des rencontres avec des musiciens remarquables, dont Michel GODARD. Alors on s’est demandés quels musiciens on pourrait inviter, et on est tombés d’accord sur le fait qu’il fallait inviter Michel GODARD. Et aussi Carlos MALTA.

En fait, on s’est tous un peu rencontrés au même endroit, aux Fifres de Garonne, à St-Pierre d’Aurillac en Sud-Gironde, un festival autour de la tradition du fifre et du monde des flûtes (mais c’est encore plus large que ça…) auquel je suis officiellement associé, et Michel officieusement en tant que tubiste. Carlos MALTA, qui a joué avec Hermeto PASCOAL, LENINE, travaille entre autres sur le pif moderne, le pifano, qui est une tradition du Nordeste du Brésil. Il nous a vus en concert et nous a invités à Olinda, un festival de flûtes dans le Nordeste, où il nous a fait le plaisir de nous jouer un morceau qu’il avait composé pour nous, sur le mode pentatonique des flûtes de Yacouba.

Il y a un musicien qu’on n’a pas invité. On l’avait rencontré par Michel, c’est Gavino MURGIA, un chanteur sarde et saxophoniste, avec qui on avait fait un petit morceau dans un festival en Allemagne, et qu’il a été compliqué de convier sur Zinder. En revanche, on a invité Bernardo AGUIAR, qui joue du pandeiro. On ne voulait pas non plus inviter dix mille musiciens, mais ceux-là étaient vraiment associés à notre histoire, et on voulait leur faire une belle place… Et on est très contents du résultat !

Pistes multiples

SERENDOU est une formation acoustique, au moins à 90 %, mais tu utilises aussi des traitements informatiques, le Logelloop. Qu’est-ce ?

JLT : C’est une machine qui a été développée par un ami à moi, mon voisin. C’est une façon de revenir à l’artisanat, quelque part… Au départ, c’est un « looper ». On s’enregistre, et puis ça tourne en boucle. Mais c’est beaucoup plus riche qu’un looper, on peut faire plus de choses. L’idée, c’est d’amener de la matière autour. On est sur des registres très aigus avec nos flûtes, et on n’a pas toujours la chance d’avoir Michel GODARD avec nous ! J’ajoute donc souvent du grave ou du medium via cette machine pour équilibrer un peu le son de l’ensemble. Je l’utilise aussi dans mes duos avec Michel. J’aime bien m’arracher les cheveux avec ce logiciel qui est très intéressant mais également très compliqué.

Il permet donc de travailler des sons en direct ?

JLT : Complètement. Parfois, il peut travailler sur des échantillons d’une seconde, de flûte par exemple. J’utilise beaucoup ça. Il prend une seconde, et on fait ce qu’on appelle de la synthèse granulaire, et après je rediffuse avec des traitements différents d’étirements, de longueurs, de panoramique, de spatialisation, etc.

Des échos dans le désert

En dix ans, où SERENDOU est-il allé jouer ?

JLT : Les deux spots, c’est quand même la Bretagne et le Niger. On a joué aussi dans quelques festivals en France, en Allemagne, en Scandinavie, au Danemark, au Brésil.

Comment votre musique est-elle reçue au Niger, par rapport à la Bretagne ou la Scandinavie ?

YM : Il y a quelques vidéos live qui sont sur youtube, mais malgré tout j’ai entendu certaines personnes dire que ce n’est pas Jean-Luc qui joue, ou qu’il joue en playback…

Au Niger, on a peu de musiques instrumentales. Elles sont parfois utilisées lors d’événements pendant lesquels l’atmosphère monte durant les discussions, les délibérations. On met alors la musique de SERENDOU pour calmer le jeu. (rires) À la TV, des gens prennent aussi notre musique pour faire des spots publicitaires sans nous demander la permission. (rires) Beaucoup de gens utilisent notre musique… J’ai ainsi appris qu’un certain morceau de l’album Zinder sera utilisé comme support pour beaucoup de choses. Une association peul, Tabital Pulaaku, m’a demandé notre musique pour réaliser un petit film sur l’élevage chez les Peuls, les nomades, les bergers, dans le monde actuel… Bref, on nous consomme beaucoup !

On va jouer aussi avec le chanteur peul Baaba MAAL au Niger, et on va voir si on peut jouer à son festival Blues du fleuve, à Podor. Il y a aussi d’autres festivals peuls, et on va essayer de se faire programmer au FIMA (Festival international de la mode africaine) en 2019…

Entre les propositions qu’on a eues pour le premier album, puis celles pour le second, on a beaucoup avancé. Bref, SERENDOU est une histoire qui n’en finit pas de monter et qui nous amène très loin !

On a toujours respecté la musique traditionnelle, on n’a pas dévié du tout. Mais c’est aussi aux médias de juger. J’espère qu’on est sur la bonne voie !

Propos recueillis par Stéphane Fougère

Photos : Sylvie Hamon & Stéphane Fougère

Pages : http://www.jeanlucthomas.com/projets/serendou

Voir le diaporama photos du concert de SERENDOU au Studio de l’Ermitage

 

 

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